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Analyse de la rencontre Trump / Merkel : mais où part l’Occident maintenant qu’il est dirigé par un aigle à deux têtes ?
©Reuters

Changement de cap

Ce vendredi, le nouveau président américain, Donald Trump, a reçu la chancelière allemande, Angela Merkel, pour la première fois depuis son entrée en fonction.Une entrevue placée sous le signe de nombreuses dissensions.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Angela Merkel et Donald Trump apparaissent, en l'état, comme les deux principaux leaders du monde occidental. Cependant, leurs positions diffèrent largement sur un grand nombre de sujets (économie, société, politique, etc.), de même qu'au plan des valeurs que l'un et l'autre veulent incarner. Dans ces conditions, quelle orientation ce couple peut-il faire prendre à l'Occident ? 

Edouard HussonJe ne partage pas cette vision des choses. Les deux leaders du monde occidental, en ce moment, sont Trump et Theresa May. Ils viennent d'arriver à la tête de leur pays. Ils tiennent solidement la barre. Madame Merkel est depuis dix ans au pouvoir. Et, en dix-huit mois, elle vient de perdre la main sur beaucoup de sujets. Elle a complètement raté l'opération d'accueil des réfugiés en la gérant en solitaire, sans se concerter avec ses partenaires européens et en laissant les Allemands, sur le terrain, inventer, sans soutien, les moyens d'un accueil d'urgence. Sa gestion catastrophique de la crise des réfugiés a largement causé le basculement de quelques pourcents des voix qui a permis la victoire du Brexit. Elle s'est enfermée dans une impasse diplomatique avec la Russie dont elle ne sait pas comment sortir, étant obligée de laisser la main à Sigmar Gabriel. Madame Merkel a perdu le soutien de l'Europe centrale. Elle est détestée en Europe du Sud.  Et - là sans qu'elle y soit pour rien - qu'il s'appelle Macron ou Fillon, elle aura affaire, dans quelques semaines, à un président français relativement faible politiquement, peu à même de l'aider à relancer la construction européenne. Elle arrive donc à Washington en position de faiblesse. Nous en avons la confirmation dans le fait que Trump a largement dialogué avec la presse, en présence de Merkel, de sujets de politique intérieure.  Alors, oui, effectivement, cela doit faire drôle à Merkel de se retrouver en face d'un président qui aimerait sans aucun doute mieux s'entretenir avec des représentants du parti populiste Alternative für Deutschland (AfD) qu'avec elle. C'est pourquoi je ne crois pas que nous allons assister à l'émergence d'un duo Trump-Merkel. Les relations germano-allemandes vont largement être déterminées par des enjeux économiques.   

Peut-on envisager que la chancelière allemande et le président américain puissent parvenir à surmonter leurs dissensions ? Sur quels sujets cela pourrait-il être le plus facile ? A l'inverse, sur lesquels cette entreprise pourrait-elle s'avérer beaucoup plus compliquée, voire impossible ? 

Angela Merkel, c'est le monde néo-libéral d'hier. Trump représente l'avènement d'un néo-protectionnisme qui s'appuie sur un puissant mouvement populiste. Nous sommes dans une période très curieuse, qui défie nos catégories mais qui n'est pas sans précédent historique. Au lendemain des guerres napoléoniennes, la gauche européenne était belliciste, avait la nostalgie des guerres de la Révolution et de l'Empire, tandis que la droite conservatrice était préoccupée avant tout par les questions intérieures. Aujourd'hui, tous les néo-libéraux et "néocons" en veulent à Trump de ne pas vouloir faire la guerre en Russie ou en Syrie. Merkel a été portée par un système occidental fondé sur ce que les marxistes appelaient autrefois "l'impérialisme américain", fondé sur la manipulation du libre-échange, la planche à billets de la Fed, le complexe militaro-industriel et les capacités de surveillance inégalées de l'Etat américain, permises par la révolution numérique.

L'Allemagne de Merkel s'est installée confortablement dans l'espace que lui laissait ce système: le libre-échangisme favorisait ses exportations tandis que l'euro avait tué toute concurrence intra-européenne; il a suffi à la BCE d'être un peu moins inflationniste que la Fed pour établir la confiance internationale dans l'euro, même si c'était au prix de l'asphyxie sociale de l'Europe du Sud; la chancelière est restée largement en-dehors des guerres de l'Otan, sauf de la nouvelle "Guerre froide" avec la Russie; et si elle a été elle-même écoutée par la NSA, c'était un désagrément relatif par rapport à tous les avantages que l'Allemagne a tirés du système euro-atlantique, lequel absorbe encore les deux tiers de ses exportations. Trump semble vouloir changer les règles du jeu, sans que l'on discerne encore dans quelle mesure il pourra ou voudra ébranler les piliers de l'ancien système. J'ai tendance à penser qu'il appliquera son programme de recentrage sur les Etats-Unis et qu'il fera tout pour reconstituer un appareil de production industrielle puissant sur le sol américain. Cela se fera évidemment en partie au détriment de l'industrie allemande, sauf si les entreprises allemandes viennent installer leurs usines aux Etats-Unis. 

Lors de ce déplacement, Angela Merkel est venue accompagnée d'un certain nombre de PDG de grandes entreprises allemandes. Quels intérêts a Berlin à maintenir ses liens avec Washington ? A l'inverse, que représente la relation américano-germanique aux yeux des Etats-Unis dans le contexte actuel ? 

J'aurais tendance à dire que, traditionnellement en Allemagne, ce sont les chanceliers qui accompagnent les industriels et non le contraire. Le rapport de force n'est pas en faveur de la chancelière, encore moins maintenant qu'elle est affaiblie politiquement. Effectivement, l'important dans cette visite, ce n'est pas l'entretien entre le président américain et Madame Merkel. Ce sont les nombreuses rencontres qui auront eu lieu en dehors de la réunion médiatisée qui se tient dans le Bureau ovale. Il pourrait bien y avoir un nouveau chancelier à l'automne prochain; mais cela ne changerait rien aux fondamentaux de la relation germano-américaine. La Chine essaie de gagner l'Allemagne à une croisade en faveur d'un maintien, autant que possible, du libre-échange. Les agences de presse se sont fait écho d'un échange téléphonique entre la chancelière et le président chinois avant son départ à Washington.

Mais les entreprises allemandes sont dans une optique beaucoup plus complexe que Madame Merkel. La Chine est un concurrent redoutable, à terme, pour l'industrie allemande; l'intérêt bien compris du pays, vu depuis Francfort, Munich ou Berlin, c'est un nouveau partenariat économique avec les Américains. Aussi, les grands patrons allemands cherchent-ils à comprendre s'ils ont intérêt à délocaliser leur activité aux Etats-Unis, si les Etats-Unis vont mettre fin ou non aux sanctions envers la Russie; en quoi pourrait consister, concrètement, une nouvelle politique commerciale américaine etc....

Du point de vue américain, le partenariat économique avec l'Allemagne devrait être préservé, aussi. Les Etats-Unis ont intérêt à se rapprocher économiquement de l'Europe s'ils prennent leurs distances avec la Chine. Et, vu de Washington, on aimerait sans doute mieux une Europe sans l'euro mais revigorée, capable d'acheter les produits américains qu'une Europe exsangue comme celle que nous habitons actuellement.  Nous ne sommes pas au bout de la mutation des relations germano-américaines. L'ère "Merkobama" est finie. 

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