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Économie politique de l'abstention : ce que s’abstiennent de dire ceux qui encouragent à ne pas choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron
©Chantal BRIAND / AFP

Machiavel plus qu'Adam Smith

S’abstenir, choisir officiellement aujourd’hui de ne pas choisir, c’est se préparer à influencer les choix de demain, sans le dire. C’est un comportement tactique clair, et très réfléchi, qui anime Jean-Luc Mélenchon.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Abstention : le mot fait recette, avec Jean-Luc Mélenchon ou Jean-Lassalle, qui placent à égale distance Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Cette abstention en politique, c’est officiellement choisir de ne pas choisir et proclamer qu’on se met "en dehors". Une attitude entièrement contraire à l’économie, la science des choix humains, nous dit Adam Smith. En effet, pourquoi et comment ne pas choisir ? Notre vie se passe à choisir entre A et B, en fonction d’une foule de critères, dont le revenu, les prix, nos inclinaisons et notre humeur du moment. Choisir, c’est préférer A à B, de façon aussi libre et éclairée que possible. Préférer de façon libre, sans la pression d’un despote bien sûr, autrement dit en pleine concurrence et transparence. Préférer de façon éclairée aussi, en écoutant, lisant, s’informant, en exerçant notre libre arbitre.

D’abord, s’abstenir, choisir de ne pas choisir, c’est penser que la suite des événements sera au fond la même, quel que soit le résultat final. C’est penser qu’il n’y a pas de risque catastrophique d’un côté – disons Marine Le Pen, par rapport à des choix critiquables de l’autre – disons Emmanuel Macron. C’est donc envoyer un message d’équilibre dans le refus de choisir, équilibre qui est un choix essentiel.

Ensuite, s’abstenir change la donne, pour aujourd’hui et demain. Aucun choix n’est ni strictement individuel, ni entièrement neutre. Beaucoup de ceux qui s’abstiennent tendent en effet à le manifester haut et fort, pour que d’autres fassent de même. Le vote est peut-être secret, l’abstention rarement silencieuse. Elle est tout sauf abstinence, parce qu’elle veut affecter les rapports de force aujourd’hui et demain. S’abstenir, c’est affaiblir le camp qu’on pense qui restera majoritaire, puisqu’il aura moins de voix et que son écart avec l’autre sera réduit. Par exemple, à partir d’un vote à 60% pour Macron et à 40% pour Le Pen sans abstention, puis avec un taux d’abstention de 10% qui n’affecterait pas les répartitions antérieures, Macron aura 54% des voix contre 36% pour le Pen : son influence pour la suite sera moindre.

S’abstenir, c’est bien plus affecter les choix des autres que le sien propre. C’est affecter les choix de tous, en réduisant l’écart entre les deux candidats qui restent en lice. C’est donc avantager celui qui est le plus clivant, Marine Le Pen en l’espèce. Surtout, c’est créer une poche d’électeurs pour la suite, les élections législatives… Les abstentionnistes des jours prochains seront nettement sollicités pour voter pour les candidats de "La France insoumise" le 11 juin. Il s’agira alors de donner naissance à des triangulaires, voire à des quadrangulaires le 18 juin. A ce moment-là, le poids des abstentionnistes d’aujourd’hui, qui ne changerait pas l’issue de la présidentielle dans l’optique même de ceux qui appellent à l’abstention, pourra nettement affecter celle des législatives. Les abstentionnistes d’aujourd’hui seront les frondeurs organisés de demain, plus puissants, freinant les lois et les changements, poussant le gouvernement au 49-3, attisant les tensions sociales et les manifestations.

En fait, s’abstenir, choisir officiellement aujourd’hui de ne pas choisir, c’est se préparer à influencer les choix de demain, sans le dire. C’est un comportement tactique clair, et très réfléchi, qui anime Jean-Luc Mélenchon. Il veut éviter de diviser ses troupes, de les perturber, de les voir se mêler aux autres, surtout à celles d’Emmanuel Macron dont elles sont évidemment plus proches que celles de Marine Le Pen – pour s’attribuer ensuite les abstentions. C’est donc une assez bonne réponse tactique que celle d’Emmanuel Macron que de dire que Jean-Luc Mélenchon a "trahi les siens", notamment les électeurs communistes, ouvriers et les jeunes. A diviseur, diviseur et demi ! Jean-Luc Mélenchon prépare un regroupement qui mettra à mal le Parti communiste, s’il ne le rejoint pas, et posera des problèmes au Parti socialiste. Rien de cela n’est lié au hasard. Jean-Luc Mélenchon demande à ses troupes de rester groupées en s’abstenant, mais indique qu’il sait bien, pour ce qui le concerne, ce qu’il fera "en tant qu’individu libre". Autrement (non) dit, il votera Macron ! Ceux qui s’abstiennent suivront ses consignes, ceux qui votent Macron leurs choix personnels (et l’affaibliront alors) et rarissimes seront ceux qui iront chez Marine Le Pen : bien joué !

Machiavel plus qu’Adam Smith : cette abstention est un choix de manipulations multiples, avec leurs effets à court et moyen terme. C’est surtout affaiblir le pouvoir futur et porter plus à gauche une large part de la jeunesse, l’éloignant de la sortie de cette crise. Dire "ne pas choisir" c’est non seulement choisir soi-même, mais plus encore influencer le choix des autres dans le temps. Cette "économie du non choix" est donc une économie exclusivement politique.

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