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Renouveau démocratique qu’ils disaient... Pourquoi la France est surtout confrontée aux mille et un poisons apportés par les primaires
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Les primaires

Alors la campagne présidentielle 2017 n'a pas encore officiellement débuté, les surprises et rebondissements ont déjà été nombreux, notamment à l'occasion des deux primaires. Si François Fillon peine à rassembler sa famille politique malgré un score important, côté socialiste, face à une division évidente, la tentation Macron se fait de plus en plus ressentir. Et si au lieu de rassembler, les primaires avaient surtout exacerbé les divergences au sein des partis ?

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon

Pierre Bréchon est professeur émérite de science politique à l’IEP de Grenoble, chercheur au laboratoire PACTE, directeur honoraire de l’IEP de Grenoble, et auteur notamment de Comportements et attitudes politiques aux Presses universitaires Grenoble. Il a également dirigé l'ouvrage Les élections présidentielles sous la Ve République (Documentation française). 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : En quoi le dispositif des primaires peut-il être remis en question au regard des derniers événements, notamment de la fragilité affichée par François Fillon et de ses difficultés à créer les conditions du rassemblement. Même question sur le flanc gauche, puisque certains députés "valssistes" semblent prêts à rejoindre la candidature d'Emmanuel Macron ?

Vincent Tournier : Les problèmes sont différents pour le PS et pour les Républicains. Pour François Fillon, le problème est d’arriver à quitter la logique des primaires. François Fillon a gagné la compétition interne en proposant une synthèse qui comporte un volet identitaire-autoritaire et un volet libéral. Ce positionnement lui a permis de trouver un bon équilibre interne, mais il lui pose maintenant des problèmes pour affronter l’élection présidentielle car il reçoit des critiques sur les deux volets. De plus, depuis son intronisation, sa stratégie semble avoir été de miser sur la discrétion. Il espère sans doute rejouer la stratégie qui a été payant pour les primaires car la discrétion lui a permis de se maintenir à l’écart des affrontements entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Toutefois, cette stratégie est risquée pour l’élection présidentielle. D’une certaine façon, l’affaire de sa femme est aussi la conséquence du vide politique qu’il cultive jusqu’à maintenant. De ce fait, il se trouve un peu démuni car il n’a aucun moyen pour faire contrepoids. Il aurait dû occuper davantage le terrain. Il va sans doute le faire dans les jours qui viennent, mais n’est-ce pas un peu tard ?

Pour le PS, le problème est d’une autre nature. Le PS doit d’abord assumer l’impopularité du président sortant.  Il est donc très affaibli et part dans une mauvaise posture. Rappelons qu’il a perdu au moins la moitié de ses adhérents, sans parler de ses défaites aux élections locales et européennes. Les primaires ont donc été beaucoup moins mobilisatrices qu’en 2011 avec seulement 1,6 millions d’électeurs contre 2,6 millions en 2011. De plus, son candidat va être désigné tardivement : au mieux, il va pouvoir commencer sa campagne en février, alors que, en 2011, François Hollande avait été désigné en octobre.  Et le PS sera fortement concurrencé des deux côtés, sur sa droite par Emmanuel Macron et sur sa gauche par Jean-Luc Mélenchon. Il n’est pas certain que Benoît Hamon ait suffisamment de charisme et de force pour trouver sa place entre ces deux concurrents.

Pierre Brechon : L’organisation de primaires ne doit pas être jugée en fonction des conjonctures politiques observées au moment ou après leur déroulement. Il faut se rappeler qu’elles ont d’abord été envisagées par la droite au tout début des années 1990 pour permettre une unité de candidature  entre le RPR et l’UDF. L’histoire a montré que l’idée, difficile à mettre en œuvre, avait fait lentement son chemin, d’abord à gauche, puis maintenant à droite. Ces primaires ne sont pas réservées aux adhérents mais ouvertes à l’ensemble des électeurs d’un camp, ce qui enlève du pouvoir aux militants mais en donne davantage à l’électeur de base, ce qui est une mesure intéressante en période de déficit démocratique et de contestation des élus et des partis. Tout parti de gouvernement, voulant rassembler largement pour exercer le pouvoir, est nécessairement composite politiquement. Il doit se mettre d’accord sur le meilleur candidat susceptible de l’emporter à la présidentielle. Il vaut mieux que le choix soit fait par les électeurs que par les instances dirigeantes ou même les seuls adhérents. S’il n’y avait pas eu de primaires à droite et à gauche, il est clair que les difficultés pour unir chaque camp auraient été encore beaucoup plus grandes, avec même le risque de candidatures multiples venant de chaque camp.

Depuis que le système politique français a intégré les "primaires citoyennes", les partis politiques semblent s'être bien plus illustrés par l'agitation de leurs divergences, plutôt que par leur capacité de rassemblement. En quoi l'organisation de primaires peuvent-elles avoir pour effet de diviser les camps de façon parfois artificielle, mais ayant tout de même pour effet de créer une réelle difficulté pour un rassemblement d'une famille politique ?

Vincent Tournier : Les conflits internes ne sont pas nouveaux, mais il vrai que les primaires les rendent plus visibles. En même temps, la logique de ces conflits n’est pas évidente. On l’a vu avec les débats du PS : les différences entre les candidats ne sont pas évidentes ; les propositions sont assez proches, les variations sont minimes et ne permettent pas d’identifier des postures claires (qui est le plus à gauche ?). Pour compliquer le tout, les échanges avaient lieu dans un climat feutré et apaisé, avec échanges de sourires qui rappellent que les candidats font partie de la même famille, ce qui vient relativiser les antagonismes. On peut ajouter que les deux candidats qui sont au second tour sont issus de la même matrice idéologique, à savoir le rocardisme. On peut faire la même remarque pour la droite puisque les deux candidats qui sont arrivés en tête ont participé au même gouvernement. Donc, pour les électeurs, les primaires n’aident pas vraiment à clarifier les choses. Ils peuvent même se sentir confortés dans l’idée que les compétitions électorales sont surtout des querelles d’ego. Et puis le format même des débats pendant les primaires a un inconvénient : il ne donne pas la possibilité  aux candidats d’aller très loin dans leurs analyses. En fait, les candidats se contentent de dresser une liste de propositions, souvent modestes ou ponctuelles, mais ne disent pas grand-chose sur la façon dont ils voient le monde aujourd’hui. Que pensent-ils de la mondialisation, de l’Europe, de l’OTAN, de la Chine, du terrorisme ? Quel bilan tirent-ils des vingt dernières années, et comment souhaitent-ils que le monde évolue ? Les primaires n’aident pas à aller très loin sur ce point. C’est aussi un effet pervers de la société médiatique, qui favorise les messages courts et axés sur le présent.

Pierre Brechon : Ce n’est pas l’organisation des primaires qui divise. Elles permettent de réguler les différences existantes et le jeu des egos dans chaque camp. Bien sûr, au cours des débats, les différences s’expriment et la concurrence peut les exacerber. Mais, au soir du second tour, au-delà de toutes les divergences, il y a un élu légitime. Normalement, chaque camp devrait pouvoir s’unir derrière son candidat. Si cela ne marche pas, ce n’est pas la faute des primaires, c’est la faute des divisions politiques très fortes de chaque camp, divisions qui mettent en péril sa présence au second tour présidentiel. La réduction du nombre de candidats dès le premier tour conditionne en fait les chances de succès d’un camp au second. 

Quelles sont véritablement les conditions du rassemblement autour d'une personnalité politique ? Comment peut se construire cette cohésion interne à un parti ? 

Vincent Tournier : Les primaires sont apparues pour essayer de résoudre les problèmes de leadership qui se posent dans les partis de gouvernement. Il s’agit en quelque sorte de remédier à la difficulté des partis pour faire émerger un leader charismatique, une personnalité susceptible de faire taire les dissensions internes. Il y a aussi, dans les primaires, une logique de communication et de mobilisation : les partis veulent occuper le terrain, faire parler d’eux, donner le sentiment qu’ils sont à l’écoute des citoyens.

Mais la question est de savoir si la réponse est adaptée au problème : peut-on résoudre des problèmes politiques par une solution technique ? Certes, les primaires n’ont pas totalement démérité et on peut leur trouver plusieurs avantages, notamment une certaine transparence. Mais elles ne sont pas calibrées pour résoudre les problèmes plus profonds. Elles présentent même des effets pervers. Par exemple, paradoxalement, elles ont tendance à limiter les affrontements internes car personne n’a intérêt à aller trop loin. De plus, elles ne sont pas adaptées pour provoquer un débat de fond puisque la priorité des candidats est plutôt de se positionner les uns par rapport aux autres ou d’établir un rapport de force favorable en vue de la composition du futur gouvernement. Bref, elles ont tendance à cantonner les débats dans un cadre assez restreint. Et puis il ne faut pas s’illusionner : la participation aux primaires reste limitée aux milieux politisés et éduqués. De ce point de vue, l’expression de « Belle alliance populaire » utilisée par le PS peut être vue comme une forme de mépris.
Enfin, on peut se demander s’il n’y a pas une erreur sur le diagnostic. Les primaires expriment le désir d’aller à la rencontre des électeurs, d’œuvrer en faveur de la démocratie participative. Mais est-ce vraiment cela qu’attendent les électeurs ? En dehors de certains milieux politisés, les électeurs ont-ils envie de s’impliquer davantage ? N’ont-ils pas d’abord envie d’avoir un pouvoir plus efficace ?

Pierre Brechon : Chaque parti de gouvernement comporte des sensibilités différentes, avec une gauche, un centre et une droite de ce parti et de ses alliés. Construire des convergences passe par le long terme : c’est en discutant dans un parti (notamment dans des congrès programmatiques) et en réfléchissant progressivement un programme qu’un parti peut essayer de canaliser les tendances divergentes. On ne peut plus aujourd’hui réguler les divisions partisanes en cultivant le culte d’un chef charismatique. La culture politique des français est beaucoup moins conformiste qu’autrefois et les positionnements sont plus facilement critiques à l’intérieur de chaque parti. Quelques mois avant l’élection, il faut bien décider qui est le plus à même d’incarner le positionnement du parti dans la compétition présidentielle. Une primaire, organisée avec un nombre pas trop grand de candidats pour permettre à chaque électeur de connaître ce que chacun propose, semble être un bon procédé, qui intéresse les électeurs. La campagne montre bien ce qui divise et ce qui unit un camp,et la participation enregistrée est aussi très significative de l’existence ou non d’une dynamique en faveur de ce camp. Ajoutons qu’outre les propositions politiques, les primaires donnent à voir la personnalité des candidats. On ne s’improvise pas candidat à la présidentielle. Le fait d’avoir déjà eu des responsabilités ministérielles est tout à fait important car le choix des électeurs se fait en partie sur les programmes mais aussi sur la présidentialité de chacun, c’est-à-dire son aptitude à faire le job et à incarner la fonction. 

D'un point de vue historique, peut-on faire une comparaison entre le niveau de division actuel des partis politiques, dans le cadre de l'organisation de primaires, et les situations plus anciennes, dépourvues d'une telle procédure. La situation actuelle est-elle réellement plus "divisée" ? 

Vincent Tournier : Les divisions au sein des partis ont toujours existé. Tous les partis, y compris les partis centristes, regroupent des sensibilités différentes qui luttent pour le contrôle de l’appareil et la distribution des places. Le PS a sans doute été celui qui a le plus explicitement assumé ses divisions à travers l’organisation de « courants », les adhérents étant invités à trancher les divergences par un vote lors des congrès. A l’opposé, la droite gaulliste et le PCF ont tout fait pour masquer leurs divisions, que ce soit par des méthodes autoritaires en interne et par une propagande massive en externe.

Les divisions dans les partis sont-elles plus fortes aujourd’hui ? On a facilement tendance à considérer que le présent n’a pas d’équivalent dans le passé, mais il y a pourtant eu d’autres périodes où les tiraillements étaient également très forts, que ce soit pendant la guerre froide, la guerre d’Algérie ou plus récemment lors des débats sur la politique économique, sur l’intégration européenne, sur le code de la nationalité, sur le voile islamique ou autre. Comparativement, les clivages sont donc peut-être moins intenses aujourd’hui.

Cela dit, il est difficile de tirer un enseignement de ces clivages passés. Rappeler que les partis ont fait face à des tensions très fortes ne permet pas de dire qu’il ne va rien se passer aujourd’hui. Certains sujets comme la laïcité ont pris une ampleur considérable et vont probablement provoquer des réalignements, peut-être des scissions et des recompositions. Les attaques terroristes, l’insécurité, les difficultés d’intégration des minorités travaillent en profondeur la société française et produisent des effets dont il est difficile de mesurer l’ampleur. De plus, le contexte international change. La crise migratoire, les nouveaux expansionnismes russe et chinois, la perspective d’un nouvel isolationnisme américain vont placer les Européens face à leurs responsabilités. Jusqu’à présent, ils ont refusé de faire des choix clairs, que ce soit sur la défense ou la diplomatie, sur la politique économique et sociale, sur les frontières et les élargissements. On peut encore gagner quelques années, mais des débats essentiels vont devoir être tranchés d’une manière ou d’une autre, en Europe comme en France. 

Pierre Brechon : Les divisions politiques sont aujourd’hui fortes dans chaque camp, mais pas plus qu’à d’autres époques. Rappelons-nous par exemple à droite des divergences entre Valery Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, ensuite entre Jacques Chirac et Raymond Barre. Puis Jacques Chirac et son ami de 30 ans, Edouard Balladur, tous deux présents dans l’élection de 1995 alors qu’ils appartiennent au même parti (ce qui aurait pu conduire à un second tour entre Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen !). Et n’oublions pas à gauche les difficiles négociations d’un accord d’union de la gauche dans les années 1970, les divisions entre François Mitterrand et Michel Rocard, ainsi que la division de la « gauche plurielle » qui a plombé les espérances de victoire de Lionel Jospin en 2002.

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