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“Tinder” pour ados : parents, accrochez vos ceintures, les sites qui surfent sur les pulsions sexuelles de vos enfants débarquent en France
©Jean-Pierre Dalbéra/Flickr

Yellow Submarine

L'application "Yellow" a été créée par des entrepreneurs français et rencontre un large succès chez les 12-17 ans, en France et à travers le monde. Cet outil de rencontre est assez vite devenu un moyen d'échange pornographique pour les adolescents, exposant ses jeunes utilisateurs à plusieurs risques.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Des entrepreneurs français ont créé l’application Yellow très populaire en Angleterre et qui gagne du terrain en France. Cet outil est un croisement entre Tinder et Snapchat réservé aux jeunes de 13 à 17 ans. Quels sont les risques liés à cette application (pédophilie, pornographie infantile…) Quelles conséquences chez les jeunes utilisateurs ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Yellow expose les jeunes utilisateurs à plusieurs risques. Le premier est d’être confronté à des prédateurs sexuels qui créent des comptes mensongers (des « fakes »). En effet, rien n’empêche un adulte de créer un compte en mentant sur son âge. Aucune procédure ne vient s’assurer que ce sont bien des adolescents qui ouvrent des comptes et par la suite qui échangentvia cette application. Pour un adulte ayant des tendances pédophiles, il est très facile d’entrer en contact avec des adolescents en utilisant Yellow et de les inciter à poster des photos ou des vidéos où ils apparaissent dénudés.

Un deuxième risque concerne les usages par les jeunes eux-mêmes. C’est un espace numérique qui peut leur apparaître comme une sphère de socialisation juvénile, à l’abri du regard de leurs parents, où ils peuvent « jouer à être adultes », sans risques, notamment en se déclarant hétérosexuels, gays, lesbiennes, bi à un âge où peu ont une connaissance aussi nette de leur orientation sexuelle. Ou en échangeant des commentaires explicitement sexuels, qu’ils soient verbaux ou en images. Pour ce faire, ils ont développé un usage codé des émoticônes. Au-delà de la classique aubergine (qui symbolise le sexe masculin), d’autres sont plus cryptés, comme un chat avec une expression de surprise qui signifie que l’on veut voir son interlocuteur nu, ou l’émoji représentant un diable violet qui veut dire « échangeons des images et des photos ouvertement sexuelles ».

Le problème est qu’il ne s’agit pas d’un jeu, car cette sphère n’est pas uniquement virtuelle, elle est directement connectée à la réalité. C’est-à-dire que l’on n’est pas dans un cas de médias qui entraînent dans un univers fictionnel, comme le font les films ou les séries TV. Ce sont de vraies personnes qui sont derrière l’application, pas des représentations, pas des images, pas des acteurs. Et c’est soi que l’on engage, que l’on expose, que ce soit par les paroles ou les vidéos. Si des propos ou des images choquent, il n’est pas possible de prendre du recul et de déconstruire la représentation en disant que les comportements dans la « vraie vie » sont différents de ce que l’on voit à l’écran. On peut à la rigueur se dire que les paroles ou les images proviennent de personnes qui ont une vision déformée de la réalité, mais la prise de distance est plus difficile, car les jeunes sont personnellement engagés dans l’interaction. Et si on s’est exposé en acceptant d’être le support des fantasmes d’autrui et que l’on en est blessé, il est impossible de faire machine arrière. Au-delà des possibles utilisations pédophiles de Yellow, la conséquence majeure de cette application est donc de penser être apte à entrer dans une relation ouvertement sexuelle à un âge où on ne l’est pas.

Comment un média comme Yellow dont le but initial est la rencontre entre jeunes à si vite dévié en un outil de diffusion d’images pornographique ? Est-ce représentatif d’une nouvelle utilisation des réseaux sociaux par les adolescents ?

L’objectif initial de Yellow a dévié, à mon sens, parce que l’application permet de surinvestir un élément de l’apprentissage de la vie amoureuse, en éliminant totalement les autres dimensions. Je m’explique. Pour apprivoiser les relations sentimentales, les adolescents ont tendance à frimer entre eux, à afficher un usage expert de la sexualité qu’ils n’ont pas dans les faits. La plupart du temps, ces outrances restent verbales et de l’ordre de la représentation de soi au sein d’un entre-soi (garçons entre eux, filles entre elles). Sauf exception, quand ils sont en présence d’une personne avec qui ils sont susceptibles de s’engager dans une relation affective, ce genre de rodomontades cesse pour laisser place à un autre genre de relation qui relève bien moins d’un rapport instrumental à autrui. Ils entrent alors plus dans le domaine du sentiment. Ils se demandent ce que pense, ressent l’autre, comment interpréter tel ou tel propos, tel ou tel comportement, comment le/la « conquérir » etc. Mais Yellow efface le côté réel qu’implique la relation de face-à-face pour laisser place à un autrui que l’on réduit à une projection qui sert à se prouver que l’on est « grand «  puisque l’on sait « jouer le jeu » d’une sexualité explicite et réduite à un rapport instrumental à l’autre corps. Les ados se disent ceci : « c’est un Tinder pour adolescents, Tinder, c’est ouvertement sexuel, donc il faut savoir être ouvertement sexuel sur Yellow, comme ça je ferais comme les grands ». De plus, l’appli permet d’échanger des images et des vidéos éphémères comme sur Snapchat, de sorte qu’ils se disent qu’ils peuvent se « lâcher », parce que tout ce qui se passe sur Yellow est cantonné à l’éphémère, au virtuel, au jeu, sans conséquences. Sauf que la relation à autrui n’est jamais un jeu. 

En tant que parents comment pouvons nous encadrer l’utilisation de ce type d’application ? Selon vous les adultes doivent-ils censurer cet outil ? 

Oui, il me semble préférable d’encadrer cet outil en expliquant aux adolescents que l’espace numérique n’est pas une zone déconnectée du monde IRL (« In Real Life »), que c’est n’est pas un univers de fiction où l’on peut jouer à être grand. C’est un monde où les échanges, verbaux ou par le biais d’images exposent et impliquent de véritables personnes, où la relation à l’autre a des conséquences aussi réelles qu’en face-à-face dans le monde IRL. Il me semble également important de leur apprendre que n’importe où, on peut toujours refuser l’interaction que l’autre propose. C’est-à-dire que rien n’oblige à accepter d’être le support des fantasmes d’autrui, dans la vie numérique comme IRL.

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