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2017 : comment le PIB chinois va dépasser celui d’une zone euro enfermée dans des erreurs économiques qui affaiblissent son économie...et le reste
©TENGKU Bahar / AFP

L'heure du dragon

En 2017, le PIB de la Chine devrait dépasser celui de la zone euro... Et si cette convergence était inéluctable, le modèle chinois, plus humble que celui construit par l'Union européenne dans les années 90, fait tout pour éviter les erreurs commises par le Vieux Continent.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Le FMI a annoncé que PIB de la Chine allait dépasser celui de la zone U.E. en 2017. Faut-il vraiment s'en étonner ? Si ce dépassement paraissait inéluctable, dans quelle mesure la zone euro est elle responsable, par son traitement "austéritaire", d'un résultat aussi soudain ? 

Mathieu Mucherie : Ce n'est pas très étonnant en effet. C'est le fruit de quatre décennies de grande réussite chinoise allié à une assiette qui est considérable puisqu'on est sur une base de population énorme ; et assez logiquement on en arrive là. C'était prévisible, on avait déjà beaucoup commenté que le fait que la Chine dépasse le Japon il y a moins de dix ans. On peut déjà annoncer qu'il dépasseront certainement les Américains d'ici 2025. 

Il y a deux grandes techniques de calculs qui ont chacun leurs défauts : en dollar et en dollar/parité de pouvoir d'achat. Si on calcule en dollar, on manque beaucoup de choses (le prix différencié des services etc.). C'est difficile de réfléchir en dollar seul, mais quand on calcule en dollar/pouvoir d'achat, on observe de nombreuses bizarreries que l'on a déjà remarqué plus d'une fois s'agissant des pays exportateurs de matière première. Mais de toute façon, les deux méthodes ne donnent pas des résultats totalement différents. Quand on regarde les courbes en dollar ou en dollar de PPA, de la Chine, il s'agit dans les deux cas de très belles courbes, régulières depuis 30 ans, avec évidemment des écarts sur les niveaux mais l'histoire est la même. La responsabilité de la zone face à cela est nulle. Cela se serait passé pareil avec des arrangements monétaires différents. Cela aurait été un petit peu moins rapide avec un peu plus de croissance en zone euro certes, mais quand on parle de plus de croissance en zone euro, il s'agit d'un point par an ! Dans le meilleur des cas, étant donné le potentiel de croissance (et là cela renvoie à la démographie et aux progrès techniques, choses que l'on peut difficilement doper monétairement) et du différentiel entre les deux zones, c'était inéluctable. Il n'y a donc pas de grosse responsabilité des décideurs européens ou dirigeants monétaires européens (ni de la crise monétaire qui n'a fait que précipiter de deux ou trois années le dépassement).

Beaucoup d'économistes ont fait des prévisions sur l'année où le PIB par tête  atteindrait 40 ou 50% du PIB américain, et s'entendent environ sur 2040 ou 2050. Un bon papier de la Fed parle de 2060 mais il me semble un peu restrictif. 

Après le fait qu'il y ait eu une double crise (2008 puis 2011-2013) et qu'on ai au moins perdu un demi-point de croissance pendant huit années de suite fait qu'on a peut-être perdu entre 3 et 6 points de PIB qui relèvent pour le coup de la responsabilité des Européens a peut-être un peu joué... mais il y a peu, les Chinois étaient à 50 points!L'essentiel de la convergence est de la responsabilité de la Chine qui a mis en œuvre une politique assez contracyclique, assez finement jouée... et là où certains  - comme Krugman qui avait affirmé que le modèle asiatique avait « trop de transpiration et pas assez d'inspiration » - pensaient qu'ils seraient rattrapés par des rendements marginaux décroissement (en gros ce qui avait rattrapé l'URSS), on constate que cela n'a pas l'air pour l'instant de toucher la Chine. Et ce parce qu'il y a du progrès technique (domestique et importé), parce qu'ils ont assez bien géré la crise de 2008 avec leur quantative easing qui a attendu 6 semaines et pas 6 ans comme en zone Euro. 

On peut ensuite faire des critiques sur le modèle chinois, sur la propreté des données, et sur son identité très utilitariste – avec tout ce que cela suppose : pas de cadeau, quand il faut construire un huitième périphérique autour de Pékin, ils le construisent, pas comme les Indiens qui attendent 40 ans. Ce n'est pas toujours beau à voir, mais c'est ce que nous faisions à l'époque de Pompidou et De Gaulle...

Il n'y a donc pas de responsabilité des Européens qui ont un peu hâté les choses en se tirant un peu trop de balles dans le pied, surtout monétairement !

Quelles sont les autres éléments économiques ou la Chine prend l'ascendant sur la zone euro, notamment en termes de monnaie, ou de capacité de négociations relatives au libre échange ? 

Ils développent une sorte de hub de croissance dans le Sud-Est asiatique. Ils ne commettent pas les péchés d’orgueil des Brésiliens ou des Russes qui tombent souvent dans la surextension impériale, ce que fait surtout la Russie. Le Brésil a été un peu trop autosatisfait, surtout quand les matières premières étaient assez élevées. Au contraire, les Chinois ont les ambitions de leurs moyens. Ils représentent 15 points du PIB mondial, ce qui leur permet d'avoir des ambitions, mais ils refusent d'avoir des ambitions mondiales.!ils ne sont pas encore arrivé au stade américain. Ils ne sont pas comme les Européens qui, il y a 20 ans, voulaient détrôner le dollar. Ils se positionnent pour un oligopole plus qu'un monopole, en quelque sorte. Ils sont en train de constituer une zone commerciale et monétaire régionale, comme sur le plan militaire. Ils sont bien entendu tourné vers Taïwan ou la Corée, mais cela reste bien entendu assez contenu, progressif et en ligne avec leurs moyens. Ils procèdent d'abord à une libéralisation progressive de la Finance (de façon très ordonnée en suivant comme depuis 40 ans la doctrine de Deng Xiaoping ). Puis ils constituent un marché obligataire et libèrent progressivement les entraves de sorte que le yuan devienne peu à peu une monnaie convertible. Vers 2020-2022, le yuan est convertible et jouera alors dans la cours des grands : il aura alors un rôle mondial avant de devenir progressivement dans les années 2020 une monnaie de référence au niveau régional, et une monnaie de réserve puisqu'il n'y a pas beaucoup d'inflation en Chine (une sorte de Deutschmark de l'Asie) et vers 2030-2040 le yuan deviendra une monnaie de substitution au dollar quand on en viendra à douter de Washington ou New York. Ce sera une sorte de plan B qui ne sera plus l'euro comme on le pensait il y a 25 ans (si l'Euro existe encore à cette date). Les autres plans B (le yen par exemple) n'ont pas la même valeur. Ce sera un yuan différent de celui qu'on connaît aujourd'hui, un yuan 2.0 adossé à une grande plate-forme financière à Hong Kong ou Shanghaï et espérons-le adossé aussi à un régime chinois un peu plus libéral !

En quoi ce dépassement économique peut il également être un avant goût d'un dépassement plus large, aussi bien militaire que diplomatique, sur la zone euro ? 

Ce sont malgré tout deux zones qui se recoupent assez peu et qui sont très différentes. Ce ne sont pas comme les Russes avec lesquels il y a toujours les Balkans en interface directe. Les Chinois ont pour l'instant peu d'intérêts en Europe. Je ne suis pas spécialiste des questions militaires ou diplomatiques, mais je note simplement que quand on regarde le long terme, la Chine veut retrouver la place qu'elle a perdue au XIXe et XXe siècle. Ces deux cents ans de déclassement accéléré et profond, la Chine veut les rattraper afin de retrouver un rang. Une vision assez conservatrice en somme.

Il y a une blague qui court beaucoup en Asie qui dit qu'on s'est retrouvé avec une bizarrerie quand la Chine est devenue communiste alors qu'il s'agit du pays le plus capitaliste par essence sur le long terme – à l'époque Tang et avant, cela toujours été un pays de marchands – et le Japon capitaliste alors qu'il s'agit du pays le plus collectiviste que l'on ait jamais connu. Et bien cette anomalie est en train de se résoudre progressivement. Il n'y a aucune raison fondamentale pour que les Chinois soient dix fois ou vingt fois plus pauvres que les Japonnais. C'est une anomalie totale que cela soit sur le plan culturel, religieux... et c'est même plutôt l'inverse : les Chinois devraient être plus riches que les Japonnais parce qu'ils sont plus nombreux, parce qu'ils peuvent jouer d'avantage sur la division du travail et qu'une fois qu'ils auront décloisonné les Provinces et unifié le marché il n'y a pas de raison pour qu'ils ne s'enrichissent pas fortement. 

Si les proportions sont respectées, ils jouerons un rôle de plus en plus important dans toute l'Asie du Sud-Est. Ils ont toujours eu de l'influence sur le Vietnam, et dans tous les pays à forte diaspora chinoise (Thaïlande, Indonésie, Singapour). Il est encore un peu tôt pour parler des Philippines, du fait de la personnalité rocambolesque de son nouveau président, mais elles devraient passer logiquement sous le giron chinois. La main-mise des Américains sur ces îles était elle-même une anomalie liée à la bêtise des Espagnols à la suite de la guerre de 1898. Et c'est un peu la même chose en Corée du Sud finalement. Et cette extension devrait se prolonger pendant une décennie d'autant plus que progressivement, les Américains leurs laissent ce bout de continent. 

Évidemment, il y a de fortes tensions entre ces différents peuples (Coréens, Chinois, Japonais etc.).. et cela ne sera certainement pas comme en Europe une zone avec des prétentions amicales et cette idée de fraternité européenne. On aura plutôt affaire à des intérêts bien compris. Et cela sera peut-être plus efficace ainsi. A voir. Il y a cependant encore beaucoup de freins à tout cela, à commencer par le régime nord-coréen, mais aussi au bellicisme de certains Chinois. Mais on voit bien dessiner cette zone de « coprospérité chinoise »  qui devrait générer environ 25% du PIB mondial bientôt. On peut évidemment envisager des expansions plus ambitieuses dans le Pacifique ou en Sibérie. Tout cela est un peu fantasmagorique, mais quand on voit que le gros de l'industrie australienne travaille déjà de facto pour les Chinois, que les Chiliens et même des gens de l'Oregon travaillent une grande partie de leur temps pour les Chinois aussi, on peut imaginer un bassin asiatique-pacifique dominé par la Chine dans quelques décennies. C'est ainsi que l'imaginait Villepin : un monde bipolaire. Si cela se fait pacifiquement, cela peut-être intéressant!Pour l'instant, je trouve qu'ils ont été rationnels économiquement ; et militairement ils ne partent pas dans des aventures hors de portée de leurs moyens. 

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