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Whirlpool, une anecdote ? Jacques Attali et les redoutables impensés de la France qui va bien
©ITélé

Petits marquis

Jacques Attali s'aveugle totalement en ne voulant pas voir que les nouveaux emplois que crée l'économie française le sont bien loin des chômeurs créés à Amiens par la fermeture de leur usine.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Interviewé sur le plateau de LCI, Jacques Attali a déclaré que l'avenir des salariés de Whirlpool relève de «l'anecdote» car celui s'inscrirait dans un contexte plus large de création d'emplois. Si Jacques Attali peut avoir raison en termes statistiques, quelles sont les dimensions du problème qui semblent lui échapper, aussi bien en termes géographiques, qu'en termes de différences entre emplois créés et emplois détruits ?

Laurent Chalard : Le premier élément, qui relève de l’évidence, est l’existence de dynamiques très différenciées d’évolution de l’emploi sur le territoire national, ce qui sous-entend que l’emploi ne se crée pas forcément dans les territoires où il est détruit. En conséquence, il n’existe pas un système de vases communicants qui ferait que les travailleurs ayant perdu leur emploi en un lieu donné en retrouvent mécaniquement un dans les zones, éloignées parfois de plusieurs centaines de kilomètres, où l’emploi se crée, les êtres humains n’étant pas des flux financiers qui circulent quasi-instantanément d’une extrémité à l’autre de la planète, n’en déplaise à Monsieur Attali.

Le second élément concerne la nature des emplois créés et détruits. Il n’y a pas besoin d’avoir fait l’ENA pour comprendre qu’un ouvrier peu qualifié qui perd son emploi ne va pas pouvoir occuper un emploi d’ingénieur dans le secteur aéronautique ou de trader dans la finance ! En effet, la France se caractérise par des créations d’emploi dans des secteurs à haute valeur ajoutée, alors que l’emploi industriel peu qualifié se réduit.

La déclaration de Jacques Attali, au-delà du mépris traditionnel affiché pour les travailleurs par un personnage à l’égo surdimensionné caricatural, témoigne donc d’une méconnaissance des réalités des dynamiques territoriales, ce qui n’a rien de surprenant de la part de quelqu’un qui ne comprend rien à la géographie. 

En quoi les emplois industriels, et leur maillage du territoire sont pourtant décisifs pour le pays ? 

L’économie française a beaucoup souffert de la désindustrialisation ces dix dernières années, à l’origine de l’accentuation du chômage de masse et d’une perte de compétitivité des produits français sur le marché international, conduisant au déficit de la balance commerciale hexagonale. Or, au sein de l’Union Européenne, les territoires qui se portent le mieux sont ceux qui possèdent une base industrielle solide, en l’occurrence la fameuse dorsale européenne, qui va du Benelux à l’Italie du Nord, en passant par l’Allemagne et la Suisse. Le maintien d’une base industrielle constitue donc une condition sine qua non si la France ne souhaite pas que le chômage de masse perdure éternellement, conduisant à une contestation sociale de plus en plus forte.

Concernant le maillage du territoire, l’industrie constitue le point de force de l’économie française en-dehors des grandes métropoles. En conséquence, toutes pertes d’emplois industriels a des conséquences dramatiques sur le fonctionnement des territoires concernés, qui s’engagent dans des cercles vicieux qu’il est extrêmement difficile à contrecarrer. Les pertes d‘emploi amènent des pertes d’habitants et une réduction de l’activité commerciale et des besoins en services aux particuliers, d’où de nouvelles pertes d’emplois, qui accentuent la baisse de la population et conduisent à la réduction des services publics, ce qui mène à de nouvelles pertes d’emplois et une diminution de la population, et ainsi de suite… 

Quelles sont les chances de ces salariés, localisés dans des zones industriellement sinistrées, de se réinsérer dans le monde de l'emploi au fil des années ? La mobilité, vers des zones plus favorisées en termes de création d'emplois, est elle une réalité ?

Au niveau local, les chances de réinsertion dans les zones industrielles sinistrées sont, bien souvent, faibles, surtout pour les ouvriers et les employés les plus âgés, qui ne sont pas en position de se former de nouveau. En conséquence, ils se transforment en chômeurs de longue durée, puis vivent des aides sociales jusqu’à ce qu’ils aient le droit de toucher leur pension de retraite. Pour leurs familles, l’impact psychologique est considérable, puisque le fait d’avoir un membre de sa famille qui ne travaille pas réduit ses propres chances de réussite sociale. Pour les plus jeunes, s’ils veulent échapper au déclassement local et familial, l’émigration est la seule porte de sortie.

Dans ce cadre, la mobilité vers les zones plus favorisées en terme de création d’emplois est réelle, mais elle ne concerne qu’une partie de la population, en général la plus diplômée, celle qui a fait des études supérieures, et qui est encore relativement jeune, c’est-à-dire les célibataires ou les familles sans enfants. En effet, pour une famille avec des enfants, il apparaît beaucoup plus complexe de déménager dans une autre région de France car il n’est pas sûr que le conjoint retrouve un emploi, ce qui est d’ailleurs l’un des facteurs explicatifs du fort chômage constaté dans des territoires dynamiques sur le plan de l’emploi comme les départements de Haute-Garonne ou de l’Hérault. Pour les personnes peu diplômées, les perspectives de retrouver un emploi ailleurs ne sont pas aussi bonnes que pour les plus diplômées et leurs moyens financiers limités rendent les déplacements extrêmement coûteux, se retrouvant d’une certaine manière « assigner à résidence ». Il s’ensuit que le vieux slogan « vivre et travailler du pays » demeure d’actualité aujourd’hui.

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