Nicolas Sarkozy, le “Président des riches” ? Pas aux yeux des Français les plus fortunés...<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président de la République essaie de se délester de cette image qui lui colle à la peau depuis son dîner de victoire au Fouquet's en 2007.
Le président de la République essaie de se délester de cette image qui lui colle à la peau depuis son dîner de victoire au Fouquet's en 2007.
©Reuters

Le mur de l'argent

Le président de la République essaie de se délester de cette image qui lui colle à la peau depuis son dîner de victoire au Fouquet's en 2007. Mais qu'en pensent les riches eux-mêmes ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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«Le domaine de la liberté commence là où cesse le domaine du travail », écrivait très justement Karl Marx. Un riche, selon moi, c’est quelqu’un qui n’a plus besoin de travailler pour vivre bourgeoisement. En dessous de 2 millions d’euros de patrimoine (en net) au total, on n’est pas vraiment riche aujourd’hui en France : on a peut-être un bon salaire, une jolie maison, une épargne confortable, on a peut-être chacun de ces trois éléments, mais on n’est pas riche au sens que nous venons de définir. En effet, dans une économie où il faut prendre des risques substantiels pour obtenir un rendement (nominal ! et avant impôts !) de plus de 4%/an (net des frais de gestion) sur ses placements, et où les loyers et les prix des logements sont ce qu’ils sont dans les grandes villes, on ne peut pas adopter durablement le train de vie qui siée à un « rentier-bourgeois » si l’on dispose de moins de 2 millions. Le grand capital se situe, lui, environ 10 000 fois plus haut si l’on se réfère à la situation patrimoniale des clans Mulliez, Bettancourt ou Arnault. Cette population des riches est par conséquent très hétéroclite. A-t-elle (globalement) passé un bon moment au cours de la présidence Sarkozy ?

Pour les « petits riches », ça va. Il leur a fallu s’accommoder d’une progression moins soutenue des revenus et des bonus, et d’effets richesse plus incertains, mais ça va ; pour peu que l’on soit propriétaire d’un logement en Ile de France, il est toujours possible de s’enrichir en dormant grâce à la pénurie d’offre foncière et à une demande dopée aux stéroïdes, deux perversités qui ont été savamment entretenues par tous les responsables français, Sarkozy inclus.

Pour les « vrais riches », il en va très différemment : pour ces gens là, les cinq dernières années ont été les plus atroces depuis les guerres mondiales. En effet, les vrais riches ont un patrimoine très spécifique : alors que les petits riches n’ont concrètement que de l’immobilier (appelons un chat un chat), un peu d’assurance-vie, un peu de cash, mais pratiquement pas d’actions, les vrais riches, eux, sont plutôt collés aux niveaux du CAC40 ou de l’Eurostoxx. Cela ne signifie pas qu’ils sont complètement dépourvus en matière de produits de taux, de pierre ou d’actions émergentes. Mais lorsqu’ils sont vraiment riches leurs patrimoines dépendent quasi-exclusivement de la valorisation des parts (cotées ou non cotées) de leurs sociétés : ce sont d’anciens entrepreneurs ou des entrepreneurs en activité.

Et comment ont évolué les valorisations depuis le printemps 2007 ? Comme je travaille dans une salle de marchés, je peux vous livrer ce scoop inédit : la réponse n’est pas « vers le haut ». Il y a les dividendes, me direz-vous. Et, bien entendu, et fort heureusement, l’influence de Nicolas Sarkozy est proche d’epsilon sur les marchés : l’effet richesse négatif n’aurait guère été différent au cours d’un quinquennat de Ségolène Royal, de François Bayrou ou de Jean-Luc Mélenchon. Mais c’est un fait que le Grand méchant capital n’a pas été à la fête, et que les années à venir s’annonce pire encore (croissance potentielle quasi-nulle et déficits publics à combler).

Si la France était un paradis pour les riches depuis 5 ans, les riches étrangers auraient été mis au courant (ce sont des gens plutôt bien informés), et le flux de 1200 familles françaises qui quittent chaque année la France pour des raisons fiscales se tarirait (ce qui n’est pas du tout ce que l’on observe). La France fabrique de moins en moins de riches et elle pousse de plus en plus ses riches vers l’expatriation : voilà une tendance de fond que ce quinquennat n’a pas même égratigné.     

Ceux qui ont gagné du temps et/ou de l’argent au cours de ce quinquennat ont été les gens de l’univers « corporate » (les salaires résistent mieux à la crise que les OPCVM), les rentiers (taxis, notaires et pharmaciens qui ont vu la réforme avorter, fonctionnaires de Bercy qui ont tiré profit de la fusion DGI/Trésor…) et les profiteurs du Grenelle. Il a fallu attendre pour accorder une licence à Free. De façon générale, les jeunes et les nouveaux entrants ont été découragés, les vieilles élites mitterrandiennes ont été soutenues, et les incompétents ont été récompensés (Trichet est désormais administrateur d’EADS, Lauvergeon a reçu un chèque de 1,5 million pour un plantage d’Uramin estimé à 1,5 milliard). 

De plus, le gouvernement a réussi pendant 5 ans une performance de niveau mondial en modifiant à peu près tous les mois les dispositifs réglementaires et fiscaux appliqués à l’épargne, à partir d’une base initiale qui était déjà obscure et labyrinthique. L’incertitude des marchés s’est donc doublée d’une incertitude politique radicale (il en va différemment en Italie où, au moins, les riches ont une certitude : celle de pouvoir compter régulièrement sur une amnistie fiscale). Le bouclier fiscal (qui n’a jamais été plus qu’une mesurette) a été introduit puis violé puis abandonné. Les règles sur les stock-options changent de façon stochastique. L’assurance-vie a été défendue puis rognée. La TVA sociale a été envisagée puis congelée puis re-présentée. Les donations ont été facilitées, puis le dispositif a été durci. La fiscalité environnementale progresse par couche géologique mais en accéléré. La taxe Tobin (qui n’a strictement plus aucun rapport avec l’idée de Tobin) va remplacer l’ancien impôt de bourse (enfin, peut-être, peut-être pas). On aurait voulu promouvoir le métier d’avocat fiscaliste ou le secteur de la gestion de fortune en Belgique ou en Suisse, on ne s’y serait pas pris autrement.

Est-ce qu’au moins les mentalités ont changé et le débat a progressé au cours de ces années de présidence « de droite » ? Pas du tout. L’impôt sur la solidarité est toujours présenté comme un impôt sur des sociétés, alors qu’il est (et ne peut être) qu’un impôt sur les actionnaires et sur les salariés : la théorie de l’incidence n’a pas encore pénétré le débat public. L’impôt sur le revenu ne serait pas assez progressif, voilà la conclusion fulgurante du débat fiscal après 5 années de présidence « pour les riches » (alors que 500 000 personnes assurent 46% des recettes de cet impôt, mais peu importe puisque le réel n’existe plus et que monde n’est plus qu’un décor). L’épargne n’est pas à la mode, et on trouve toujours très légitime de la taxer alors que les épargnants ont déjà été taxés au moment de la formation de leur épargne (les cigales sont taxées une fois, les fourmis deux fois, alors qu’elles rendent un plus grand service à la collectivité). On entend beaucoup parler des réformes byzantines et à sommes nulles de Piketty, on entend rarement parler des travaux de Feldstein ou de Kotlikoff : il ne faudrait pas que l’on puisse débattre de la supply-side ou des comptes générationnels. Ainsi va la France, éternelle. Les mesures fiscales se prennent, les réformes se trainent. Avec ou sans Nicolas Sarkozy. 

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