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Record de création d’emplois en zone euro depuis 10 ans : mais comment la France pourrait-elle faire pour maximiser ses résultats au cœur de la reprise ?
©acturelab.com

Sauter dans le wagon

Du fait de l'absence de réactions des pouvoirs publics, depuis 2012, suite à la crise des dettes souveraines, la France se traîne économiquement parlant, avec un double déficit, à la fois commercial et public.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : L'indice PMI pour la zone euro a, une nouvelle fois, augmenté en avril, pour atteindre son plus haut niveau depuis 6 ans (56.7) selon les chiffres communiqués par IHS Markit. Le groupe d'études et de conseil aux entreprises précise également que la création d'emplois dans la zone euro vient d'atteindre son plus haut niveau depuis 10 ans. Comment expliquer alors, qu'au cours des 5 dernières années, la France n'ait pas su tirer profit de son potentiel de croissance ?

Philippe Crevel : Aussi paradoxal que cela puisse paraître aux yeux des Français, la situation économique s’améliore de jour en jour en Europe. Les stigmates de la grande récession de 2008 commencent à disparaître. Plusieurs pays connaissent à nouveau le plein emploi : l’Allemagne, les Pays-Bas, la République tchèque, le Royaume-Uni, les Etats-Unis. Le chômage, qui avait atteint des sommets, recule en Espagne et au Portugal. L’assainissement des comptes publics, opérés en Europe après la crise des dettes souveraines en 2011, est en bonne voie, même au sein des Etats d’Europe du sud. L’Espagne, le Portugal, l’Italie et même la Grèce pourraient respecter la barre des 3 % de PIB de déficits publics. La croissance commence à prendre ses quartiers même en Europe. L’Espagne enregistre depuis deux ans une croissance de 3 %. Une grande majorité des pays européens ont des croissances de 2 %. Avec un tel contexte, il n’est pas étonnant que les indices PMI, qui reflètent l’opinion des directeurs d’achat des entreprises, soient au plus haut depuis 6 ans.

Même si les indices PMI de la France sont également en hausse, il n’en demeure pas moins que notre pays a accumulé un réel retard en matière de croissance, d’emploi et d’assainissement des comptes publics.

Ces cinq dernières années, la France a navigué à vue en hésitant sur la politique à mener. La France avait été moins touchée que ses partenaires par la grande récession et par la crise des dettes souveraines du fait du poids de ses amortisseurs sociaux. En revanche, du fait de l’absence de réactions des pouvoirs publics, depuis 2012, la France se traîne économiquement parlant avec un double déficit, déficit commercial et déficit public. Notre pays a été incapable de relever le défi de la compétitivité, avec à la clef une diminution de ses parts de marché à l’exportation.

En 2012, François Hollande, empêtré dans son programme démagogique, a opté pour une politique à contretemps. Il a relevé, entre 2012 et 2013, les prélèvements obligatoires sur les classes moyennes, les CSP + et les entreprises au moment même où la croissance était faible. Il a cassé la machine économique française sans pour autant mettre en œuvre des politiques de réforme structurelle. Les ménages ont réduit leur consommation, les entreprises ont ralenti leurs investissements. Du fait de l’adoption de la loi Duflot, la construction de logement s’est effondrée à moins de 350 000. Du fait de cette politique inappropriée, le nombre de demandeurs d’emploi s’est accru : 540 000 en plus en 5 ans. François Hollande avait fait le pari d’un retour rapide de la croissance de l’économie mondiale, qui aurait limité les effets de la potion amère qu’il appliquait au pays. Surtout, il pensait que ce retour lui éviterait de réaliser des économies budgétaires.

Au bord du gouffre économique et conscient des erreurs commises entre 2012 et 2013, François Hollande a réorienté, dans un deuxième temps, ou plutôt tenté de réorienter sa politique économique. Avec le CICE, le pacte de responsabilité, il a voulu renforcer l’offre, la compétitivité des entreprises. Mais cette conversion tardive s’est opérée dans la douleur avec la montée en puissance de son propre parti des frondeurs. En outre, en raison de négociations au sein de la gauche aboutissant à de multiples concessions, le gouvernement a pratiqué l’art de la godille. In fine, de demi-mesure en demi-mesure, la France n’est pas en position pour générer sa propre croissance et pour capter le vent de la croissance de l’économie mondiale. Le déficit public demeure un des plus élevés de l’Union européenne. La France a atteint des sommets en matière de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques. Par ailleurs, la dette publique constitue une menace de moins en moins fantôme pour les prochains gouvernements.

A l'aube de l'élection présidentielle, qu'est-ce qui permettrait à la France de maximiser son rattrapage économique désormais ?

La France a besoin d’un cap et d’une politique économique simple et efficace. Se battre pour réduire un déficit, une dette n’est pas très motivant. Faire du retournement de la courbe du chômage, l’OBJECTIF d’un mandat n’a aucun sens économique. Les pouvoirs publics devraient avoir comme objectifs de faire de la France un pays compétitif, un pays de la haute technologie, du tourisme durable….. Comme au moment du TGV ou du Concorde, il faut prendre des risques. Ce n’est pas à l’Etat de construire, de chercher, d’innover mais c’est à l’Etat de créer l’environnement favorable. Les pouvoirs publics doivent être des catalyseurs. I

Le nouveau président, le nouveau gouvernement, ne doivent surtout pas regarder l’indice, l’indicateur de demain ou d’après-demain. Ils doivent être enfin des stratèges pour faire de la France un pays plus grand.

Un grand plan de mobilisation en faveur de la formation associant le corps professoral, les acteurs locaux, l’Etat, devrait être engagé avec des objectifs simples : maîtrise des fondamentaux, obtention d’un taux de réussite à l’enseignement supérieur dans les zones en difficultés et dans les zones rurales. Il faudrait appliquer des méthodes d’enseignement dérogatoires au sein de ces zones. Le nombre d’élèves par classe devrait être réduit dès que, dans un établissement scolaire, les résultats baissent. Il faudrait généraliser les cours sous forme d’ateliers comme dans les pays d’Europe du Nord.

Les entreprises devraient être incitées à participer à l’effort de formation. Ainsi, toutes les grandes entreprises devraient mettre en place des classes d’apprentissage ouvertes sur les bassins d’emploi. De même, la formation continue devrait être rendue obligatoire avec des modes de financement qui ne pénalisent pas les PME. A cet effet, les Comités d’entreprise ne devraient plus être des structures au sein des entreprises mais des émanations de bassins d’emploi ou des émanations de branches professionnelles.

Le rattrapage économique de la France passe par un effort en faveur de l’investissement avec le maintien, comme le propose François Fillon, du régime dérogatoire d’amortissement. Il convient également de permettre aux Français d’améliorer leur pouvoir d’achat qui stagne depuis 5 ans. Cela passe par l’obtention de gains de productivité. La possibilité d’augmenter le nombre d’heures de travail est sans nul doute indispensable afin de rétablir les grands équilibres de notre pays.

Depuis 10 mois, les chiffres PMI pour la France ne cessent d'augmenter selon IHS Markit, témoignant d'une accélération de l'activité économique. Quels sont les facteurs pouvant expliquer cette dernière ? Sont-ils durables ?

La France bénéficie de l’amélioration de la conjoncture de l’économie mondiale. La politique de relance des Etats-Unis, le retour de la croissance au sein des pays exportateurs de pétrole, le moindre ralentissement que prévu de l’activité en Chine expliquent l’optimisme de mise depuis quelques mois. Les pays d’Europe tirent enfin profit des politiques d’assainissement de leurs comptes publics.

Les annonces de la BCE de maintien d’une politique monétaire accommodante, au moins jusqu’à la fin de l’année voire au-delà, sont bien perçues par le milieu économique.

Les entreprises, après des heures noires en début de mandat, commencent à tirer profit des baisses des prélèvements décidés depuis 2013. Le chômage semble se stabiliser, voire à légèrement de baisser, même si ce recul se fait à petite vitesse en ce qui concerne la France. Les ménages français ont repris le chemin de l’investissement résidentiel.

Plusieurs facteurs pourraient contrecarrer ces bons indices : 

- La remontée des prix pourrait peser, en Europe et notamment en France, sur la consommation. La reprise de l’activité, en 2015, est imputable, essentiellement, à la baisse des cours du pétrole. Le pouvoir d’achat des ménages s’est accru, en moyenne, de plus de 1 000 euros entre 2015 et 2016 ;

- La remontée de l’inflation due à la hausse du prix du pétrole réduit le pouvoir d’achat des ménages et pourrait peser sur la demande intérieure. Certes, la hausse du baril de pétrole semble avoir atteint un palier. En raison de l’augmentation de la production américaine, le baril s’échange entre 50 et 60 dollars, ce qui est jugé comme un prix raisonnable, pas trop bas pour ne pas pénaliser les pays producteurs, pas trop haut pour ne pas freiner la croissance des pays avancés et des pays émergents non producteurs ;

- La progression des taux d’intérêt pourrait également jouer un mauvais tour à la croissance. Elle réduirait les marges de manœuvre budgétaires en aggravant le coût de la dette publique. Les agents économiques pourraient revoir leurs projets d’investissement en raison de l’augmentation des taux d’intérêt. Selon certains économistes dont ceux de Natixis, une hausse durable de 150 points de base des taux serait susceptible d’affecter la croissance ;

- La montée du protectionnisme est susceptible de ralentir la croissance de l’économie mondiale. Dans la catégorie des menaces, figurent également les négociations sur le Brexit.

Pour endiguer un éventuel ralentissement, les États européens ne disposent que de peu d’outils. La BCE ne peut pas rendre sa politique monétaire plus expansionniste car l’inflation est revenue, dans certains pays, dans la zone cible des 2 %. De même, l’arme de la dépréciation est de plus en plus délicate à manier. Elle entraînerait une réaction des États-Unis et, en outre, il n’est pas certain que son effet sur l’activité soit réel. 

Le retour de l’optimisme se briserait net en cas évidemment de victoire d’un candidat d’extrême droite ou de gauche en France. L’onde de choc ne s’arrêterait pas à la France. L’euro serait menacé d’implosion, tout comme l’Union européenne. Ce serait une nouvelle page qui se tournerait pour la France avec un saut dans l’inconnu. L’augmentation des taux d’intérêt provoquerait l’arrêt de l’investissement et entraînerait la chute des prix de l’immobilier. Le lancement d’une procédure de sortie de l’euro nécessiterait la mise en œuvre d’un contrôle des changes, des capitaux afin d’éviter leur fuite. Les banques et des compagnies d’assurance seraient en grande difficulté et il ne faut pas oublier, contrairement à ce que pense la très grande majorité des candidats à la présidentielle, que les banques et les compagnies d’assurance ne sont pas riches en tant que telles : elles le sont avant tout grâce à notre épargne dont elles sont les dépositaires. En cas de problèmes financiers, les premières victimes sont les déposants...

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