Courir une heure ferait gagner 7 heures de vie : vraiment ?! <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Courir une heure ferait gagner 7 heures de vie : vraiment ?!
©REUTERS/Lucy Nicholson

Cours toujours...

Parce qu'elles exercent une certaine fascination, les publications scientifiques - et plus particulièrement médicales - sont de plus en plus relayées dans la presse. Mais ne risque-t-on pas la surconsommation?

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau

Jean-Daniel Lalau est médecin, professeur de nutrition au CHU d'Amiens, docteur en sciences et en philosophie.

Il est l'auteur des livres En finir avec les régimes (éditions François Bourin) et Hospitalité - Je crie ton nom (éditions Chronique sociale). 

Voir la bio »

Atlantico : selon une nouvelle étude récemment publiée dans la revue américaine Progress in Cardiovascular Disease, faire une heure de course-à-pied permet d'allonger de sept heures sa longévité. Mais selon une autre étude parue dans l'European Heart Journal, publiée en 2014, la même activité sportive peut avoir des conséquences cardiovasculaires importantes. Aujourd'hui, les publications scientifiques abondent dans les médias, dont les largesses donnent souvent des interprétations inexactes de ces articles et qui résultent souvent sur des contradictions. Mais comment s'y retrouver face à cette masse d'informations? En quoi une étude n'exprime pas toujours une vérité, mais plutôt une série d'analyse à vérifier?

Jean-Daniel Lalau : Une étude apporte toujours « une vérité », si tant est que l’étude est méthodologiquement bien faite. A ce sujet, avant toute publication dans une revue scientifique, l’éditeur qui a reçu un manuscrit, adresse le projet d’article à des « reviewers » (à des personnes censées être des expertes sur le sujet, notamment sur la base de leurs propres publications), en nombre croissant selon la qualité du journal (jusqu’à cinq dans les grands journaux !), de sorte « qu’un bon papier », comme on dit dans le jargon ne peut pas être publié s’il n’est pas scientifiquement rigoureux.

Pour le cas présent, le résultat doit être entendu comme tel : pratiquer une activité physique fait effectivement gagner tant de temps. Nous connaissons bien les bénéfices sur les facteurs de risque cardiovasculaire.

Seulement, c’est « un bout » de la vérité, et ce qui est important est l’interprétation du résultat. Qu’est-ce qu’on en fait, en pratique clinique ? Comment transposer le résultat issu d’un groupe à l’échelon individuel ?

C’est le rôle déjà du chapitre de la discussion de l’article que de procéder à une analyse critique du chiffre brut (exemple : ce résultat est valide pour notre population, nord-américaine ; est-il transposable aux Esquimaux ou à la Nouvelle-Calédonie, dont le mode de vie est différent ?). Et c’est le rôle ensuite des médias que d’aider à « digérer » le résultat. Ne voit-on pas des politiques se bagarrer, avec une lecture différente… de mêmes chiffres ?!

Si l’on me demande donc mon avis, je dirais donc :

-          Le gain en espérance de vie est réel ;

-          Il ne vaut que pour la population étudiée (avec tel niveau de risque vasculaire) ;

-          Ce gain ne dénie absolument pas qu’un individu porteur d’une maladie coronarienne méconnue puisse présenter une mort subite (de sorte que l’EuropeanHeart Journal a raison aussi !) ;

Surtout, si on continue à exprimer les choses ainsi, en gain en jours, en mois, ou en années, de la même façon que l’on dit en miroir que fumer une cigarette ôte tant de minutes de vie ; eh bien, c’est la façon… la plus bête d’exprimer les choses ! D’abord, il faudrait nuancer car la revue doit donner un intervalle de confiance autour du résultat brut (ce n’est pas 7 heures, ou rien, mais 7 heures dans un intervalle dit « de confiance » : de tant à tant). Mais le plus important est de dire que cela n’est vrai que pour le groupe, en moyenne, et pour chaque sujet considéré isolément, ce n’est pas nécessairement 7 heures, ou rien. Selon que le fumeur va développer une bronchique, ou pas ; va présenter un cancer du poumon, ou pas ; il est évident que son parcours propre de vie ne sera pas le parcours moyen de vie, ou pas.


Faut-il remettre en cause le traitement médiatique que l'on réserve à ces études?

C’est le rôle des médias que de… médiatiser. Le terme même de « médiation » exprime bien – devrait exprimer ! – le rôle que devrait jouer un média d’invite à une lecture critique ; quitte à prendre appui, mais sans se défausser pour autant, sur un scientifique, pour mener en duo une lecture critique.
De mon point de vue, le média doit être – comme le médecin ! – un « éveilleur », un « passeur de sens ». Or, en ces temps pressés, agités même, nous ne prenons plus assez de temps pour nous approprier (= propre à soi, = propre tout court !) tel ou tel fait. On procède par trop souvent par simple relais, par simple accumulation des faits, dans une véritable gabegie.
Les mots « savoir » et « saveur » ont la même origine latine (de sapere) : il faut que ce soit bon à apprendre, que ce soit goûteux même, pour être retenu. Sinon, c’est du savoir jetable. Une « actu » en chassera toujours une autre…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !