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"Textos, Wikipedia, blogs"... mais des difficultés à comprendre un véritable livre : l'inquiétante réalité de l'illettrisme en France
©Reuters

Bonnes feuilles

Nous croyons tous aujourd'hui à l'idée réconfortante selon laquelle l'histoire humaine se déroule comme un progrès continu. Chaque jour, la science nous épate de ses découvertes. Et pourtant, nous nous trouvons aujourd'hui face à un paradoxe gigantesque. Dans cette utopie hyperconnectée et hyperinformée, l'ignorance gagne chaque jour du terrain et les exemples se multiplient d'obscurantismes qui se renforcent autour de nous. Extrait de "La longue montée de l'ignorance" de Dimitri Casali aux Editions First (2/2).

Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

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C’est un fait : aujourd’hui nous lisons de moins en moins. Les indicateurs attestent deux phénomènes inquiétants : une persistance de l’illettrisme malgré les progrès de la scolarisation, et un vieillissement significatif du lectorat, dû au recul de la lecture chez les jeunes. Dans son livre Deux pouces et desneurones (La Documentation française, 2014), la chercheuse Sylvie Octobre souligne que la lecture n’est plus considérée comme une activité de loisir chez les jeunes. Paradoxalement, la lecture est partout : sur les réseaux sociaux, sur les affiches, les publicités, mais la lecture de livres est en net recul. La chercheuse a ainsi établi que les 15-29 ans lisent surtout 'des textos, Wikipedia, des blogs'.

Or, ces deux types de lecture sont radicalement différents. La lecture sur Internet est additive, c'est-à-dire que les informations se superposent les unes aux autres. La lecture d’un livre demande de rentrer dans la pensée de quelqu’un d’autre, et oblige à structurer les informations. De fait, beaucoup de jeunes commencent un livre, et au bout d’une page ou deux ont l’impression de ne plus rien comprendre à ce qu’ils lisent et de tourner en rond. Logiquement, ils abandonnent. De plus, l'importance qu'a prise les réseaux sociaux dans la sociabilité des adolescents fait qu'il leur est de plus en plus difficile de se réserver des moments de solitude. Cette solitude est pourtant essentielle, en ce qu'elle nous construit en tant qu'être humain.

Comme le rappelle l'historienne Mona Ozouf dans La Cause des livres (Gallimard, 2011) : "A quoi sert d'être cultivé ? A habiter des époques révolues et des villes où l’on n’a jamais mis les pieds. A vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n’avez pas eu droit. A parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. A vous procurer la baguette magique de l'ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n'avoir qu'une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire".

De plus, les jeunes qui lisent désertent de plus en plus les classiques, associés a une contrainte, pour des best-sellers marquetés : Harry Potter ou Twilight. Cette littérature pour ≪ jeunes ≫ florissante contribue à creuser encore un peu plus le fossé générationnel. De fait, nous partageons de moins en moins de choses avec les générations qui nous suivent. Les référents culturels disparaissent comme éléments qui permettent de vivre ensemble en partageant des repères.

Ainsi l'apprentissage de la lecture à l'école est-il en majorité perçu comme la garantie d’un métier, d’un futur statut social, mais pas comme la porte d'entrée vers la lecture. La lecture des oeuvres ≪ imposées ≫ est vécue comme une exigence technique, et non comme la découverte des textes qui permettent de donner accès au monde, de mieux se comprendre et de comprendre les autres.

Plus grave, l'illettrisme, réalité taboue, atteint un niveau préoccupant. En septembre 2014 le ministre de l’Economie Emmanuel Macron suscite la polémique en évoquant les salariées des abattoirs Gad, "pour la plupart illettrées". On reproche au ministre d’utiliser un terme stigmatisant. Polémique médiatique révélatrice de la tendance française à dénoncer la stigmatisation avant la réalité des problèmes. De fait, selon une enquête de l’Insee de 2011, 7 % de la population, soit 2,5 millions de personnes, seraient illettrées. Ce terme recouvre ceux qui ont reçu un apprentissage de la lecture mais ne la maitrisent pas suffisamment pour être autonomes. Or, si l’on ajoute les personnes analphabètes (1,2 %), c’est-a-dire jamais scolarisées, et celles qui ont des difficultés à lire et écrire le français (16 %), on atteint pratiquement le taux de 25 % de Français en difficulté avec leur langue. On le voit, le chiffre de 98 % d’alphabétisés en France masque une réalité dont on parle peu.

Selon Pascal Moulette, maître de conférences à l’université de Lyon et spécialiste de l’illettrisme au sein des entreprises (ce qui a fait l’objet de sa thèse soutenue en 2002), ce sujet est paradoxalement bien plus tabou en France, patrie du livre, que dans les pays anglo-saxons, qui n’ont pas la sacralisation de l’écrit et raisonnent plutôt en termes de compétences.

Extrait de La longue montée de l'ignorance de Dimitri Casali aux Editions First

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