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Lendemain difficile de vote : après la chute du PS et de LR, la qualification de Macron et Le Pen, voici les trois questions majeures que soulèvent cette élection
©REUTERS/Jacky Naegelen

Lendemain de cuite

La qualification d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, même si elle n’est pas flamboyante, marque un tournant. La victoire de ces deux outsiders témoigne de la recomposition en cours des clivages idéologiques.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Il n’y a donc pas eu de surprise. Les sondages avaient vu juste. Il faut être beaux joueurs : on aime détester les sondages, mais force est de constater qu’ils ont été bons. Non, les sondeurs ne sont pas des charlatans ou des apprentis sorciers ; et non les élections ne sont pas dépourvues de toute logique au point d’échapper à la prédiction. Ce succès autorise à penser que les sondages ont bien vu les grandes inflexions de la campagne, que ce soit l’effondrement de François Fillon et de Benoît Hamon, la percée de Jean-Luc Mélenchon, le tassement de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron, l’effacement des petits candidats (à l’exception de Nicolas Dupont-Aignan). 

Le PS et LR sortent donc grands perdants de ce scrutin. Ils subissent tous deux un sérieux revers. Leur échec est d’autant plus retentissant que ceux-ci ont réussi à survivre à la crise économique de 2007-2008. En 2012, ils sont parvenus à qualifier leur candidat respectif pour le second tour avec des scores très honorables (28,6% pour François Hollande, 27,2% pour Nicolas Sarkozy). Cinq ans plus tard, aucun de ces deux partis n’est en mesure d’accéder au second tour. Le PS s’est effondré comme jamais au cours de son histoire, tombant presque au niveau de la SFIO en 1969 (5% pour Gaston Deferre) ; quant à la droite, elle n’a pas réussi à tirer profit de l’impopularité du président Hollande et a fini par se faire voler une victoire qui lui semblait acquise d’avance. Pour la première fois, l’alternance gauche-droite ne va pas jouer, ce qui suffit déjà à montrer l’ampleur de la crise. Les primaires n’ont pas permis d’empêcher le désastre ; peut-être même ont-elles contribué à l’amplifier.

La qualification d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, même si elle n’est pas flamboyante, marque donc un tournant. La victoire de ces deux outsiders témoigne de la recomposition en cours des clivages idéologiques. Le traditionnel clivage gauche-droite n’a pas totalement disparu, mais il est désormais fortement concurrencé par un nouveau clivage : d’un côté, un pôle libéral-mondialiste dont le socle électoral est constitué par les gagnants de la mondialisation ; de l’autre, un pôle étatiste-nationaliste qui regroupent les perdants de la mondialisation. Ce clivage ne tombe pas du ciel. Il découle des dynamiques qui sont à l’œuvre depuis la fin de la guerre froide, avec l’ouverture des frontières et l’internationalisation des échanges. La globalisation a provoqué de profondes transformations dans les sociétés occidentales, avec notamment le transfert de l’industrie vers les pays émergents, le développement des services, la concentration des activités dans les grandes métropoles, la diversification des populations sur le plan ethno-religieux. Ces transformations se traduisent désormais sur le plan électoral : elles provoquent une opposition entre ceux qui approuvent ces évolutions et ceux qui les refusent. On le voit aujourd’hui en France, mais ce n’est pas un problème spécifique à la France, ni même à l’Europe : si Marine Le Pen fait écho à Donald Trump, Emmanuel Macron fait aussi écho à Hillary Clinton ou à Justin Trudeau.

Quels sont maintenant les enjeux à venir après ce premier tour ? On peut en mentionner trois dans l’ordre chronologique. Concernant d’abord le second tour, si la victoire d’Emmanuel Macron ne fait aucun doute, une inconnue subsiste sur le score de Marine Le Pen. Contrairement à son père, qui avait stagné entre les deux tours de 2002, celle-ci va certainement être en mesure d’augmenter significativement son score. La question est de savoir jusqu’où elle va monter. L’écart avec son score initial constituera un bon indicateur de la réussite ou de l’échec de sa stratégie de dédiabolisation, et ce d’autant plus que Marine Le Pen a fortement orienté sa communication vers le second tour, quitte parfois à désarçonner ses propres sympathisants comme le montre son tassement au cours de la campagne. 

Le deuxième enjeu concerne les élections législatives. Emmanuel Macron peut-il espérer obtenir une majorité de députés acquis à sa cause ? Cela paraît peu probable car son mouvement « En Marche » est très jeune. Ses candidats sont donc peu connus. En outre, on imagine mal que son élection suffise à enclencher une dynamique puissante qui lui permettrait de provoquer un raz-de-marée. En revanche, ce qui paraît plus plausible, c’est que le PS obtienne de très mauvais résultats, vu l’effondrement de Hamon, ce qui ne sera pas le cas des Républicains. Ces derniers ont en effet des chances raisonnables d’obtenir une majorité à l’Assemblée, donc de peser fortement sur la composition du futur gouvernement. Du coup, la gauche va se trouver en porte-à-faux : après avoir appelé à voter Macron, elle aura du mal à expliquer pourquoi elle désapprouve la politique que celui-ci va mener. 

Le troisième enjeu se situe au-delà des élections. Il s’agit de savoir si cette élection va permettre à la société française d’affronter dans de bonnes conditions les défis à venir. Car ces défis sont très importants. On pense bien sûr à la lutte contre le terrorisme, mais aussi à la laïcité, à l’Union européenne, à la protection sociale et à tous les autres sujets qui n’ont pas toujours été discutés durant la campagne comme l’indépendance des médias. On pense également aux enjeux internationaux, dont on peut remarquer qu’ils n’ont jamais été aussi présents durant une campagne présidentielle avec les polémiques très vives sur la Russie, la Syrie, la Turquie ou encore sur les pays du Golfe. Il est d’ailleurs significatif de voir que plusieurs candidats ont proposé d’augmenter le budget de la défense ou de restaurer le service militaire, ce qui montre que les temps changent. L’optimisme des décennies passées quant à la marche du monde n’est plus vraiment de mise.

La difficulté est que, dans ce contexte tendu, la légitimité du nouveau président va être faible. Certes, Emmanuel Macron a su faire une remarquable percée puisqu’il est parti de rien. Mais il va être le président qui a obtenu le plus faible score au premier tour, juste après Jacques Chirac (19% en 2002). De plus, il ne va pas bénéficier du soutien d’un appareil politique et, pire encore, il s’annonce comme un président très clivant, comme le montre déjà le refus de Jean-Luc Mélenchon de le soutenir. 

Un scénario optimiste est qu’Emmanuel Macron parvienne à compenser ses faiblesses, à trouver de bons équilibres, par exemple en constituant une majorité élargie, une sorte d’union sacrée, ce qui ne paraît pas impossible compte-tenu du caractère particulièrement flou de son projet présidentiel. Mais on ne peut écarter un scénario plus pessimiste : celui d’un président faible ou effacé, suscitant de violentes critiques sur sa gauche comme sur sa droite. Ce risque est d’autant plus plausible que l’on assiste à une radicalisation politique de part et d’autre, aussi bien à droite qu’à gauche, comme en témoignent les poussées respectives de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon. L’expression de « guerre civile » s’est banalisée. Cette expression est certainement excessive, mais elle est significative d’un changement de contexte. Dans l’électorat de droite, la répétition des attaques terroristes et les poussées de l’islamisme donnent l’impression que les pouvoirs publics sont passifs ou indifférents. Dans l’électorat de gauche, il existe un attrait pour la radicalité, comme on a pu le constater lors des mobilisations contre l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes ou contre la loi travail, sans oublier les violences chroniques contre les policiers. Le futur président aura-t-il la possibilité de mener à bien les réformes qu’il a promis, voire d’effectuer sa « révolution » pour reprendre le titre de son livre-manifeste ? Saura-t-il surtout trouver les bonnes réponses face aux défis actuels ? Le risque est que le président soit finalement contraint de privilégier l’immobilisme, au moment même où des attentes fortes et contradictoires se manifestent. 

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