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Craintes, injustices, angoisses : tant d'occasions de se plaindre... Mais pourquoi ?
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Bonnes feuilles

"C’est vraiment trop injuste !" Qui n’a jamais exprimé la plainte de Calimero ? Qui n’a jamais, aussi, pesté contre les bougons qui passent leur temps à formuler leurs griefs ? Saverio Tomasella, psychanalyste, s’adresse ici aux Calimero qui voudraient devenir moins râleurs, ainsi qu’aux proches de ces individus difficiles à vivre. Nous faisons tous partie, plus ou moins consciemment, de cette cohorte d’éternels mécontents. Alors, comment sortir de la plainte ? Extrait du livre "Le syndrome de Caliméro" de Saverio Tomasella, aux Editions Albin Michel (1/2).

Saverio Tomasella

Saverio Tomasella

Saverio Tomasella est docteur en psychologie clinique et psychanalyste à Nice. Très médiatisé, il a publié de nombreux ouvrages aux éditions Eyrolles, parmi lesquels Le Sentiment d'abandon (2010). Chez Albin Michel, il est l'auteur de La folie cachée, survivre auprès d'une personne invivable, et Le Syndrome de Calimero.

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Les facettes de la plainte contemporaine

Souvent confondue avec le fait de « râler », ou de maugréer contre les déconvenues de l'existence et surtout de grogner pour faire entendre haut et fort son insatisfaction, la plainte, aujourd'hui, peut avoir un caractère lancinant, épuisant pour l'entourage, du fait de la répétition des mêmes reproches ou réprobations contre une société qui – décidément – va mal. Le grand risque est tout de même de faire passer un mécontentement persistant pour de l'indignation, la mauvaise humeur pour de la conviction et, plus encore, l'insatisfaction pour de l'injustice.

Il est d'ailleurs frappant de constater à quel point, depuis une ou deux décennies, le mot frustration est devenu fréquent, comme si la société consumériste à laquelle nous participons nous rendait impérieux, voire capricieux, ne supportant plus le moindre manque, le moindre délai dans l'obtention prétendument due de notre jouissance.

La plainte pour un oui ou pour un non, souvent pour peu de chose, présente un puissant effet d'entraînement, qui servirait presque de justification aux comportements infantiles qui la caractérisent. Une telle systématisation de la plainte pourrait faire réellement sourire si, au moins, ceux qui s'en emparaient pour dire leurs malaises faisaient appel à un peu d'humour et de dérision bienveillante envers eux-mêmes. À son père, qui lui a fait remarquer qu'il se plaint beaucoup depuis quelque temps, un jeune étudiant répond : « À la fac, tout le monde se plaint tout le temps. Dans le bus, après les cours, c'est encore pire. Pendant une demi-heure, j'entends les plaintes de tout le monde. Cela ne m'aide pas à m'arrêter de me plaindre. » Pris dans la masse insatisfaite, l'individu pourrait-il n'être qu'insatisfait ?

En dehors des injustices réelles, il existe effectivement tant d'occasions de se plaindre : des attentes déçues, des efforts non récompensés, de véritables détresses morales ou souffrances physiques, un spleen qui s'installe, les épreuves de la vie, y compris la maladie et le vieillissement, la lassitude ou l'épuisement, les aléas de l'existence, les accumulations de difficultés, etc.

Différentes plaintes

À partir des témoignages recueillis lors de l'enquête et de l'écoute des patients en psychanalyse, j'ai pu repérer plusieurs formes de plaintes, sur lesquelles nous reviendrons au cours des prochains chapitres :

– Regarde-moi ! sert à se mettre en valeur et à attirer l'attention.

– Allez, plains-moi ! permet de forcer la commisération des autres, vite taxés d'ingratitude s'ils ne montrent pas assez d'empressement et de compassion.

– Mon cinéma personnel, ou mon cinéma familial, vise à mettre en scène une problématique sous-jacente, un malaise hérité de ses parents ou le modèle relationnel prégnant dans sa famille.

– J'ai peur, attention danger ! résume des gémissements incompréhensibles, voire insupportables pour l'entourage, car ni les uns ni les autres n'ont consciemment accès aux informations (traumatisme personnel ou mémoire généalogique) qui permettraient de connaître les véritables raisons de ces alarmes.

– J'ai mal, entends ma douleur ! correspond à une insistance dans la lamentation : celle-ci n'étant pas facilement accueillie de bonne grâce, certains sujets tentent de mieux se faire entendre en appuyant, parfois trop…

Ces différentes variantes de la plainte peuvent laisser perplexe, d'autant que, dans de nombreux cas, la protestation apparente ne correspond pas aux vraies doléances profondes, motivant malgré elles un réquisitoire incessant qui, souvent, lasse l'entourage. Ainsi, Béatrice est très critique envers les hommes. « Je les trouve lâches, faibles, égoïstes, intéressés, calculateurs, égocentrés, imbus d'eux-mêmes, bestiaux, irresponsables, jouisseurs, incapables de reconnaître leurs erreurs et de se remettre en question… » Elle dit n'avoir vécu que des déceptions et s'en plaint fréquemment, sans pouvoir reconnaître encore de quelles injustices profondes elle se plaint en réalité.

Dans d'autres situations, les lamentations sont fréquentes car elles tentent de manifester un trop-plein d'injustices non exprimées ou non reconnues, comme nous l'avons mentionné précédemment. C'est le cas de Joan, par exemple. Joan vit seule depuis qu'elle est adulte. En dehors de son travail comme directrice financière, fonction qu'elle exerce avec un zèle impeccable, elle ne cesse de gémir et de pleurer sur son sort. Elle n'a qu'une seule amie, d'une patience exemplaire, s'entend peu avec ses frères qu'elle voit rarement, n'a pas été en relation amoureuse avec un homme plus de quelques jours. Depuis plusieurs années, elle est atteinte d'une sclérose en plaques. Elle regrette de n'avoir pas d'enfant, pas de vie de famille, de ne pas réussir à partir loin de chez elle à cause d'une angoisse irrépressible qui l'étreint douloureusement. Elle n'a pas pu dire adieu à son père avant sa mort et ne peut voir sa mère sans se mettre en colère. Lors des premières séances, le discours ininterrompu de Joan est difficilement soutenable tant il se présente comme une litanie de malheurs.

Pour d'autres, les injustices se sont également accumulées sans possibilité apparente de les faire cesser et de les dénoncer, comme pour Jessica qui vivait dans un système familial de type « Tu as tout le temps tort ». Quoi qu'elle dît ou fît, ses parents, relayés par ses frères et sœurs, s'ingéniaient à lui faire honte et à la rendre coupable de tout ce qui n'allait pas, selon la politique bien rodée de désignation d'un bouc émissaire. À la douleur s'ajoute parfois la terreur, lorsque la souffrance est instrumentalisée.

Extrait du livre "Le syndrome de Caliméro" de Saverio Tomasella, aux Editions Albin Michel

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