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"La proportion d'étrangers en France est stable depuis les années 30"... Petit argumentaire adressé à Benoît Hamon pour apprécier réellement l'ampleur de l'immigration en France
©Reuters

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Sans qu’apparemment Benoît Hamon s’en soit rendu compte, nous avons progressé depuis les années 1980...

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Décidément, on ne peut guère se passer des années Trente. Certains les voient ressurgir en mal à tout bout de champ. Mais ils se trouve encore au moins une personne pour y trouver une référence positive. C’est Benoît Hamon qui, le 20 janvier, lors du débat télévisé déclarait : « La proportion d’étrangers en France est stable depuis les années 1930 ». Il reprend ainsi le catéchisme des années 1980, lorsqu’on cherchait alors à instruire et tranquilliser le peuple : rien sur le front migratoire ! C’était relativement excusable alors puisqu’on n’avait guère d’autres données que celles sur les étrangers. En 1982, la proportion d’étrangers était de 6,8 %, niveau comparable au plus haut niveau connu en 1931 (6,6 %).

Sans qu’apparemment Benoît Hamon s’en soit rendu compte, nous avons progressé depuis les années 1980, grâce à l’introduction de la catégorie immigrée, que j’ai promue à la fin des années 1980, qui a été relayée par le Haut Conseil à l’intégration en 1991 et qui est devenue progressivement d’usage courant dans la statistique publique.

Il faut donc réexpliquer à Benoît Hamon en quoi, si l’on veut rendre compte de l’immigration étrangère, il est préférable de suivre l’évolution de la proportion d’immigrés. Le nombre d’immigrés - nés à l’étranger avec une nationalité étrangère à la naissance – varie seulement en fonction des entrées et des sorties du territoire et de la mortalité. À la mortalité près, la proportion d’immigrés rend donc bien mieux compte de l’évolution de l’immigration étrangère que la proportion d’étrangers qui comprend des étrangers nés en France, dépend, en plus, de la natalité, des changements de nationalité et de la qualité (variable au fil du temps) des déclarations de nationalité des nés en France. Lorsqu’on examine l’évolution des deux proportions en France métropolitaine sur le long terme, on se rend compte que les deux séries n’ont coïncidé qu’entre 1911 et 1931. Ensuite, la proportion d’immigrés est toujours supérieure et n’évolue pas parallèlement à celle des étrangers. Si bien qu’en 2015, elle est de 9,3 % quand la proportion d’étrangers n’est que de 6,6 %. Donc, oui, la proportion d’étrangers en 2015 est bien égale à celle observée en 1931, mais cela ne dit rien de l’évolution des flux migratoires, tout particulièrement de la nouvelle vague qui démarre avec les années 2000. Ajoutons que la stabilité depuis les années 1930 invoquée par benoît Hamon est parfaitement fantaisiste puisque la proportion d’étrangers est descendue jusqu’en 1954 (4,1 %), pour remonter jusqu’en 1982, redescendre ensuite jusqu’en 1999 (5,4 %), pour remonter un peu jusqu’en 2015.

On l’aura compris, cette proportion d’immigrés dit quelque chose de l’évolution des flux migratoires, mais ne dit rien des effets démographiques s’étendant aux enfants nés en France de parent(s) immigré(s). Sur deux générations, la population d’origine étrangère a augmenté rapidement pendant les années 2000, jusqu’à représenter 20,5 % de la population en France métropolitaine en 2015.

Cette déclaration sur la stabilité de l’immigration a été suivie d’une sortie sur le solde migratoire censée renforcer l’idée selon laquelle il ne se passait pas grand chose côté migrations. Benoît Hamon a donc poursuivi ainsi : « La réalité c’est quoi. Il y a 200 000 entrées sur le territoire en France, mais on en a plus de 150 000 qui repartent. Nous avons aujourd’hui un solde migratoire qui doit être entre 50 000 et 70 000 personnes. » L’emploi de « repartent » donne l’impression fausse que ce sont les mêmes qui entrent et qui partent. Même l’Insee ne dirait plus une chose pareille aujourd’hui. Il a, depuis quelques années, entrepris de se servir des enquêtes annuelles de recensement pour décomposer ce solde migratoire, dont il faut rappeler qu’il n’est pas mesuré. Il est seulement estimé. C’est le résidu de l’équation démographique de l’année. C’est ce qui reste inexpliqué au 31 décembre, une fois qu’on a ajouté à la population au 1er janvier, le solde naturel (naissances-décès). En 2015, l’Insee a ainsi publié une décomposition du solde migratoire des années 2006-2014 en France. Le solde moyen annuel de 51 300 fait la moyenne entre un solde moyen annuel positif des immigrés de +143 000 des immigrés et d’un solde moyen annuel négatif des natifs  de -91 700 (comprenant les enfants de Français nés à l’étranger).

Le plus étrange dans ce débat pour les présidentielles a été l’absence de réaction à ces propos, si ce n’est le sourire de Marine Le Pen. Aucun des présidentiables présents n’a trouvé (ou eu) l’occasion de rectifier les sottises statistiques proférées par Benoît Hamon. Peut-être n’avaient-ils rien de solide à lui opposer. Les journalistes, animateurs du débat, qui sont d’habitude si prompts à invoquer les « fake news » n’y ont vu que du feu.  Faut-il y voir une complaisance idéologique ou inculture statistique des journalistes ?

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