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​Comment la rapide progression des salaires allemands conduit Berlin à mener des politiques dangereuses pour l’Europe
©Reuters

​Perte de contrôle

Alors que les salaires français ont progressé plus rapidement lors des premières années de l'euro, la dynamique s'est renversée depuis 2012, entraînant Berlin dans une série d'actions aux effets dangereux pour la stabilité européenne.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Selon une étude réalisée par l'INSEE, les salaires allemands progressent désormais plus rapidement que pour la France, phénomène en place depuis l'année 2012. Quelles sont les causes de cette situation et ses conséquences, notamment en ce qui concerne la "compétitivité" des deux pays ?

Nicolas Goetzmann : La France et l'Allemagne ont poursuivi deux stratégies différentes dès l'introduction de l'euro en 1999. L'Allemagne est entrée dans une logique de "cavalier solitaire", basée sur la modération salariale, afin de rendre le pays le plus "compétitif" possible. La France, plus naïvement sans doute, n'a pas agi de la sorte, et a laissé les salaires progresser à un rythme "normal" au regard du contexte économique. Le résultat est illustré par les chiffres de l'INSEE ; entre 2000 et 2007, les salaires du secteur marchand progressent de 3.3% en France, contre 2.1% en Allemagne. Entre 2008 et 2011, les rythmes de progression convergent, avant de diverger en faveur de l'Allemagne à partir de 2012 ; entre 2012 et 2015, les salaires progressent de 2.3% en Allemagne contre 1.8% en France. Lorsque l'INSEE prend en compte le salaire brut moyen par tête, en insérant les primes et les heures supplémentaires, la divergence s'accroît ; avec une hausse de 2.7% en Allemagne contre 1.4% en France. Et ce résultat est logique. Parce que l'Allemagne affiche un taux de chômage très faible, qui donne un pouvoir de négociation toujours plus important aux salariés. A l'inverse, en France, et avec un taux de chômage toujours voisin de 10%, les salariés ont un pouvoir de négociation de plus en plus faible, qui empêche la progression des salaires.

La stratégie allemande est régulièrement présentée comme étant la plus efficace sur le plan économique, mais il faut se rendre compte de son caractère agressif. La période de modération salariale a servi à provoquer une divergence entre production et consommation en Allemagne, les salariés produisent de plus en plus, mais les salaires ne suivent pas. Ce qui créé un surplus de production par rapport à ce que le pays est en capacité d'absorber du point de vue de sa consommation. C'est ce qui explique les excédents de Berlin au cours de ces années. L'écrasement des salaires permet de provoquer un tel déséquilibre.

Il faut également constater que le nombre d'emplois créés en Allemagne n'est pas beaucoup plus important qu'en France, si l'on compare l'ensemble de la période. Puisque l'euro entre en vigueur début 1999, il suffit de comparer la progression de l'emploi total dans les deux pays, entre la fin 1998 et 2015, pour voir ce qu'il se passe. Au cours de cette période, la France créé 2.872 millions d'emplois, soit une progression de 12.03% de l'emploi total (INSEE) alors que l'Allemagne en créé 4.664 millions, soit une progression de 12.17%. La dynamique de l'emploi, bien que non parallèle en fonction des années, est donc la même entre les deux pays. La question qui découle de cette similitude est pourquoi l'Allemagne est proche du plein emploi alors que la France affiche un taux de chômage de 10% ? La réponse est que la France connaît une croissance de sa population active plus forte que celle de l'Allemagne. Ce n'est donc pas sur la création d'emplois que l'Allemagne a fait la différence, mais sur sa faible démographie.

Il n'est pas inutile de rappeler ce qu'indique l'INSEE, c’est-à-dire que les salaires allemands évoluent dans des fourchettes plus inégalitaires que la France. Ainsi les professions peu qualifiées gagnant environ 50% du salaire moyen en Allemagne, contre 70% en France. 

Si la hausse des salaires se poursuit en Allemagne, quelles en seront les conséquences pour le pays ? Quelles sont les moyens dont dispose Berlin pour "freiner" une telle dynamique ?

Avec le plein emploi, et une économie qui continue de croître à un rythme soutenu, la progression des salaires allemand est amenée à se poursuivre, et pourrait même s'amplifier. Ce qui pourrait être une bonne nouvelle pour une Allemagne qui souhaiterait voir prospérer sa population. Le problème est que la priorité de la stratégie économique est dirigée vers les exportations, c’est-à-dire que la recherche de la compétitivité passe avant toute autre considération. L'objectif est donc de freiner cette hausse des salaires, ce qui a pu se traduire par plusieurs "tactiques" au cours de ces dernières années. La première est de lutter contre le plan de relance de la BCE, appelé quantitative easing, qui permet une progression de l'activité en Europe, qui se traduit par la baisse du chômage dans les pays du sud, mais par une pression sur les salaires dans les pays du nord, pour cause de plein emploi. La seconde stratégie a été d'ouvrir les portes aux migrants, parce que derrière les considérations humanitaires affichées par Angela Merkel, il y avait également une demande du patronat allemand, qui réclamait officiellement l'ouverture des frontières pour bénéficier d'une main d'œuvre supplémentaire, et bon marché, qui peut également permettre de peser sur les salaires. Dans le même genre, l'Allemagne a également pu "profiter" du malheur des pays du sud. Parce que les jeunes diplômés de ces pays, Grèce et Espagne en tête, confrontés à une absence de débouchés dans leur pays, ont choisi de migrer vers des cieux plus cléments, qui créent de l'emploi, dont l'Allemagne. Mais ce que l'on peut voir, c'est que cet ensemble de "tactiques" a surtout participé à un déséquilibrage européen, à une mise en danger de l'ensemble. 

Quelles en seraient les conséquences sur le reste de l'Europe ? 

Il s'agit d'un point essentiel en Europe. Le déséquilibre macroénomique observé par les excédents allemands, qui est le résultat de la modération salariale, a été critiqué à peu près par tout le monde. Même Ben Bernanke , l'ancien patron de la FED, s'y est mis en 2015. L'Allemagne n'est pas le "meilleur élève de l'Europe", mais un pays qui joue une compétition malsaine dont l'ensemble européen n'a rien à gagner. Il faut donc que le pays accepte de voir les salaires augmenter, et ainsi combler progressivement ces excédents qui représentent près de 9% de son PIB. Il s'agit d'un trou noir de la demande européenne, que la BEC tente de combler comme elle le peut. Les solutions utilisées par Berlin, sur les questions migratoires, aussi bien intra que extra communautaires ne sont pas plus acceptables. Sur la question intra européenne, comment justifier qu'un pays comme l'Espagne ait vu ses jeunes diplômés quitter le pays, alors que le pays avait financé leurs études. Le résultats est que l'Espagne ou la Grèce ont financé par leurs déficits la formation de personnes qui travaillent en Allemagne. Ce type de politique peut difficilement être perçues favorablement dans une "Union" européenne. A moins d'accépter l'idée que l'Union ne soit qu'une compétition maximale entre ses membres, et que l'affaiblissement à long terme des plus faibles est une stratégie que les populations vont accepter indéfiniment. La roue doit tourner, les salaires allemands doivent progresser. 

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