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Les 144 engagements de Marine Le Pen : à gauche toute !
©Reuters

Méluch, nous voilà !

Ce week-end constitue un temps fort de la campagne de Marine Le Pen puisque ont lieu à Lyon des "assises présidentielles", qui offre l'occasion à la candidate FN de dévoiler ses "144 engagements" pour son quinquennat.

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : D'une manière générale, quel regard peut-on porter sur les 144 "engagements" de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2017 (voir ici) ? 

Dominique ReyniéA première vue, le programme du Front national pour l’élection présidentielle de 2017 s’apparente à celui d’un parti confortablement installé dans un système autrefois vilipendé. On en retrouve les principales caractéristiques générales : une longue série de 144 "engagements" destinés à satisfaire les différentes clientèles électorales supposées, sans souci de cohérence et avec la prudence nécessaire pour ne pas, ne plus, heurter. Puis, une lecture plus attentive révèle une sorte de légèreté, une certaine désinvolture, compte tenu des incohérences de quelques promesses dont les conséquences ne semblent pas avoir été envisagées, comme si cela n’avait pas d’importance.

Demeurent ces références qui font du Front national un parti à part sur l’échiquier politique, affirmant ostensiblement un nationalisme ethnicisant. Pourtant, à y regarder de plus près, cela semble plus obscur. Ainsi, la promesse numéro 1 est de rendre à la France la "liberté" et la "maîtrise de son destin" en retrouvant "sa souveraineté monétaire, législative, territoriale, économique".  Un référendum sur l’appartenance à l’Union est programmé. Pour autant, on ne dit rien de ce qui est prévu si les Français décident de rester dans l’Union, alors que la sortie de Schengen est annoncée, de même que le retour au franc. Le retrait du commandement militaire intégré de l’Otan est la promesse numéro 118 qui accompagne la promesse d’assurer "une capacité de Défense autonome dans tous les domaines". Voilà autant de signes de la grande désinvolture avec laquelle ce programme a été rédigé.  

De même, la promesse numéro 27 annonce la fin du droit du sol. La nationalité française s’acquerra par la filiation. Mais il est dit aussi dans le même programme que la nationalité s’acquerra par la naturalisation. Or, qu’est-ce que la naturalisation sinon une sorte de "droit du sol lent". De plus, la suppression de "la double nationalité extra-européenne" annoncée semble autoriser la double nationalité intra-européenne. Tout le reste est présenté en des termes aussi vagues et à l’aide de ces généralités qui n’engagent à rien.

On le voit, ce programme de promesses procède d’une inspiration de droite, conforme aux origines et à l’histoire du Front national. Mais, là est la marque de Marine Le Pen depuis 2011 et de son bras gauche, Florian Philippot, le catalogue des "engagements" s’inspire tout autant des idées socialistes. Ainsi, promesse est faite d’accroitre significativement le contrôle étatique de l’économie, de ramener l’âge de la retraite à 60 ans, avec 40 années de cotisations, ou encore de mettre fin à la suppression des postes dans la fonction publique. La partie écologiste du programme conduit à des promesses d’une grande banalité, telle qu’un vaste plan d’isolation de l’habitat présenté comme une "priorité budgétaire du quinquennat"…

Le plus frappant est sans aucun doute la longue série de dépenses supplémentaires contenue dans ce programme. Pas de moins de 21 promesses correspondent à d’importantes augmentations de la dépense publique : du recrutement "massif" des forces de l’ordre à la construction d’un nouveau porte avions, en passant par le recrutement de 6 000 douaniers, la revalorisation du minimum vieillesse, de l’Allocation aux adultes handicapés, la revalorisation de 25% des APL, la création d’une "prime de pouvoir d’achat" financée par une "contribution sociale" sur les importations de 3%, qui devrait renchérir les prix à la consommation et conséquemment altérer le pouvoir d’achat, en particulier des plus modestes ; citons encore l’augmentation de 25% du budget alloué à l’entretien du patrimoine, l’augmentation du budget de la Défense, son équipement – là, il est même écrit : "davantage d’avions, de navires, de blindés", sans souci pour la moindre précision…, le dégel et la revalorisation du point d’indice pour les fonctionnaires, etc. Point culminant, l’augmentation considérable, mais non chiffrée, de la dépense publique est censée s’opérer dans le retour au franc, sous la règle d’une économie plus fermée aux échanges et… dans le cadre d’une baisse de l’impôt sur le revenu.

Le texte de Marine Le Pen ne peut pas être pris au sérieux sur le plan économique. Il procède d’un manifeste politique qui s’efforce de tirer partie aussi vite que possible de l’effondrement de la droite et de la gauche de gouvernement, rédigeant une liste à la va-vite de promesses, sachant que les électeurs ne les liront pas ou les oublieront, à la différence de quelques images d’Epinal. 

Philippe Crevel Il s’agit d’un programme qui fait la grande synthèse de la droite, de la gauche, voire du centre, sur les thèmes économiques et sociaux. Cela ressemble un peu au grand marché de la proposition où chacun va pouvoir y trouver son compte. Le problème, c’est que le compte final risque de ne pas être celui que souhaite Marine Le Pen. En effet, comment rééquilibrer les finances publiques en promettant tant, à travers toutes ses propositions ? On remarque d’ailleurs qu’elle ne détaille pas les modes et moyens pour arriver à l’équilibre des finances publiques.

Concernant ses "engagements" économiques, on note un chemin de voie plus que hasardeux, à savoir la sortie de l’euro, et plus globalement de l’Union européenne même si cela n’est pas dit explicitement. Avec la sortie de l’euro, c’est bien évidemment un nouveau monde qui s’ouvre à la France, et qui suppose qu’on règle le problème du contrôle des changes ; de même, le gel des avoirs bancaires et de l’épargne auraient nécessairement lieu dans ce contexte de sortie de l’euro. Or là-dessus, elle est en contradiction avec ce qu’elle dit en voulant supprimer la loi Sapin II. Ce nouveau monde découlant d’une sortie de l’euro, lui non plus, n’est pas détaillé.

Marine Le Pen propose de revenir en arrière sur d’importantes réformes, proposant notamment l’annulation de la réforme des retraites. Or tout le monde sait aujourd’hui qu’il n’est pas crédible de remettre la retraite à 60 ans. Il s’agit là très clairement d’une proposition démagogique.

La mesure visant à supprimer la loi El Khomri est un geste d’ouverture vis-à-vis de la gauche de la gauche, sachant que cette loi ne constituait pas une révolution véritablement. D’ailleurs, Benoît Hamon pourrait tout à fait défendre une telle proposition, même s’il n’ose pas le dire.

On remarque également un certain nombre d’engagements d’inspiration trumpiste, notamment en matière de protectionnisme, mais aussi sur la réindustrialisation, points sur lesquels nous ne sommes pas loin de la proposition de principe à mon sens plutôt que sur des mesures concrètes et qui auraient un effet tangible.

Sur le pouvoir d’achat, on voit bien que la candidate du FN est sur la longueur d’ondes de la gauche, avec sa proposition d’un minimum vieillesse, d’une prime pouvoir d’achat, d’une baisse de 5% des tarifs réglementés, etc. Il en est de même également avec les 35 heures. On est loin de la Marine Le Pen libérale des années 1990. On pourrait qualifier son programme actuel de "corpo-social", pujadiste, mais certainement pas de libéral. Nous sommes donc assez éloignés des anciennes postures du Front national. On remarque cela depuis l’arrivée de Florian Philippot ; désormais, le cœur de business du Front national est situé à gauche de l’échiquier politique.

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