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Niveau record d’indécis face au casting de la présidentielle : si la présidentielle ne se jouait pas sur des candidat(e)s mais sur des idées, lesquelles gagneraient ?
©Reuters

Présidentielle aveugle

Selon un récent sondage, le niveau d'indécis en France s'élèverait à plus de 30%, contre 8% en 2012. Une indécision qui porte essentiellement sur la personnalité des candidats, mais pas sur ce que les Français pensent de la situation du pays, ni sur les propositions idéologiques qui leur conviennent ou pas.

Sylvain Brouard

Sylvain Brouard

Sylvain Brouard est chargé de recherche de la Fondation nationale des sciences politiques au Cevipof.

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Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy est directeur du département politique & opinion d'Harris Interactive.

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En septembre 2015, 84% des Français (sondage Elabe) estimaient que l’absence d’accord européen sur l’accueil des migrants et des réfugiés était inquiétante pour l’avenir de l’Union européenne. Quelle est la position majoritaire des Français sur la question des migrants ? Quel est le candidat qui semble aujourd'hui le plus à même de "capter" cette tendance ?

Sylvain Brouard : Le baromètre des priorités politiques (www.prioritespolitiques.fr) révèle que la position majoritaire dans l'opinion française est très claire : 58% des personnes interrogées en septembre 2016 souhaitent une diminution du nombre d'étrangers autorisés à résider en France. Et quand la question porte spécifiquement sur les réfugiés et les demandeurs d'asile, la même tendance est observable. A l'inverse, sur les expulsions, on obtient un résultat inverse avec un très fort soutien pour l'augmentation du nombre d'expulsions. La position majoritaire est donc clairement la diminution du nombre d'étrangers en France. C'est, en outre, l'une des dimensions considérée comme les plus importantes. On a un double effet. 55% veulent diminuer le nombre d'étrangers autorisés à résider en France, 31% "beaucoup diminuer" et  24% "plutôt diminuer" le nombre d'étrangers à résider en France. Sur cette thématique, 28% considèrent que c'est un enjeu "extrêmement important", ce qui est le niveau le plus élevé. Et c'est le Front national qui est considéré comme le mieux à même de mettre en œuvre cette orientation, avec 35% des répondants.  

D'après un sondage Ifop (mars 2016), 59 % des Français estimaient que la réforme du Code du travail risquait d'accroitre la précarité des salariés. Alors que les Français semblaient plutôt favorables au "réformisme", quel a été l'effet de la loi El Khomri, rejetée majoritairement par l'opinion, sur la question du travail ? Faut-il voir un rejet général des Français pour ce type de réformes, ou faut-il associer ce refus à une simple opposition du gouvernement ? Au regard des réponses de l'électorat, quel est le candidat qui semble aujourd’hui le plus à même de "capter" cette tendance ?

Sylvain Brouard : C'est un peu délicat de se prononcer sur la loi El Khomri, compte tenu de son caractère multiforme. 

Là où l'on obtient des réponses claires, en revanche, c'est sur la dimension relative aux possibilités de licenciement. De ce point de vue là, on a le statu quo comme position préférentielle. C’est-à-dire que 20% des répondants pensent qu'il faut augmenter les possibilités pour une entreprise de licencier, 43% considèrent qu'il faut maintenir la situation telle qu'elle est actuellement, et 30% pensent qu'il faut diminuer cette possibilité. 

Il y a donc plus de gens qui souhaitent diminuer les possibilités de licenciement que les augmenter. On voit plutôt une polarisation entre deux évolutions clairement marquées : l'une pour la diminution, l'autre pour une augmentation, avec un groupe (le plus nombreux) qui souhaite l'immobilisme. 

Pour ce qui est des candidats, deux tendances émergent : on a 22% des répondants qui pensent que Les Républicains répondent au mieux à cette question, et qui correspondent à ceux qui souhaitent augmenter les possibilités de licenciement. A l'inverse, on a 16% pour le Parti socialiste, et 10% pour le Parti de gauche, qui, eux, sont, de manière prépondérante, en faveur d'une diminution des possibilités. 

Selon un sondage Elabe pour Les Echos, datant de décembre 2016, les Français semblent peu enclins à la réduction des dépenses publiques. En effet, sur les 9 items proposés, des aides sociales à la santé, en passant par l'éducation, pas un seul ne dépasse le seuil des 50% d'une baisse "acceptable" de la dépense. Quelle est la leçon de ce résultat ? Quel candidat semble le plus à même de répondre à cette demande ?

Sylvain Brouard : Clairement, il y a une préférence pour la dépense publique chez les citoyens français et elle va en augmentant depuis le début des attentats. En particulier à gauche mais aussi pour une partie de la droite, par exemple pour les dépenses de défense qui était le poste budgétaire pour lequel les Français étaient majoritairement d'accord pour diminuer. Avec les attentats, la sécurité et les dépenses militaires font l'objet de demande d'augmentation substantielle. Mécaniquement, cela pousse le curseur des dépenses publiques vers le haut. On voit que depuis décembre 2014, il y a une progression constante et forte de la préférence pour la dépense publique. Sur ce sujet, il est difficile de dégager un candidat ou un parti. Tout le monde dit que les dépenses publiques globales doivent baisser ou être stabilisées mais les annonces de hausse sectorielle se multiplient... La baisse des dépenses publiques est d’abord associée au parti Les Républicains. Ce sont donc eux qui sont en contre-courant de l'opinion, en particulier sur la question de l'État-providence (sur les dépenses de l'assurance maladie, par exemple). Cependant, il y a un fort consensus sur la nécessité d’une baisse du déficit public, évolution pour laquelle Les Républicains apparaissent comme les plus crédibles.

Selon un sondage Ifop datant de novembre 2016, 48% des Français font de la lutte contre le terrorisme une priorité juste derrière la lutte contre le chômage. En quoi la vague terroriste a-t-elle modifiée les attentes de l'opinion sur cette question ? Face à une telle menace, quelles sont les réponses souhaitées par les Français ? Quel serait le candidat le plus en conformité avec ce souhait de l'électorat ? 

Sylvain BrouardLa vague de terrorisme a clairement augmenté l'attention portée aux questions de sécurité et leur importance. Le terrorisme s'inscrit plus globalement dans la problématique sécuritaire. Il est l'une des composantes de l'insécurité. L'opinion est de plus en plus favorable à des dépenses en matière de sécurité ainsi qu'à des peines plus sévères pour les délinquants et criminels. Clairement, il y a une forme de droitisation de l'opinion sur ces questions, et tout particulièrement parmi l'électorat de gauche. C'est celui-ci qui a le plus évolué vers la fermeté parmi l'électorat français. Ce qui est assez logique car les citoyens de droite pensaient déjà que la situation sécuritaire était très difficile ; par conséquent, ils étaient très favorables à plus d'efforts en matière de sécurité et leurs opinions ont été, d'une certaine manière, confirmées par la vague terroriste.

A l'inverse, l'opinion des citoyens de gauche consistait plutôt à dire que la situation n'était pas trop mauvaise à la base. Et que, par conséquent, il n'y avait pas besoin de beaucoup plus d'efforts et de fermeté en matière de sécurité. Le terrorisme les a amenés à modifier leur perception de l'état de la société française et à évoluer vers les positions traditionnelles des sympathisants de droite. 

En bref sur ces questions, la gauche se droitise. Le parti le plus crédible sur cette question est une nouvelle fois, comme sur l'immigration, le Front national, devant Les Républicains, mais dans une moindre mesure.

Selon un sondage OpinionWay pour le Cevipof, seuls 42% des Français considèrent l'appartenance de la France à l'Union européenne comme une bonne chose. Cependant, la population française semble majoritairement en faveur d'une poursuite de l'aventure européenne. Quelle leçon tirer de cet apparent paradoxe ? Quel candidat semble le mieux à même d'y répondre ?

Sylvain BrouardIl y a deux dimensions qu'entretiennent les Français dans leur rapport à l'Europe : une dimension affective et une autre politique.

Sur la dimension affective, cela évolue selon le positionnement sur l'axe gauche-droite. Plus on est à droite, moins on est attaché à l'Union européenne, et les moins attachés de ce point de vue là, ce sont les sympathisants du Front national. 

Sur la dimension politique, on est sur une dimension de courbe en "U", c’est-à-dire qu'on est beaucoup plus favorable à la politique de l'Union européenne lorsqu'on est au centre de l'échiquier politique, et au fur à mesure que l'on se dirige vers les extrêmes, on est de moins en moins favorable. On finit par voir émerger deux pôles des eurosceptiques : un à l'extrême droite, l'autre à l'extrême gauche. 

C'est donc le Front national qui est le plus aligné sur la position eurosceptique affective, avec le refus culturelle de l'Union européenne. Sur la dimension politique (au sens politique économique), c'est le Front de Gauche de Jean-Luc Mélanchon qui est le plus aligné. 

Selon une étude OpinionWay réalisée pour le Cevipof, 62% des Français estiment que l'islam représente une menace pour la République. De la même façon, un sondage Ifop datant de février 2015 indiquait que 81% des Français jugeaient la laïcité "en danger". Quelles sont les réponses attendues par l'opinion ? Quel serait le candidat le plus en adéquation avec cette tendance ainsi exprimée ?

Jean-Daniel Levy : Les Français perçoivent clairement une menace provenant des pratiques de l'islam dans l'espace public, même si cela ne témoigne pas d'une critique absolue. Il faut aussi noter que selon les enquêtes menées, la pratique de l’islam est perçue différemment en fonction de son type d’exposition dans l’espace public. Port du voile, du hijab, construction de mosquées, prières dans la rue… suscitent une réprobation forte. En revanche, les cinq prières par jour, la pratique du ramadan, le fait de se rendre à la Mecque et même l’Aid el Kebir  (avec là aussi son lot de représentations) ne créent pas de rejet.

Mais implicitement, la ligne de facture semble bien être déterminée par la présence de l'islam dans l’espace public.

Du côté des partis, les positions sont claires : à gauche, on opte pour une pratique plutôt libre de l'islam, alors qu'à droite, on retrouve une position plus critique à son égard (par exemple sur le port du voile). Mais c'est Marine Le Pen qui semble être majoritaire sur cette question avec une position ferme sur le sujet.

Si 8 Français sur 10 considèrent que l'incarnation présidentielle est déterminante pour le vote, quel pourrait être le résultat d'un vote désincarné, uniquement basé sur les idées ? Ne relèverait-on pas un paradoxe dans lequel un électeur se retrouverait finalement proche du programme d'un candidat pour lequel il n’éprouve pas d'affinité à la base ? Le programme l'emporte-t-il sur le candidat qui l'incarne ?

Sylvain Brouard : C'est très compliqué. La théorie du choix social a mis en évidence que les conditions pour qu’un équilibre (ou de solution majoritairement préférée à toute autre) dans un espace politique multidimensionnel existe sont très peu probables dans la réalité. Le cycle ou paradoxe de Condorcet en est, d’une certaine manière, un exemple très connu. Si les électeurs se décidaient "rationnellement" seulement sur les dimensions politiques en fonction de leurs préférences (et de l’importance accordée à celles-ci), nous ne sommes pas sûrs d'aboutir à une solution optimale soutenue par une majorité.

Formellement, les partis politiques et les candidats proposent des synthèses spécifiques agglomérant des positions politiques sur les dimensions politiques qu’ils considèrent les plus importantes. Par conséquent, il n'y a pas une infinité de propositions possibles mais autant de propositions que de candidats (avec une marge d’incertitude liée aux imprécisions des positions des candidats et à la crédibilité que leur accordent les électeurs). La limitation des alternatives simplifie les choix et potentiellement diminue la probabilité ou le nombre de configurations où il n’y a pas d’équilibre (ou de solution majoritairement préférée à toute autre).

Je ne suis donc pas certain qu'une présidentielle des idées soit une solution. En outre il y a aussi un problème de connaissance politique : si je vous demande combien il faudrait dépenser en politique de défense, sauriez-vous me répondre ? Ce n'est pas si simple et les questions se multiplieraient pour chaque enjeu. 

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