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Salon de l’agriculture : les 5 défis majeurs à relever pour sauver les campagnes françaises
©Reuters

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Au moment où le Salon de l’Agriculture va s’ouvrir, et donner lieu au défilé habituel de candidats à la Présidentielle, on peut s’interroger sur cinq vrais défis auxquels doivent faire face les agriculteurs français, et européens.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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L'éco : Bruno Parmentier

Au moment où le Salon de l’Agriculture va s’ouvrir, et donner lieu au défilé habituel de candidats à la Présidentielle, on peut s’interroger sur cinq vrais défis auxquels doivent faire face les agriculteurs français, et européens. 

Apprendre à vivre avec le réchauffement climatique.

Nous avons eu un printemps exceptionnellement pluvieux… (mais il faut s’interroger sur l’emploi si facile du terme exceptionnel car il s’agit peut-être d’un printemps désormais "normal"). Les blés qui n’ont pas été pourris par les inondations ont souffert de manque de rayonnement solaire, et au total la récolte a baissé d’un tiers. Plus d’un agriculteur s’est interrogé sur ses choix : à quoi bon se payer des semences, des engrais et des pesticides très onéreux si au final on n’est pas capable de supporter un printemps pluvieux ? Les producteurs de fruits et légumes ont aussi largement souffert du même phénomène. Tout laisse à penser que le climat va continuer à se détériorer rapidement. Bien entendu ce sont les agriculteurs des pays tropicaux qui souffriront le plus, mais ici aussi il va falloir s’adapter. Que faisons-nous pour avoir une agriculture plus résiliente, capable de s’adapter à ces nouvelles données ? Il convient de revoir des choix génétiques et de méthodes culturales qui ont été faits exclusivement pour rechercher une productivité maximum dans les anciennes conditions "habituelles".

S’adapter aux changements rapides de consommation alimentaire.

L’agriculture bio progresse actuellement à raison de 20 % par an en surface et 15 % en chiffre d’affaires, quel autre secteur de l’économie française peut s’enorgueillir de tels taux ? Ne faut-il pas en tirer quelques leçons ? L’essor du "sans" (sans gluten, lactose ou viande, sans soja, œufs, caféine, crustacés, cacahuètes, noix, sésame, tournesol, moutarde ou pavot, mais aussi, sans OGM, pesticides, sulfites, additifs ou matières grasses, etc.) est également le signe d’une volonté des français de se réapproprier une certaine maîtrise de leur alimentation, et par extention de leur vie ; comment les agriculteurs peuvent-ils accompagner ce mouvement de fond ?

La consommation de viande et de produits laitiers, qui n’avait cessé d’augmenter tout au long du XXe siècle (on était passé de 20 kilos par personne et par an dans les années 1920 à 50 dans les années 1950, 80 dans les années 1980, et 100 au tournant du siècle) a amorcé sa décrue, puisqu’on ne consomme plus aujourd’hui que 85 kilos de viande et 90 kilos de lait (sous forme de laitages). Tout laisse à penser que ce mouvement va se poursuivre : ces produits ne sont plus autant "à la mode" que pendant les 30 glorieuses, et les critiques multiples dont ils font l’objet (santé, intolérances, risques sanitaires, bien-être animal, scandales, peurs et méfiances diverses) risquent de s’accentuer. Un signe récent de ces évolutions sociétales, les nouveaux "repères de consommation alimentaires" de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES), qui seront reprises dans le prochain Programme national nutrition-santé (PNNS) : en matière de viande, œufs et poisson, on recommandait jusqu’à présent d’en manger "une ou deux fois par jour" ; maintenant "pas plus de 25 grammes de chacuterie et de 70 grammes de viande par jour, et du poisson une ou deux fois par semaine". En ce qui concerne le lait, l’évolution est encore plus spectaculaire : c’était "3 produits laitiers par jour", et désormais… silence, ils ne savent plus quoi conseiller !

Ce secteur économique, qui a été très majoritairement tourné vers la recherche d’une production de masse à faibles coûts, est contraint de privilégier dorénavant la qualité, et la recherche d’arguments pour que le consommateur accepte un prix plus important. Il doit faire la même mutation que le secteur du vin, qui a dû faire face à une baisse drastique de la consommation de 140 litres à 40 litres en 50 ans : actuellement on ne produit plus de "piquette", on ne vend plus le vin en "litrons", et les consommateurs ont accepté de payer beaucoup plus cher leurs bouteilles. Cette profonde mutation sera fort douloureuse et nécessite d’être accompagnée de façon très volontariste, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui….

Inventer une agriculture écologiquement intensive.

L’agriculture "tout chimie, tout tracteur, tout pétrole" est à bout de souffle ; elle repose sur une exploitation intensive de ressources non renouvelables, provoque des dégâts environnementaux et de santé de plus en plus préoccupants, et génère des rétroactions négatives considérables (résistances aux herbicides et insecticides, baisse de la biodiversité et de la fertilité des sols, etc.). Les agriculteurs ont réussi à gagner du temps depuis la promesse faite lors du Grenelle de l’environnement de baisser de 50 % en 10 ans l’utilisation des pesticides, et ils ont même carrément provoqué la société en augmentant leur consommation de ces produits. Mais le retour de bâton arrive : il est maintenant fort possible que l’herbicide le plus utilisé au monde, le glyphosate (Roundup) soit purement et simplement interdit en Europe, ainsi que les insecticides néonicotinoïdes… Il va donc falloir prendre des mesures aussi importantes que le quasi abandon du labour, la couverture permanente des sols (en laissant les résidus en surface ou mettant des plantes de couverture pendant l’hiver), les mélanges de plantes qui s’aident à pousser, l’agroforesterie et l’utilisation intensive d’animaux auxiliaires de culture. Ceci nécessitera dans bien des cas une refonte complète des systèmes de production, pour arriver à produire autant -sinon plus-, et mieux, mais avec moins. Une "agriculture écologiquement intensive", basée sur l’intensification des systèmes écologiques plutôt que sur leur négation.

Maîtriser le monde du big data agricole.

Sous un M2 de sol on peut compter 260 millions d’êtres vivants, pour la plupart totalement inconnus. On peut ainsi mesurer l’ampleur de notre ignorance et comprendre ces scientifiques qui estiment qu’on ne connaît que 10 % des êtres vivants. Depuis un demi siècle, dans le doute on détruisait ! De la même manière on traitait les champs comme un tout en épandant partout les mêmes quantités de produits chimiques sans connaître les besoins réels M2 par M2, voire plante par plante. Ca y est, nous quittons enfin ce monde moyenâgeux de l’ignorance et des approximations pour celui de la connaissance fine. Nos champs et nos animaux seront dorénavant bourrés de capteurs qui nous transmettront en permanence de grandes quantités de données exploitables, et de robots qui feront des interventions super ciblées. La nouvelle chimie s’efforcera de stimuler finement ces fonctionnalités naturelles au lieu de les détruire. Nous arrivons en quelque sorte à l’an 1 de la "nouvelle" agriculture, une véritable révolution technique probablement plus importante que l’arrivée du tracteur après guerre ! Va-t-on perdre cette nouvelle guerre, et faudra-t-il que dans 20 ans les agriculteurs français achètent à prix d’or les données informatiques concernant leurs propres champs à des multinationales d’origine américaine ? 

Intéresser vraiment la société aux défis de l’agriculture.

On va voir un défilé de politiciens se faire photographier au Salon de l’agriculture, année électorale oblige. Mais où est la réflexion politique sur les vrais enjeux de cette activité majeure pour l’avenir du pays ? Veut-on vraiment sauver de la faillite et du désespoir les milliers d’éleveurs qui devraient fermer en 2017, et les aider à se transformer radicalement ? Mettre en place une fiscalité pluriannuelle qui permette aux agriculteurs de lisser leurs revenus ? Revenir à des systèmes de "filets de protection" efficaces pour les aider à passer les crises sanitaires, météorologiques ou d’effondrement des cours mondiaux ? Relancer l’Europe agricole, face aux menaces croissantes d’un monde perçu comme de moins en moins sûr ? 

Le traité transatlantique ne verra jamais le jour, mais quelle autre politique d’échanges internationaux peut-on mettre en place pour cette activité économique fortement exportatrice ? Veut-on installer une vraie politique systématique d’achats de produits locaux et de saison dans toutes les cantines de France, et un choix quotidien entre un repas carné et un repas végétarien (qui au passage abolirait les guerres de religion, fort mal venues à l’école) ?

Et veut-on promouvoir l’idée que, dorénavant, bien manger en France, c’est y dédier un peu plus d’argent et un peu plus de temps ? En 1960, les français consacraient en moyenne 38 % de leurs revenus à leur nourriture à domicile, aujourd’hui 14 %. Allons-nous continuer dans cette voie et arriver aux 9 % des anglais ou aux 7 % des américains, deux peuples dont nous n’envions ni la gastronomie, ni la santé, ou bien tenter de reconquérir la maitrîse de notre santé, de notre culture, de notre convivialité, et d’établir de nouvelles relations entre la ville et la campagne ?

L’agriculture devrait quand même donner lieu à un vrai débat lors de cette campagne présidentielle…

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