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Colonisation : pour une révision scientifique de son histoire
©PATRICK KOVARIK / AFP

Historique

On ne remerciera pas assez Emmanuel Macron d’avoir ouvert un débat sur la nature de la colonisation. Contrairement à toute attente au fond, cette partie de notre histoire demeure à la fois un tabou et un marqueur qui mérite un débat, un peu différent de la polémique à laquelle on assiste, opposant ceux qui seraient “pour” et ceux qui seraient “contre”.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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On ne remerciera pas assez Emmanuel Macron d’avoir ouvert un débat sur la nature de la colonisation. Contrairement à toute attente au fond, cette partie de notre histoire demeure à la fois un tabou et un marqueur qui mérite un débat, un peu différent de la polémique à laquelle on assiste, opposant ceux qui seraient “pour” et ceux qui seraient “contre”. Dans la pratique, c’est une véritable révision scientifique des certitudes répandues, qu’il faudrait, pour purger notre histoire de ses différentes points de fixation.

Macron et la pensée Google sur la colonisation

Au passage, on notera avec amusement la “pensée Google” d’Emmanuel Macron sur le sujet. Celle-ci consiste à empiler tous les mots-clés sur une question donnée, en considérant que dans ce boire et ce manger chacun y retrouvera ses petits.
Ainsi, Emmanuel Macron considère que la colonisation est un crime contre l’humanité qui a permis d’installer les droits de l’Homme dans des pays qui n’y étaient pas prêts. C’est bien le genre de discours Google qui prête à sourire. D’un côté, on donne des gages à ceux qui détestent la colonisation en expliquant qu’elle est un crime dont on doit éternellement se repentir. De l’autre, on en donne à ceux qui la détestent un peu moins en expliquant qu’elle n’es pas si terrible que cela, et qu’elle a produit des bienfaits. Aujourd’hui, on rase gratis et tout le monde aura son content!
On n’est pas bien sûr que cet empilement d’évidences contradictoires permettra de sortir du traumatisme colonial.

La colonisation, étape inévitable de l’histoire

Il y a quelques semaines, un haut fonctionnaire marocain qui m’avait confié une mission me parlait de Lyautey: selon lui, en respectant les coutumes ancestrales, en cherchant à épargner une colonisation brutale au Maroc, le résident général français avait retardé la modernisation du pays. C’est l’ironie de l’histoire. Ceux qui ont subi le choc de la colonisation s’en plaignent volontiers. Mais ceux qui ont été épargnés se plaignent… d’y avoir échappé.
En réalité, la révolution des transports rendait inévitable les contacts entre des civilisations aux niveaux technologiques très différents. La forme de ces contacts suscite aujourd’hui des critiques. N’empêche… le mouvement de l’histoire était à peu près obligé.

La faillite de la pensée critique

Oui, bien sûr, la colonisation s’est accompagnée d’un cortège d’événements épouvantables. Mais il y a bien deux façons d’aborder le sujet aujourd’hui.
Soit on est dans la pensée critique: le bien, le mal, on est pour ou contre. On soutient la colonisation ou on la rejette.
Soit on est dans la pensée réaliste, dans le retour aux choses, et on constate que la colonisation fait partie de notre histoire. Il ne s’agit plus de savoir si on est pour ou contre, mais de savoir quel sort nous réservons à cette histoire pour l’avenir. Faut-il l’arracher comme une branche morte qui nous ferait honte? ou faut-il la saisir comme une formidable opportunité d’influence sur des pays qui nous sont encore proches?

Remettre la colonisation à plat

Au demeurant, l’histoire de la colonisation est volontiers sélective. Ses défenseurs (et il y en a encore) aiment oublier les moments douloureux, comme le massacre de Sétif en Algérie ou la répression de l’insurrection malgache. Pourtant, il serait bon que ces pages complexes soient évoquées à froid et mieux comprises aujourd’hui.
Inversement, les adversaires de la colonisation feraient bien de contempler la réalité des pays qui ont échappé à ce mouvement. Le sort de la Papouasie, par exemple, à l’écart des grands mouvements de colonisation, est-il plus enviable que celui des pays qui ont absorbé le choc de la colonisation? Posée comme cela, la question ne se pose plus tout à fait de la même façon.

La France a marqué l’histoire du monde, qu’elle le veuille ou non

Incontestablement, et qu’elle veuille ou non, la France a marqué l’histoire du monde notamment par le fait colonial. Il a transformé en francophones plusieurs centaines de millions d’humains, qui ont aujourd’hui une relation privilégiée avec la France. Si vraiment nous devions nous en sentir coupable, raisons de plus pour assumer, partout où nous fumes, une diffusion de nos idéaux les plus positifs.
Le bon sens n’est pas de nous repentir d’avoir colonisé, mais de transformer cet héritage en une externalité positive pour tous ceux qui le partagent avec nous.

Diffuser nos valeurs fortes

Au demeurant, auprès de ces populations qui nous regardent, qui nous admirent souvent, et qui partagent notre langue la pire des solutions serait le repli sur soi et l’excuse. Au contraire, nous disposons d’un bassin francophone naturel, au sein duquel un travail ancestral de transmission fut fait, et dont il ne faudrait pas perdre intégralement le bénéfice.
Rompre les relations avec ces pays, comme les banaliser constituerait une erreur. Le bon sens vaut aujourd’hui qui nous fassions fructifier cet héritage au lieu de le dilapider ou de le refuser. Voyons-y un attribut de notre puissance future.

Préparer l’avenir de la décolonisation

Ce retour assumé vers notre histoire se justifie d’autant plus que, nous le savons, la décolonisation est une étape transitoire de l’histoire mondiale. Dans la pratique, et plus que jamais, les peuples sont appelés à se fréquenter, se mélanger, et bâtir entre eux des rapports durables. Avec un peu de détachement, on peut comprendre que la colonisation fut une ruse de la raison pour accélérer les transferts de savoir entre les peuples. Ce transfert est insuffisant. Il est inachevé. Comment l’optimiser ou le pousser jusqu’au bout dans un monde où la conquête militaire a moins de sens?

Il reste à inventer la coopération de demain

Sur tous ces points, nous savons que les pays les moins avancés techniquement auront besoin de nouveaux transferts de savoir et de compétences. Ceux-ci ne pourront probablement plus passer par une occupation militaire comme nous le vîmes avant 1960. En outre, les réserves démographiques ont changé de camp, notamment du fait de la réduction de la mortalité en Afrique.
Donc… un nouvel équilibre est à trouver, parce que nous avons besoin de main-d’oeuvre étrangère pour assumer les fonctions qui fatiguent trop les Français et pour éviter le dangereux déséquilibre entre des pays riches mais peu peuplés, et des pays pauvres regorgeant de main-d’oeuvre. Cet équilibre passera peut-être demain par une forme intelligente de colonisation renouvelée. Nous ne le savons pas encore.
Dans tous les cas, la façon dont les relations entre la métropole et ses anciennes colonies doit se nouer mériterait d’être réfléchie au mieux des intérêts réciproques de toutes les parties…
Sans quoi, d’autres prendront notre place, sans aucun des états d’âme qui nous paralysent aujourd’hui. Ceci passe, on le voit bien aujourd’hui, par une remise à plat de l’histoire qui nous unit aux peuples francophones.

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