L’insoutenable omniprésence médiatique des grands partis pendant les primaires (et les solutions à prendre pour permettre une réelle équité entre les tous les candidats à l’élection présidentielle…)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les primaires ont encore accentué l'omniprésence médiatique des deux grands partis.
Les primaires ont encore accentué l'omniprésence médiatique des deux grands partis.
©Capture d'écran

Deux poids, deux mesures

Les primaires tendent à renforcer encore plus une loi des dernières élections présidentielles. Selon que vous soyez puissants ou misérables, les médias vous rendront éligibles ou non.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

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Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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Les primaires ont offert une surreprésentation médiatique aux Républicains et au PS. Elle n’a d’ailleurs pas eu que des avantages en termes d’image. Faut-il corriger cette disproportion dans le traitement des candidats selon qu’ils participent ou non aux primaires ?

Dominique Jamet : Les primaires ne sont pas prévues dans la Constitution. Ce n’est pas un mécanisme officiel ou une institution. Les Républicains et le Parti socialiste ont cru devoir organiser des primaires en raison de l’absence de candidature de François Hollande et de leadership « naturel » qui émerge à droite. En conséquence de quoi, on a pu constater que pendant une longue période de trois mois le PS et les Républicains ont monopolisé la couverture médiatique, sans compter les mois qui ont précédé la primaire de la droite ! C’est un avantage considérable qui est ainsi donné aux grands partis. Les autres candidats, à l’inverse, sont peu ou pas entendus au point que certains électeurs demandent aux « petits » candidats s’ils ont abandonné leur candidature ! Les médias n’ont pas assez de largeur de vue.

Dominique Wolton : Il faut bien sûr corriger cette disproportion ! Ce n’est pas un problème de loi. Ce sont les médias qui sont en cause ! Pour des raisons d’audience, ils font une sélection qui est contestable dans la mesure où les « petits » candidats ont des choses à dire, et qui sont peut-être même plus intéressantes parfois que ce que disent les candidats des deux grands partis ! Il y aura toujours une inégalité dans le traitement des candidats, mais il y a des limites à cette inégalité de traitement. A cela s’ajoute autre chose : les « petits » candidats n’ont pas seulement peu de temps de parole, ils sont traités avec condescendance !

Derrière une indépendance des médias qui reste théorique avant tout, ceux-ci ont également tendance à favoriser tel ou tel candidat. Comment faire pour concilier la liberté de la presse et une juste représentation des différents candidats ?

Dominique Jamet : La dictature fait taire toute opinion dissidente et hétérodoxe. Au contraire, dans la démocratie prévaut la liberté d’opinion. Mais ce principe n’a pas de sens s’il n’est pas appliqué ! Dans les faits, tel ou tel candidat n’a pas les mêmes chances qu’un autre de l’emporter ! Rien dans les textes ne s’oppose à un bon fonctionnement mais dans la réalité ce n’est pas appliqué ! Les médias ne sont pas représentatifs de l’ensemble de l’opinion. C’est lié à la concentration de la presse et à la concentration de l’opinion. Pendant le référendum de 2005 et même les primaires de la droite, les médias ont eu une nette préférence pour les grands partis représentés au parlement, ce qui correspond à un éventail  qui va du centre-gauche au centre-droit. 50% d’opinions au maximum sont donc représentées par 90% des parlementaires et des médias. Ce n’est pas normal ! Il manque un mécanisme compensatoire pour assurer l’équité du temps de parole. Il faut soit un mouvement spontané des médias soit créer une nouvelle haute autorité pour que toutes les opinions aient des tribunes. On est passé d’un système relativement démocratique où tous les partis avaient leurs propres journaux, des communistes jusqu’aux royalistes, à une  situation où les candidats ne peuvent pas tous s’exprimer à voix égales ! Il faut changer cela !

Dominique Wolton : L’information est devenue un marché : c’est cela qu’il faut traiter. Il y a beaucoup trop de concurrence entre les sites, les réseaux, les radios et les journaux. Le paradoxe est le suivant : il n’y a jamais eu autant de supports, et pourtant il y a moins de diversité ! Moi-même, il y a quelques années, j’avais écrit que la multiplication des supports apporterait plus de diversité dans le traitement de l’information. Cela ne s’est pas produit dans la réalité. Les grands partis de droite et de gauche sont surreprésentés dans les grandes émissions et dans les grands journaux, et les primaires l’ont illustré crument ! Il faut mettre les médias face à leurs responsabilités. Si, lors des conférences de rédaction, les journalistes consacraient ne serait-ce que 20% de leurs sujets sur la présidentielle aux « petits » candidats, il y aurait un changement bienvenu. La question n’est pas tant celle des propriétaires que des journalistes eux-mêmes qui pratiquent une autocensure à des fins concurrentielles.

Doit-on recourir à des règles, ou considérer que c’est le rôle de chaque force politique de capter l’attention médiatique et de construire des mouvements d’adhésion populaire ? Quelqu’un qui n’est pas capable d’attirer les médias par ses propositions et sa vision de la France peut-il prétendre gouverner le pays ?

Dominique Jamet : On a imposé le silence aux pauvres et aux faibles. Les écrivains et les artistes le savent bien : la pire condamnation c’est le silence ! Nous avons un système qui se prétend démocratique mais qui en réalité avantage les plus forts sur les plus faibles. Il est normal, bien sûr, que nous veillions à éviter les candidatures fantaisistes. C’est pour cela qu’on a introduit la règle des 100 parrainages en 1965 et elle a marché. Désormais on les a fixés à 500, baissant ainsi les chances pour les candidats de se présenter. Il faut qu’ils aient accès aux médias pour que les gens connaissent leur programme. C’est difficile à résoudre, j’en conviens. On peut imaginer que la haute autorité dont j’ai parlé permette à tout le monde de s’exprimer. S’il y a équité, on aura une redistribution des cartes au détriment des grands partis. On entendrait enfin certains candidats, plutôt que de nourrir une logique du vote utile ! Concrètement, il faut que la loi ou l’Etat assure la représentation des opinions soit en subventionnant comme autrefois les radios, les journaux et les télévisions soit en contraignant à accorder des tribunes, peut être grâce à l’action de cette nouvelle haute autorité.  

Dominique Wolton : Je pense qu’on ne peut –hélas !- pas faire grand-chose. Les intellectuels et les journalistes doivent prendre l’initiative. Ils sont les uns et les autres trop prisonniers de nouvelles nomenklaturas. Il faut agir à ce niveau. Il y a quelque chose de vrai dans l’idée qu’un candidat qui a peu d’exposition médiatique n’a peut-être pas le niveau ou la capacité pour diriger le pays, mais c’est contestable également. Pour que les médias parlent de vous, il faut que vous parliez leur langage ! Il faut donc s’y soumettre d’une certaine façon. C’est donc un argument pervers. C’est un abus de pouvoir contre-productif de la part des médias car, sur le fond, ils sont très fragiles. Ils sont détestés par les Français ! Une contestation populaire radicale s’élève contre l’arrogance de la nomenklatura journalistique. Or c’est la condition de la démocratie que tout le monde soit un minimum représenté dans les médias. Cela passe par la possibilité pour les « petits » candidats de s’exprimer !

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