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Corinne Lepage : "Ce ne sont pas les ralliements à Emmanuel Macron qui sont importants mais le nombre incroyable de comités locaux qui se mobilisent pour lui"
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Entretien politique

Toujours au coude à coude avec Marine Le Pen, Emmanuel Macron est crédité de 26% des intentions de vote au premier tour de l'élection présidentielle selon un sondage BVA-Salesforce. Au second tour, le leader du parti "En Marche !" serait largement élu avec 61% des voix contre 38%. Corinne Lepage nous livre en exclusivité son analyse sur le candidat Emmanuel Macron.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Atlantico : Depuis votre ralliement à sa candidature, qu'avez-vous découvert d'Emmanuel Macron qui vous conforte dans votre choix ?  Et si vous deviez résumer en une phrase l'argument le plus fort pour convaincre en électeurs de voter pour le relatif inconnu qu'est Monsieur Macron, quel serait-il? 

Corinne Lepage : D'abord son expression. Je n'y avais pas fait particulièrement attention mais j'aime beaucoup la manière qu'il a de parler à l'intelligence des gens. Il parle en bon français et j'y suis sensible. Puis sa faculté de rassembler. Tous les jours arrivent des gens nouveaux. Puis une volonté de suivre le cap qu'il s'est fixé. L'arrivée éventuelle de Ségolène Royal ou Marisol Touraine par exemple ne signifiera pas une place automatique dans l'équipe. Pour essayer de convaincre les Français, peut-être que la meilleure chose que je puisse dire c'est que je pense qu'il est capable de mener la transformation qu'il promet.

Au moment de votre ralliement, Emmanuel Macron ne s'était pas encore prononcé très clairement sur le nucléaire ou sur le diesel, vos sujets de prédilection, qu'en est-il aujourd'hui ?

Je suis une femme de conviction. Je ne me serai pas ralliée s'il n'y avait pas eu des inflexions notables dans le programme. Pour moi la santé environnementale est un sujet aussi important que le climat. Je tenais à ce que ce soit une priorité programme et c'est affiché comme tel avec des mesures sur les perturbateurs endocriniens, l'utilisation des produits chimiques ou le diesel. Ces mesures sont pragmatiques et cohérentes. Interdire le diesel d'ici 2025 aurait été une mesure incohérente. On ne peut pas interdire à quelqu'un à la campagne de rouler au diesel sous prétexte que l'on est en 2025. Les mesures pour sortir du diesel d'Emmanuel Macron, qui consistent en une approche globale du problème du particulier jusqu'au constructeur automobile, sont cohérentes, réalistes et me conviennent. Sur le nucléaire, j'aurais aimé que ça aille un peu plus loin. Mais le fait de dire "je maintiens l'objectif", qui est ambitieux, d'arriver à 50% du nucléaire en moins d'ici 2025, de mettre 15 milliards sur la table pour travailler à l'efficacité énergétique et au renouvelable avec derrière un programme complet, c'est bien. On peut promettre monts et merveilles pour faire plaisir mais si on ne dit pas comment on va faire cela pose problème.

D'autre part, le renforcement des moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est une question importante. Le président de l'ASN se plaint du manque de moyens dont il dispose à chaque déclaration. Je pense qu'il faut lui confier tous les moyens dont il a besoin pour ne pas jouer avec la sécurité nucléaire. Fukushima coûte 187 milliards au gouvernement japonais, c'est deux fois le chiffre d'affaire d'EDF. Il me semble que ce serait judicieux d'éviter ce type de scénarios et c'est dans le programme d'Emmanuel Macron de renforcer les moyens de l'ASN

Vous avez déclaré qu'"Emmanuel Macron n'est ni de droite ni de gauche, qu'il cherche à rassembler les Français et quand on voit le monde qui se presse à ses meetings, on voit qu'il y arrive". N'est il pas plutot en train de définir de nouveaux clivages plutôt que de tous les faire disparaître ? Et la politique peut-elle se passer de clivages ? Ne s'agit-il pas plutôt d'assumer de donner la priorité à certains objectifs ou certaines catégories sociales relativement à d'autres parce qu'on considère que l'intérêt général y gagnera ?

C'est une nouvelle offre politique. Partant de là, il ne peut pas y avoir tout le monde dedans, c'est certain. Mais par rapport à ce que l'on a connu, c’est-à-dire la droite des Républicains avec tout ce qui gravite autour et la gauche du Parti socialiste avec tout ce qui gravite autour, ou tout du moins ce qu'il en reste, il est incontestablement en train de le faire éclater.

Autour d'Emmanuel Macron, il y a des gens qui viennent de tous les bords. Moins du côté de la droite que de la gauche, je vous l'accorde, mais ceux de droite ne sont pas négligeables. Beaucoup de personnalités nous rejoignent de tous les horizons. C'est un rassemblement de personnalités mais aussi un rassemblement de gens issus de la société civile, encartés ou pas, avec des sensibilités ou pas.

Il y a un nouveau clivage. Entre les pro-européens et les eurosceptiques. La question de l'Europe est effectivement un marqueur fort de la campagne et Emmanuel Macron est indéniablement le candidat le plus pro européen.

Mais il est injuste de parler en catégorie sociale. Moi, j'ai été élue locale dans le temps. Je connais les gens. Et Emmanuel Macron rassemble largement. C'est celui qui a le plus de parrainages de maires et de nombreux maires de petits villages lui ont accordé leur parrainage. Emmanuel Macron a pour objectif de rassembler et veut éviter les divisions.

Comment se passe concrètement la cohabitation au sein de la campagne Macron entre des ralliés venus de la gauche comme de la droite ? On a vu cette semaine des communistes comme Robert Hue ou Patrice Braouzec, des socialistes "old school" comme Claude Bartolone ou plus libéraux comme Bertrand Delanoë... Qui écoute qui, qui décide quoi ?  Et surtout quels sont les points sur lesquels chacun devra laisser ses convictions au vestiaire par impossibilité de mettre tout le monde d'accord ? À quoi devront renoncer les gens de gauche, à quoi devront renoncer les gens de droite pour rendre une synthèse possible ? 

Il y a deux catégories. D'abord les gens qui disent "je vais voter pour". Comme Bertrand Delanoë ou Dominique De Villepin. Mais ce ne sont pas des gens qui sont dans la campagne. Les gens que l'on voit, c'est ceux qui sont au sein du comité politique. Là toutes les tendances sont représentées. Des écolos, des UDIstes, des socialistes… Il n'y a pas de problèmes : on discute du fond des choses et cela se passe bien. Par contre, je n'ai vu personne du Modem jusqu'à présent.

Après, il y a un cap qui est fixé. Tout le monde ne peut pas être à 100% d'accord sur tout ce qui est dit. Moi je défendais un point de vue sur le nucléaire qui n'a pas été celui adopté mais in fine, c'est Emmanuel Macron qui tranche.

Du point de vue de la majorité, il y a quelque chose de tout à fait novateur. Il n'y a pas d'accord d'appareil. Moi, je n'ai aucun accord avec Emmanuel Macron. Par contre, il y a des candidats qui déposent des candidatures auprès de la commission d'investiture. Il y a pour l'instant 13.000 candidatures pour 577 circonscriptions. Dans ces 13.000 candidatures, il y a ceux qui sont déjà parlementaires et ceux qui ne le sont pas. Ensuite, on veille aux circonscriptions gagnables et non gagnables et on veille aussi à ce que toutes les sensibilités y soient représentées. On veille également au renouveau de la classe parlementaire, au fait de ne pas avoir de casier judiciaire et à l'adhésion au projet. In fine, c'est la commission d'investiture qui décidera au niveau national.

Je mesure la part d'aléas et d'aventure que cela représente mais Emmanuel Macron réalise quelque chose que j'ai rêvé de faire toute ma vie. D'arriver à marier société civile et politique tout en passant au-dessus des clivages initiés par les partis politiques. Le fait d'adhérer à un parti politique signifie aussi adhérer à des idées qui, parfois ne sont pas du tout les vôtres.

Depuis 20 ans que je fais de la politique, je n'ai jamais vu dans une campagne présidentielle un mouvement qui soit capable de mobiliser autant de comités locaux venus de nulle part capables d'organiser en une semaine 1400 événements dans toute la France. Ce sont des gens sur place qui essayent de convaincre, 10, 20 personnes autour d'eux. Ce ne sont pas tant les ralliements qui sont importants. C'est ce phénomène qui est à l'origine de la vague "En Marche !"

Par la dynamique qu'il a su créer autour de sa candidature, Monsieur Macron incarne un véritable renouveau générationnel mais au-delà de sa personne, comment compte t il rassembler les Français qui ne veulent plus des mêmes politiques publiques, des Français qui sont déçus par les autres partis politiques car ils constatent qu'année après année, ils votent à gauche ou il votent à droite, mais les politiques menées restent pour l'essentiel les mêmes? 

Emmanuel Macron n'essaye pas de faire plaisir à tout le monde. Il essaye de prendre le meilleur de ce qui est à droite et de ce qui est à gauche. C’est-à-dire le libéralisme, car on a absolument besoin de libéraliser l'économie aujourd'hui, mais en même temps la solidarité. Une solidarité très moderne parce qu'individualisée. L'idée de dire "chacun a droit au chômage" c'est quelque chose de très important pour les professions libérales et les auto entrepreneurs. C'est complètement nouveau.

Mettre l'accent sur la formation en disant que la transition numérique et écologique c'est avant tout un problème de formation. C'est logique : vous ne pouvez pas assurer la fermeture des usines nucléaires sans assurer la formation de ceux qui y travaillent pour qu'ils puissent par la suite travailler dans le renouvelable par exemple. Ce n'est pas possible. Tout ça c'est un tout. Vous ne pouvez faire plus de liberté que si vous pouvez faire plus de sécurité.

Pensez-vous qu'il peut y avoir un risque politique à installer la candidature d'Emmanuel Macron sur le clivage central de l'ouverture de la France, de la poursuite d'un projet européen et de la mondialisation quand une majorité de Français se révèlent plutôt eurosceptiques et réservés face aux conséquences sociales d'une mondialisation perçue par eux comme trop libérale ?

Il y a là deux sujets. Le sujet du libéralisme et celui de la mondialisation. Les deux ne sont pas tout à fait identiques. Moi je pense précisément que le seul rempart que nous avons contre une mondialisation excessive c'est l'Europe. Marine Le Pen rêve quand elle pense que l'on est sur une île isolée. Nous sommes en France et pas en Corée du Nord. Je ne suis pas pour une mondialisation tous azimuts et le programme ne l'est pas non plus. Par contre, nous sommes sur une ligne très européenne car c'est l'Europe qui protège. Mais cela implique une évolution du système européen en même temps.

Dire que les Français sont eurosceptiques, c'est vrai. Mais je pense que la première faiblesse de Marine Le Pen est sur les questions européennes, car les Français ne veulent pas abandonner l'euro. Ils ont parfaitement compris qu'ils remboursent leurs emprunts en euros alors que s'ils les remboursaient en Franc, cela leur coûterait 30% de plus. C'est bête et méchant mais c'est une évidence.

Pour vous, François Fillon est l'incarnation d'une droite très conservatrice. Pourtant quand on regarde ce qu'étaient les plateformes électorales partagées par le RPR comme par l'UDF dans les années 80/90, que ce soit sur l'immigration ou sur des sujets sociétaux, la droite d'aujourd'hui paraît à tout prendre un peu moins à droite. Les procès en droitisation des leaders comme des électeurs, même à supposer qu'ils se révèlent un calcul électoral efficace, ne sont-ils pas un peu excessifs ?

J'étais ministre sous Jacques Chirac et je n'ai jamais considéré qu'il était un homme de droite. On considérait qu'il était plutôt du centre droit. C'est quelqu'un qui a la fibre sociale. La campagne de 1995 s'était faite sur la fracture sociale. La personne qui représentait la mondialisation à l'époque, c'était Balladur, mais la mondialisation que l'on a connu il y a 20/25 ans n'était pas la même que maintenant.

Mais sur les sujets de société, François Fillon est quand même très à droite. La caricature de Macron sur le site des Républicains par exemple, même si elle est anecdotique, est inacceptable et révèle un certain état d'esprit très proche de la droite de la droite quand même. Je n'ai jamais vu ce type d'actions au RPR.

Le rassemblement du Trocadero organisé par "Sens Commun" ne révèle pas une grande ouverture d'esprit non plus.

Pierre Bergé  a assimilé le vote pour François Fillon à la France pétainiste. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

C'est excessif. Je ne peux pas dire autre chose. Emmanuel Macron commence ses meetings en disant qu'il ne faut siffler personne. Il ne veut pas d'excès verbal et cela remonte le niveau général de la politique.

Que l'on pose des questions de fond sur la droite, qu'on parle d'une certaine radicalisation c'est une chose. Mais employer des mots comme ça, c'est tout à fait différent.

Vous avez fait partie de gouvernements de droite pendant les mandats de Jacques Chirac. En quoi pensez-vous que l'exercice du pouvoir par un François Fillon qui parviendrait à se faire élire serait-il radicalement différent de ce qu'ont pu faire avant lui Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac ou même Valéry Giscard d'Estaing qui n'a pas paru considérer François Fillon comme un candidat impossible à soutenir ? 

Un président de la République qui dit "il faut mettre le principe de précaution par terre", vous pouvez directement fermer la moitié du ministère de l'Environnement quand même. Ce n'est plus la peine de faire de la prévention car ce n'est pas sûr que ça marche par exemple. Jacques Chirac n'a jamais envisagé de mettre les fonctionnaires à la porte, tout comme Alain Juppé. Cela me semble assez radical comme manière d'envisager les choses. D'ailleurs, quand Alain Juppé disait qu'il ne fallait pas le faire, il avait raison. François Fillon ne pourrait pas le faire. Il se heurtera à une forte mobilisation en France.

Emmanuel Macron propose de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires, c'est déjà pas mal. On ne peut pas laisser la fonction publique dans l'état dans lequel elle est, mais il faut faire les choses de manière acceptable. Ce qui me gêne dans le programme de François Fillon c'est la brutalité. 

L'UDI a fini par revenir dans le giron de la campagne Fillon, Alain Juppé lui-même dont vous trouvez le programme ou la sensibilité très proche de celle d'Emmanuel Macron a donné son parrainage à François Fillon, comment l'expliquez-vous ?  Comprenez-vous ceux qui craignent que derrière le renouveau générationnel qu'il incarne, Emmanuel Macron soit le visage souriant d'un hollandisme remixé à la sauce Berger–Attali–Minc, autrement dit techno-liberal libertaire ? 

Je l'explique par le fait qu'ils aient négocié 96 circonscriptions. Maintenant j'attends de voir combien de cadres de l'UDI vont participer au programme de François Fillon. Là aussi cela pose un problème de fond. Il y a quelque chose de gênant dans le fait de décider de faire mollement campagne pour un candidat en exigeant 96 circonscriptions. Pour moi cette attitude est purement électoraliste.

Je ne pense pas qu'Emmanuel Macron soit la continuité du Hollandisme. Berger Attali Minc, tout ça c'est des gens que l'on ne voit jamais. Quand Minc a dit qu'il se ralliait, le secrétaire général de "En Marche ! " a tweeté en disant que "l'on n'a pas besoin de girouettes". Ce n'est pas vraiment ce que l'on peut appeler un accueil en fanfare. Mais on ne peut pas empêcher les gens de dire qu'ils vont voter pour vous. De même manière qu'on est pas obligé de les intégrer dans l'équipe de campagne, de les investir ou de modifier le programme. Ralliement ne veut pas dire investiture.

Après Emmanuel Macron est beaucoup plus libéral que ne l'était François Hollande. Et le meilleur moyen pour voir qu'il n'incarne pas cette continuité c'est de regarder les équipes. La plupart n'ont jamais travaillé avec Hollande. 

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