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Pour qui votent les chômeurs à la présidentielle : analyse exclusive
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Présidentielle

Six millions de demandeurs d'emplois ont été au centre du débat entre les candidats. Analyse du comportement électorat des chômeurs.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Les près de six millions de demandeurs d’emploi (toutes catégories confondues), ont été au cœur des récents débats entre les candidats. De la même façon, la question de l’emploi et de la lutte contre le chômage se place en tête des préoccupations des Français. Si l’enjeu du chômage occupe donc une place centrale dans cette campagne, quel est le comportement électoral des demandeurs d’emploi ? Vont-ils s’abstenir davantage que la moyenne des Français ou au contraire vont-ils davantage participer compte-tenu de leurs fortes attentes en matière économique et sociale ? Et parmi ceux qui iront voter sur quels candidats se porteront-ils en priorité ?

Un public plus abstentionniste que la moyenne

Alors que selon le rolling Ifop-Fiducial pour Paris-Match, CNews et Sud Radio, l’intention de s’abstenir s’établit actuellement à 37% dans l’ensemble du corps électoral, cette proportion est encore plus importante parmi les demandeurs d’emploi puisque pratiquement un sur deux (45%) n’envisage pas d’aller voter à l’élection présidentielle. 

Différents travaux de sciences politiques avaient montré que la participation électorale était d’abord le fait des catégories les plus intégrées. Le fait d’être privé d’emploi constitue un symptôme d’exclusion sociale et a pour effet de renforcer la tentation abstentionniste déjà élevée dans la période actuelle. On notera d’ailleurs que parmi les chômeurs, ceux qui ont déjà travaillé et qui ont donc eu un lien avec le marché du travail, seraient potentiellement 44% à s’abstenir contre 51% parmi les personnes se déclarant à la recherche d’un premier emploi, qui eux n’ont jamais pu accéder au monde du travail et se sentent manifestement encore moins intégrés socialement. Cette sur-abstention parmi les personnes à la recherche d’un premier emploi s’explique également par un effet d’âge, les jeunes, tranche d’âge structurellement abstentionniste, étant massivement surreprésentés dans cette catégorie.

Un survote pour Marine Le Pen et les candidats de gauche chez les demandeurs d’emploi

Si les chômeurs se caractérisent par une propension plus importante à s’abstenir, les spécificités sont plus marquées encore en termes d’intentions de vote. Comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous, on constate en effet dans cette population un tropisme pour Marine Le Pen et pour les candidats de gauche assez manifeste. 36% des demandeurs d’emploi qui iront aux urnes envisagent de voter FN, soit une prime de 11 points par rapport au potentiel électoral moyen actuel de Marine Le Pen (25%). 

Différentes analyses de l’Ifop avaient déjà montré que le FN obtenait ses meilleurs résultats dans les bassins d’emplois les plus touchés par le chômage, traduisant la colère et la désespérance des populations locales. Ces chiffres montrent que si dans ces territoires de larges pans de l’électorat optent pour le vote FN, les demandeurs d’emploi constituent l’une des catégories les plus acquises à ce mouvement politique.  

Le vote FN au premier tour des régionales de 2015 en fonction du taux de chômage dans le bassin d'emploi (au second trimestre 2015)

Pour autant, le vote des chômeurs est loin d’être homogène puisque le score de l’ensemble des candidats de gauche équivaut à l’audience du FN (35,5% contre 36%). Chacun de ces candidats de gauche bénéficie d’un soutien un peu plus prononcé des demandeurs d’emploi que de l’ensemble de la population. Cette « prime » parmi les chômeurs atteint 1,5 point pour les deux candidats trotskistes, 4 points pour Jean-Luc Mélenchon (le leader de la France insoumise, rassemblant près d’un chômeur sur cinq) et 3,5 points pour Benoît Hamon. Alors que le candidat du PS a placé au cœur de son programme le revenu universel et la réduction du temps de travail, mesures présentées comme autant de réponses à la fin de la société du plein emploi, il ne rencontre qu’un faible écho parmi les chômeurs, même si ces derniers voteraient davantage pour lui que la moyenne des Français : 13,5% contre 10% en moyenne.

Alors que les candidats de gauche et Marine Le Pen bénéficient donc d’une audience particulière auprès des demandeurs d’emploi, ces derniers semblent en revanche nettement moins attirés à la fois par Emmanuel Macron qui atteindrait seulement 17% contre une moyenne de 25% (soit un déficit de 8 points), le handicap étant encore plus lourd pour François Fillon avec un score de 8%, soit 10 points de moins que son niveau moyen. Le programme de réformes libérales du candidat de la droite ainsi que les révélations dans le cadre des affaires Fillon le rendent manifestement inaudibles par les chômeurs.

 De son côté, Emmanuel Macron, qui plaide lui aussi pour des modifications du marché et du droit du travail, souffre d’un handicap manifeste parmi les chômeurs alors même qu’il revendique un programme tourné vers les outsiders (que sont les demandeurs d’emploi) au détriment des insiders, bénéficiant de positions acquises et d’un statut. 

Si l’on compare par rapport à l’élection présidentielle 2012, des tendances se font jour. Alors que Marine Le Pen enregistrerait actuellement une progression de 7 points dans l’ensemble de la population (de 18% à 25%), cette hausse serait encore amplifiée parmi les demandeurs d’emploi puisque la candidate du FN y passerait de 26% à 36% soit un gain de 10 points. Jean-Luc Mélenchon, également candidat en 2012, avait obtenu 15% des voix des chômeurs, il progresserait de 4 points pour atteindre désormais 19%, cette hausse étant comparable à celle mesurée dans l’ensemble de la population. Nicolas Sarkozy, quant à lui, n’avait recueilli que 12% des suffrages des chômeurs. Son successeur de droite, François Fillon, enfoncerait à la baisse cet étiage déjà faible avec seulement 8% des voix.

Le fait d’être au chômage amplifie le vote en faveur du FN et de la gauche 

On notera que la lecture du tableau précédent fait apparaitre un gradient qui se vérifie pour quasiment tous les candidats et qui fonctionne de la manière suivante : les écarts qui existent à la hausse ou à la baisse entre les actifs ayant un emploi et l’ensemble de la population   sont systématiquement encore accentués dans la catégorie des chômeurs. Ainsi par exemple, Marine Le Pen ferait un meilleur score parmi les actifs occupés que dans l’ensemble de la population (29% contre 25%), mais son niveau serait encore rehaussé chez les chômeurs (36%). On constate le même phénomène, mais de manière un peu estompée, pour Jean-Luc Mélenchon : 15% dans l’ensemble de la population, 16,5% parmi les actifs occupés et 19% chez les chômeurs. 

Le processus se vérifie également mais selon une logique inversée pour François Fillon : 18% dans l’ensemble de la population, 12% auprès des actifs occupés et seulement 8% chez les chômeurs. Ces chiffres semblent indiquer qu’un sentiment de vulnérabilité sociale est plus répandu actuellement dans le monde du travail que dans les catégories moins exposées (retraités, femmes au foyer, étudiants) et que cette France du travail est en demande de davantage de protection et adhère moins fortement aux réformes en matière de droit du travail et de protection sociale. Cette France du travail est donc aujourd’hui plus attirée par les programmes de gauche ou du FN et assez inquiète ou opposée à celui défendu par François Fillon. Ces tendances à l’œuvre se retrouvent de manière encore plus marquée parmi les chômeurs qui sur-voteraient pour Marine Le Pen et les candidats de gauche et sanctionneraient parallèlement durement le candidat des Républicains.  

 L’analyse détaillée des intentions de vote dans certaines catégories confirme ce diagnostic. Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, parmi les cadres et les professions intermédiaires, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen bénéficient d’une prime parmi les personnes actuellement à la recherche d’un emploi comparativement à ceux occupant un poste quand, dans le même temps, François Fillon est moins soutenu par les demandeurs d’emplois que par les personnes ayant le même statut mais étant actuellement en activité. Concernant le vote Fillon, on constate également un fossé béant au sein de cet univers des classes moyennes et des cadres entre les actifs et les retraités. Ces derniers seraient 33% à voter pour le candidat de droite alors que les actifs de même condition sociale ne seraient que 13,5% dans ce cas soit un écart de près de 20 points. On peut penser notamment que la volonté exprimée par le candidat de droite d’abolir les 35 heures et de reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans constitue un puissant répulsif parmi les électeurs en activité quand ces mesures sont, à l’inverse, assez soutenues par des électeurs en retraite qui, par définition, ne seront pas concernés.  

Le schéma évoqué plus haut fonctionne également pour ce qui est des votes Le Pen et Mélenchon, qui sont les moins élevés chez les retraités, qui gagnent ensuite en intensité parmi les actifs occupés et qui s’amplifient encore parmi les demandeurs d’emplois. 

Ces logiques prévalent également dans les catégories populaires. Marine Le Pen n’atteint ainsi « que » 27% parmi les employés et les ouvriers à la retraite. Ce score est boosté de 10 points parmi ceux qui sont actuellement en poste (37%) et grimpe encore de 4,5 points supplémentaires parmi ceux qui sont aujourd’hui à la recherche d’un emploi.  

Le vote Mélenchon suit la même trajectoire mais de manière moins exponentielle. François Fillon, quant à lui, dispose d’un point d’appui dans les milieux populaires en la personne des employés et des ouvriers à la retraite qui seraient 25% à voter pour lui, mais son audience est faible parmi ces mêmes employés et ouvriers en activité (9%) et marginale parmi ceux qui sont au chômage (6,5%). 

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