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Le directeur de Sciences Po 
cible d'une élite française 
accro au statu quo
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France d'en haut

Depuis quelques semaines, le directeur de Sciences-Po est attaqué de toutes parts, notamment sur son salaire. Et si c'était avant tout sa personnalité et sa volonté de faire bouger les lignes qui dérangeaient la "France d'en haut" ?

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Depuis quelques semaines, Richard Descoings, le directeur de Sciences-po, est attaqué de toutes parts. Au cœur de la polémique, ses revenus font débat : révélée par Mediapart, l’affaire se concentre sur le salaire (élevé) du directeur. Le Monde a consacré plusieurs pages à cette actualité brûlante (On lira notamment les articles Sciences-po : le mandat de trop de Richard Decoings ?, les points de vue de Laurent Batsch, de Jean-Claude Casanvo et Michel Pébereau défendant le bilan de l’école, ainsi que d’autres disponibles sur une page "spéciale" du site du quotidien). Récemment, dans Libération, des étudiants ont signé une tribune exigeant des explications. E il y a plusieurs semaines, un email piraté annonçait même son départ. Débat purement germanopratin direz-vous ? Il est vrai qu’au plein cœur d’une crise économique d’une gravité rare et pendant une campagne présidentielle aux enjeux importants, le sujet ne semble pas d’une urgence pressante… 

Et pourtant ! Le débat sur le salaire de Richard Descoings est un prétexte pour attaquer plus profondément ses réformes de Sciences-po. Il gagne beaucoup d’argent – certainement. Il aurait dû être plus transparent – sans aucun doute. Mais toutes ces attaques semblent cacher une entreprise plus ambitieuse, dans lequel s’affrontent des visions divergentes de l’enseignement supérieur. Ce qui s’exprime de plus profond dans ce débat, c’est le malaise des élites françaises face à un personnage réformateur et dont la personnalité détonne ; c’est le conservatisme des élites françaises et leur capacité rare à se mobiliser pour défendre leurs monopoles. Ce que révèle cette polémique, c’est à quel point la société française est sclérosée et combien les défenseurs du statu quo sont efficaces et prêts à se battre. Ce que tout cela démontre, c’est que le principal obstacle au changement en France n’est peut être pas le « peuple ».

Bien sûr, on pourra reprocher à Monsieur Descoings un goût de la provocation qui dépasse parfois son sens de la communication. On regrettera, à juste titre, que ses arguments sur le coût de la scolarité oublient que ceux qui paient leurs études paient déjà, par ailleurs, des impôts exagérément élevés. Mais le nœud du problème est ailleurs.

Le fond du sujet est de savoir si, en dépit de quelques inconvénients et ratés, le constat de Richard Descoings est le bon. Ce constat, c’est celui qu’en France, l’ascenseur social est un mythe bien fatigué. Ce constat est aussi celui d’un enseignement supérieur français las, impotent, inexistant dans la compétition internationale, rétif au dynamisme et ignorant du monde du travail et de l’économie réelle.

Sur ces éléments de diagnostic, Richard Descoings a raison. L’Education nationale a échoué dans sa mission de promotion des talents. Elle doit être réformée profondément. En attendant, la France ne peut pas se priver des jeunes doués venus des quartiers populaires. Elle ne peut pas non plus se permettre de rester en dehors de l’enseignement supérieur mondial : nos universités ont des bâtiments prestigieux, mais cela ne suffit pas à assurer la qualité de leur rayonnement.

Reste à savoir si les solutions proposées par Sciences-po sont aussi les bonnes ?

Car c’est précisément là que se nouent les conflits : sur la solution des conventions CEP, adoptées il y a maintenant 10 ans (!) par l’Institut d’études politiques de Paris. Cette solution part du principe qu’il faut diversifier les voies de recrutement. Pas recruter au rabais, mais recruter autrement. Les élèves issus des conventions ont beaucoup de talent et un bon niveau académique. Ils passent des épreuves qui sont difficiles et auxquelles beaucoup de ceux recrutés par d’autres voies échoueraient. Au demeurant, bien évidemment, ils ne sont pas choisis parce qu’ils sont pauvres ou immigrés !, mais parce qu’ils sont très simplement bons et travailleurs ! L’important est de savoir recruter les meilleurs d’où qu’ils viennent, en fonction de leur talent : tout cela est finalement très méritocratique.

Cette solution des conventions CEP n’est pas parfaite ? Certainement. Elle pourrait aussi se tourner plus vers les milieux ruraux, où les jeunes souffrent aussi des difficultés d’accès à la réussite. Mais elle a le mérite d’ouvrir l’accès de filières prestigieuses à des jeunes qui en étaient exclus. Elle a l’efficacité d’introduire des nouveaux entrants venus contester un monopole social parfaitement injustifié.

Quant à la suppression de l’épreuve de culture générale, que de bruit pour rien ! L’épreuve en question consiste en la rédaction d’une dissertation dont l’évaluation est fondée non sur la connaissance des "Classiques", mais sur un conformisme intellectuel, social et surtout très parisien. On ne peut pas dénoncer en même temps le formatage des élites et vanter les prétendus bienfaits de cette épreuve ! Par contre, Sciences-po devraient renforcer, par la suite, les connaissances de ses élèves, souvent lacunaires. Mais l’IEP ne peut être tenu responsable de l’échec de l’Education nationale !

Le système scolaire bénéficie aujourd’hui aux jeunes qui ont accès à la bonne information et à la bonne formation, c'est-à-dire aux « initiés » : les "fils de profs" (leurs parents sont le système et peuvent les aider) et les "gosses de riches" (leurs parents peuvent financer les aides qu’ils ne connaissent pas). En soi, ce n’est pas choquant : il est normal de faire profiter ses enfants de sa réussite. Ce qui est anormal, c’est qu’on refuse que les autres aient ces mêmes chances ; c’est qu’on s’organise de manière à écarter des jeunes qui pourraient, par leur travail, leur mérite et leur talent, contester le confort douillet des rentiers de notre société.

Richard Descoings a beaucoup fait évoluer son école. De cette profusion de réformes, il ressort parfois un sentiment de fuite en avant qui déstabilise jusqu’à ses partisans. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, l’IEP est toujours couru de tous les bons élèves de France, qu’il a développé des partenariats avec les meilleures universités mondiales, qu’il publie et recrute, qu’il innove et propose. Bien sûr, il est toujours possible de faire autrement. Bien sûr, les modifications du programme semblent parfois trop fréquentes et pas systématiquement bienvenues. Mais au moins, au moins !, Richard Descoings fait bouger son école là où tant d’autres établissements français dorment sur des lauriers acquis il y a des dizaines d’années !

Ce qui déplait tant chez Richard Descoings, c’est qu’il fait bouger les lignes, qu’il s’attaque aux scléroses, qu’il conteste les monopoles et qu’il oblige des castes à se remettre en question. Bref, il réforme. C’est si rare que ce seul fait mérite d’être salué.

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