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L'antibiotique de la dernière chance pourrait perdre toute inefficacité d'ici dix ans
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Risques de sur-intoxication

Les bactéries sont de plus en plus résistantes aux molécules des antibiotiques. Les molécules développées aujourd'hui pourraient ne plus avoir d'utilité dans les dix ans à venir. Il est vital de revoir la façon de lutter contre ces mutations des bactéries et comment on utilise les antibiotiques pour éviter le pire.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon un médecin de l'Hôpital Royal de Chesterfield dans le Missouri, les micro-organismes développent de plus en plus une résistance aux molécules des antibiotiques. Ils pourraient être inefficaces dans dix ans. Comment expliquer cette mutation de ces bactéries ? 

Stéphane GayetLes micro-organismes en question sont d'abord et avant tout des bactéries. Une bactérie est un être vivant à part entière, car constituée d'une cellule bien vivante qui se nourrit, respire, échange avec son environnement, se multiplie, grossit, parfois se déplace et naturellement finit par mourir. La cellule bactérienne est en volume de l'ordre de vingt-cinq mille fois plus petite que les cellules constitutives du corps humain. Mais elle reste une cellule vivante et le plus souvent autonome. Ce n'est pas le cas des virus qui sont des éléments biologiques inertes et sans métabolisme. Or, l'une des caractéristiques essentielles du Monde vivant est sa capacité de s'adapter et d'évoluer. Tout être vivant doit survivre, se protéger et se défendre, ainsi que se reproduire. C'est ce que nous faisons de façon innée. C'est ce que font les bactéries également de façon innée.

Un antibiotique est une substance chimique dont l'une des propriétés est d'inhiber la multiplication de certaines bactéries ; "certaines", car il n'existe pas d'antibiotique "à tout faire", qui serait efficace sur toutes les bactéries et c'est heureux. Pour être en mesure de comprendre comment les bactéries en sont arrivées à se montrer capables de résister aux antibiotiques, il faut préciser d'où viennent les antibiotiques. Ils ne proviennent pas d'une synthèse chimique phénoménale réalisée par un inventeur de génie, mais des bactéries elles-mêmes ou de champignons microscopiques. La comparaison avec certaines plantes sauvages herbacées permettra de bien appréhender l’origine et la nature des antibiotiques.
Les herbes sont en concurrence les unes avec les autres, pour l’occupation du sol et la réception des rayons solaires. Le pissenlit pousse assez vite, développe de grosses, longues et puissantes racines et peut faire de l’ombre à d’autres plantes herbacées nettement plus petites que lui. Si l’on découvre qu’il ne pousse jamais de pissenlit autour d’une petite herbe, on peut être incité à faire un broyat de cette petite herbe et à le déposer sur le sol en y ajoutant des graines de pissenlit. On peut ensuite observer que les graines de pissenlit ne donnent pas de plante, alors qu’elles en donnent lorsque l’opération est réalisée sans le broyat. Puis on peut mettre en évidence dans ce même broyat une substance qui s’oppose au développement des pissenlits. C’est dans ce cas une substance naturelle découverte par l’observation. La petite herbe repousse la grande, n’est-ce pas là un juste équilibre ? On peut ensuite cultiver de façon intensive cette petite herbe afin de produire de grandes quantités de cette substance anti-pissenlit. Ce qui va nous permettre de lutter contre les pissenlits… jusqu’à ce qu’apparaissent les premiers pissenlits résistants ; ensuite, cette résistance va progresser et s’intensifier du fait de cette utilisation intense et ainsi de suite…
C’est exactement le même phénomène avec les antibiotiques. Ce sont initialement des substances naturelles qui sont produites par certaines bactéries pour lutter contre d’autres bactéries, pour une raison de compétition pour l’espace et les nutriments. Parfois, ce ne sont pas des bactéries, mais des champignons microscopiques, comme dans le cas de Penicillium notatum, champignon microscopique filamenteux producteur de la pénicilline naturelle ou pénicilline G qui est à l’origine de la découverte fortuite du premier antibiotique en 1928 par Alexander Fleming.
La question que l’on se pose alors est la suivante : comment les bactéries font elles pour parvenir à résister à un ou plusieurs antibiotiques ? Les modes d’action des différentes familles d’antibiotique sont complexes, les modes de résistance des bactéries à ces antibiotiques également. On trouvera ici quelques précisions sur la résistance des bactéries : http://www.atlantico.fr/node/2455047. Sans qu’il soit possible ici d’entrer dans les détails, il faut préciser que cette résistance est codée par des gènes, c’est-à-dire des unités fonctionnelles de l’acide désoxyribonucléique (ADN) bactérien, que ces gènes soient dans le chromosome (ADN chromosomique) ou au sein d’ADN non chromosomique (tout particulièrement des plasmides). En général, un gène code pour la résistance à un antibiotique ou à une famille d’antibiotiques. Mais comment peut se former un nouveau gène codant pour la résistance à un antibiotique ? On a longtemps admis que les nouveaux gènes – ceci pour tout le Monde vivant – apparaissaient par modification brutale de l’ADN du génome (c’est-à-dire l’identité génétique d’un individu), du fait d’une mutation. Cette théorie n’est pas très convaincante ni satisfaisante.
Depuis la découverte de gènes bactériens de résistance chez des membres d’une tribu d’Amérique du Sud vivant de façon naturelle, en complète autarcie, loin de toute technologie ou chimie, on a dû revoir cette conception : http://www.atlantico.fr/node/2108312 Il semblerait ainsi qu’au contraire, à la lumière de cette découverte, les gènes de résistance des bactéries aux antibiotiques soient initialement et naturellement présents chez elles, mais sous forme inactive, et que leur contact avec les antibiotiques en question activerait ces gènes. Ce qui signifierait que tout est déjà écrit à l’avance : troublant, non ?

Est-il possible qu'un jour, les antibiotiques ne permettent plus de soigner certaines maladies qui sont d'origine bactériologiques ? Comment prendre en charge ces maladies ? 

C’est une erreur que de voir les choses de façon binaire : tout ou rien. La réalité n’est jamais blanche ou noire, elle est toujours en nuances de gris. On dispose aujourd’hui de dizaines d’antibiotiques différents et les insuffisances des uns sont encore bien souvent compensées par les performances des autres. Il est déjà arrivé et il arrivera encore que l’on se trouve en impasse thérapeutique complète, face à un cas d’infection à bactérie dite toto résistante, c’est-à-dire résistante à tous les antibiotiques. De fait, certaines personnes sont décédées en raison d’une infection par une telle souche totalement résistante. C’est effroyable, c’est spectaculaire, mais cela reste très rare. À force de prédire des scénarios catastrophiques, on finit par perdre contact avec la réalité. La réalité est qu’aujourd’hui, le phénomène de la résistance bactérienne aux antibiotiques est fort préoccupant, certes. On a en effet parfois des difficultés à traiter telle ou telle infection bactérienne, mais on y parvient néanmoins dans l’immense majorité des cas. Il y aura forcément des cas où l’on sera impuissant, il faut l’admettre, mais cela ne concernera qu’une très petite minorité de personnes. Le risque pour un individu donné d’être un jour infecté par une souche toto résistante est extrêmement faible, mais il est vrai qu’il augmente progressivement. Il faut tout de même être confiant et croire que l’on mettra au point d’autres traitements efficaces.
Dans l’hypothèse d’une personne souffrant d’une infection sévère et liée à une souche bactérienne toto résistante, il reste parfois une possibilité de traitement chirurgical : enlever tout ou partie de l’organe infecté. Il y a aussi l’immunothérapie, méthode thérapeutique ayant recours à des substances ou des cellules immunitaires. Et puis les espoirs reposant sur la phagothérapie, c’est-à-dire l’utilisation de virus qui infectent mortellement certaines bactéries (ces virus sont appelés des phages, d’où le mot phagothérapie : thérapie par les phages). Dans certains cas, on peut encore espérer que les défenses immunitaires de la personne reprennent le dessus et permettent une lente guérison. Non, nous ne sommes pas encore démunis face à la progression de la résistance des bactéries aux antibiotiques : la science est loin d’avoir dit son dernier mot.

Quelles sont les mesures qui peuvent être prises pour essayer de limiter le développement de la résistance aux antibiotiques de ces bactéries ? 

La résistance des bactéries aux antibiotiques est le plus souvent réversible. On constate que, lorsque diminue la pression de sélection des bactéries aux antibiotiques par la baisse de la consommation de ces médicaments, le niveau moyen de résistance tend à baisser. C’est comme si les souches résistantes à un antibiotique donné étaient chassées par les souches sensibles à cet antibiotique au fur et à mesure que baissent les consommations de cet antibiotique.

A la suite des campagnes médiatiques, notre consommation d’antibiotiques a diminué, cependant pas de façon spectaculaire. Mais il n’y a pas que les quantités d’antibiotiques consommés à considérer. Il faut aussi parler de la façon de les prescrire et de les consommer.

La France est depuis longtemps un pays gros consommateur de médicaments, en particulier d’antibiotiques, et il est difficile de faire changer les habitudes, tant celles des médecins que celles des patients qui suscitent les prescriptions, puis prennent leurs antibiotiques comme ils l’entendent. Or, un antibiotique mal choisi, donné à dose insuffisante ou de façon inadaptée, ou encore arrêté trop tôt, contribue à sélectionner des bactéries à lui résistantes. L’antibiothérapie est devenue aujourd’hui un domaine médical complexe et à dire vrai difficile à bien appréhender par les non-spécialistes. D’où des prescriptions de nature à favoriser les résistances bactériennes, auxquelles s’ajoute une assez fréquente tendance chez le patient à changer la dose et la durée du traitement antibiotique, à cesser le traitement dès qu’il se sent mieux, autant de comportements favorisant la résistance aux antibiotiques.

Par ailleurs, si l’on commençait tout traitement antibiotique par une bithérapie, c’est-à-dire deux antibiotiques, on diminuerait énormément l’émergence des résistances. Bien sûr, cela coûterait plus cher et augmenterait le nombre d’effets secondaires. Mais cette option n’est malheureusement jamais discutée. Son efficacité est cependant avérée, sous réserve évidemment d’une bonne observance lors des traitements en ambulatoire (à domicile).

De nombreux pays développés ont élaboré une politique de lutte contre la résistance des bactéries aux antibiotiques. Le premier plan national français pour préserver l'efficacité des antibiotiques a défini un programme d’actions pluriannuel 2001-2005 avec pour objectif de maîtriser et de rationaliser la prescription des antibiotiques. Une deuxième phase 2007–2010 a eu pour objectif de poursuivre les actions engagées et mettre en œuvre de nouvelles actions. Ce plan a été piloté par le Comité national de suivi du plan antibiotique. Le dernier plan a été appelé, son intitulé est explicite, "Plan d’alerte sur les antibiotiques 2011-2016" ; il a poursuivi les actions précédentes et proposé un objectif de baisse des consommations d’antibiotiques de 25 %.

Mais ce n’est pas tout : il y a aussi tous les antibiotiques qui se trouvent dans nos aliments provenant de la viande de volaille, de porc, de bœuf et de poisson d’élevage. Si, en médecine humaine, le premier plan antibiotique national date donc de 2001, en médecine vétérinaire, il a vu le jour en 2011 : un retard de dix années a donc été pris par rapport à la médecine humaine ; c’est un gros handicap. Il est particulièrement fâcheux de constater que cet aspect vétérinaire et agricole de la résistance bactérienne aux antibiotiques a très longtemps été laissé dans l’ombre. De plus, certains antibiotiques ont, pendant des décennies, été utilisés comme facteurs de croissance dans l’élevage des porcs et des veaux (cet effet s’explique par une action de ces antibiotiques sur le "microbiote" intestinal - bactéries de l’intestin - : les animaux deviennent plus gras). Heureusement, cette utilisation de certains antibiotiques comme facteur de croissance est aujourd’hui interdite dans la Communauté européenne.

Ces plans d’action ont déjà commencé à porter leurs fruits. Ils ne seront en aucun cas spectaculaires, mais ils devraient entraîner une réelle diminution des résistances bactériennes aux antibiotiques. Cette diminution sera de toute façon lente et relative. Elle cessera si les efforts cessent, car les résistances bactériennes ne demandent qu’à remonter. Nous sommes donc typiquement dans une action à long terme, de type développement et redressement durables. C’est une lutte difficile et de longue haleine.

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