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Portrait de ces trois France qui votent à la présidentielle
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Zoom politique

Ce 23 avril, les Français s'apprêtent à se rendre dans leurs bureaux de vote pour le premier tour de l'élection présidentielle. Cependant, le territoire français est loin d'être homogène et trois France semblent se dégager.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Quelles sont les caractéristiques principales (sociologiques, économiques) de ces "3" France qui semblent se dégager ? Entre la France des métropoles, celle des exclus de cette même métropole, et celle qui est désormais appelée la France Périphérique ?

Laurent Chalard : Dans la France des métropoles intégrées à la mondialisation, se distinguent deux catégories de population : d’un côté, les bénéficiaires du modèle économique néolibéral et, de l’autre, une sorte de « lumpenprolétariat » qui lui permet de fonctionner.
Concernant les bénéficiaires, on retrouve très largement surreprésentés dans les métropoles,les cadres et les professions intermédiaires, employés du tertiaire, en particulier du tertiaire supérieur. Ce sont, en règle générale, des populations diplômées, disposant d’un Bac + 2 a minima. Ces populations résident dans les quartiers bourgeois traditionnels ou gentrifiés des villes-centres, dans les banlieues « chics » ou dans « l’espace périurbain choisi », où elles se logent dans un habitat individuel. Même si elle se compose essentiellement de Français d’origine européenne, cette catégorie de population se caractérise par son déracinement, dans le sens que presque tout le monde est descendant d’immigrés venus d’ailleurs, plus ou moins loin (des campagnes environnantes à d’autres pays européens), avec des origines diverses et variées (par exemple, les Parisiens ont souvent des ancêtres dans diverses régions françaises ne leur permettant pas de s’identifier à une origine spécifique). Il s’ensuit une moindre attache au territoire et aux idéaux nationaux, ces populations se présentant comme des sortes de « nomades modernes », qui voyagent en permanence, « l’ailleurs », entendu comme les autres lieux de la planète connectés, leur paraissant, bien souvent, plus proche que le reste de l’hexagone. Ces populations manifestent consécutivement un désintérêt certain pour le reste de la France, perçu comme « plouc ».

Concernant le « lumpenprolétariat », nous avons affaire essentiellement à des ouvriers du secteur secondaire, de moins en moins nombreux du fait de la désindustrialisation des métropoles, et des employés du tertiaire, beaucoup plus nombreux, qui occupent les emplois sous-payés et dévalorisant dont la métropole a besoin pour son fonctionnement : restauration, gardiennage, garde des enfants, aide à la personne, nettoyage… Ce sont despopulations peu diplômées, qui ont, en règle générale, un niveau d’études inférieur à Bac + 2. Cependant, se distinguent en leur sein deux types de personnes : d’un côté, des immigrés non européens et leurs descendants, qui logent principalement dans les grands ensembles des villes-centres ou des banlieues, et, d’un autre côté, des populations d’origine européenne, qui vivent encore dans ces grands ensembles dans les métropoles de taille intermédiaire, mais de plus en plus dans « l’espace périurbain subi », éloigné du cœur de la métropole. Quelle que soit leur origine ethnique, ces populations apparaissent beaucoup plus sédentaires que les précédentes du fait de leur faible niveau de revenus. Cependant, en fonction de l’origine, l’enracinement varie fortement. Pour les descendants d’immigrés extra-européens, l’identité du pays d’origine a tendance à être revendiquée, alors que pour les Français d’origine européenne, c’est plutôt l’enracinement dans une nation française mythifiée qui l’emporte dans un contexte de tensions ethniques non négligeables.

Dans la « France Périphérique », entendue comme la France à l’exclusion des grandes métropoles, c’est-à-dire un conglomérat de territoires divers et variés aux dynamiques économiques différenciées (certains se portent bien), le profil des habitants est sensiblement différent des métropoles. Il s’y constate une surreprésentation des ouvriers, l’industrie s’y concentrant, et des employés, administratifs en particulier du fait du poids de l’emploi public. A contrario, les cadres sont largement sous-représentés, les professions intermédiaires faisant office d’élite. En toute logique, ce sont donc des personnes peu diplômées, qui ont rarement fait des études supérieures longues.Au niveau de la composition de la population, les immigrés non européens sont beaucoup moins nombreux. En conséquence, l’une des principales caractéristiques de ces territoires, qui les distinguent fortement des grandes métropoles, est le fort enracinement de leurs habitants au territoire, lié à un héritage, puisqu’au moins une partie de leurs ancêtres résidait déjà au même endroit depuis plusieurs siècles.Il s’ensuit une relative sédentarité, dans le sens que la majorité de la population vit dans le même département que celui où elle est née. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que les habitants de la « France Périphérique » ne voyagent pas, mais ils le font moins souvent et ne le perçoivent pas comme un besoin, se sentant bien là où ils vivent. Le rejet massif de l’immigré non européen, porteur de transformation de l’espace quotidien, est une conséquence de cet enracinement.

De manière générale, quels sont les votes de ces 3 France ? Quelles en sont les principales tendances et leur poids respectif dans le total des électeurs ? 

Dans la France des métropoles, les bénéficiaires de la mondialisation votent assez logiquement pour les candidats défendant le modèle économique dominant qui leur est favorable : le libéralisme économique, en l’occurrence François Fillon et Emmanuel Macron, le choix entre les deux candidats dépendant beaucoup plus de variables autres comme l’âge (les retraités plutôt pour Fillon, les jeunes cadres plutôt pour Macron) et de choix sociétaux (conservateurs pour Fillon, progressistes pour Macron).

Par contre, le « lumpenprolétariat » de la France des métropoles a un vote sensiblement différent (pour ceux qui ont le droit des votes s’entend, les étrangers ne votant pas) qui s’apparent à un vote de classes populaires, beaucoup moins favorable au libéralisme économique. En conséquence, cette population est séduite par les candidats s’affichant contre le modèle économique dominant, le libéralisme économique, tel que Jean-Luc Mélenchon, candidat type, ou Marine Le Pen,qui exerce  plutôt son pouvoir d’attraction dans « l’espace périurbain subi » du fait de l’origine de la population (principalement européenne).Cependant, il faut garder en tête, que c’est souvent l’abstention qui l’emporte en réalité parmi ces populations.

Dans la « France Périphérique », qui est globalement plutôt perdante dans le cadre de la nouvelle division internationale du travail, le vote des classes moyennes basses et populaires est cependant différent de celui du « lumpenprolétariat » des métropoles, car la question identitaire l’emporte avant tout. En conséquence, les candidats de droite, Marine et Le Pen et François Fillon, qui tiennent le discours le plus ferme sur l’immigration, sont plébiscités. Cependant, étant donné la diversité de la « France Périphérique », il existe des différences régionales importantes liées à l’histoire, qui font que localement la gauche est dominante, par exemple dans une partie du sud-ouest.

Comment ce rapport au territoire a t il évolué dans le temps ? Quelles sont les principaux changements que l'on peut identifier au cours de ces dernières années, et dernières décennies ?

Avec l’urbanisation massive de la France et le développement d’une immigration de plus en plus internationale au cours du XX° siècle, le rapport au territoire dans les populations hexagonales a sensiblement évolué. Il faut rappeler qu’au début du XX° siècle, la France était encore un pays rural, à l’enracinement local très fort, la majorité de nos concitoyens effectuant l’ensemble de leur vie au sein d’un même département. C’est cette France, qui était déjà en train de disparaître, que le Maréchal Pétain avait encensée pendant l’Occupation allemande. Cependant, en ce début du XXI° siècle, la situation n’est plus la même, avec une opposition entre territoires aux populations déracinées et territoires où continuent de dominer un enracinement certain.

Dans les grandes métropoles, le déracinement s’est accentué ces dernières décennies avec les nouvelles générations nées dans ces grandes villes, qui ont totalement perdu l’attachement à la terre, qu’avait la génération de leurs parents ou grands-parents qui avaient migré à la ville, d’autant que ces derniers présentaient souvent des origines diversifiées. En effet, une fois que les « anciens » décèdent et que les mélanges se multiplient, les liens familiaux avec les territoires ruraux d’origine se dilatent, jusqu’à disparaître totalement, les individus ne pouvant guère plus revendiquer « une origine », chose favorable au « nomadisme ».

Dans la « France Périphérique » et plus spécifiquement dans la France rurale, la situation a beaucoup moins évolué, dans le sens que le maintien des liens familiaux traditionnels est assuré, les jeunes générations demeurant plus ou moins au même endroit qu’au moins un de leurs parents, d’où un enracinement qui perdure. Ce dernier se traduit par un attachement à la terre et à ses traditions, d’autant plus fort que ces populations voient les changements culturels importants que connaissent les grandes métropoles après plusieurs décennies d’immigration extra-européenne continue. Il y a donc une revendication identitaire de plus en plus forte en réaction àcette immigration, mais aussi à la perte d’attachement au territoire qui caractérise les élites des grandes métropoles, qui, d’une certaine manière, du fait de leur cosmopolitisme affiché, sont considérées comme « traîtres » à l’âme séculaire de la nation française par une partie des Français ruraux.

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