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Elections fédérales allemandes : ce qu'une victoire de Martin Schulz contre Angela Merkel pourrait changer à l'Europe
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Inamovible ?

C'est au tour de l'Allemagne de se lancer dans la course aux élections. Et si la chancelière en place Angela Merkel semblait imbattable il y a encore quelques mois, Martin Schulz, candidat du SPD et ancien Président du Parlement européen, bénéficie d'une forte côte de popularité.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Martin Schulz se présente notamment sur une vision de fin de l'austérité en Europe, quelles pourraient en être concrètement les conséquences ? Martin Schulz est-il réellement un candidat anti-austérité, ou s'agit-il avant tout d'un effet d'affichage? 

Christophe Bouillaud : Si vraiment nous allions vers une autre définition de la politique économique souhaitable en Europe, il est probable que cela permettrait de reconsidérer les besoins réels des sociétés européennes, en matière de santé, éducation, investissement social, et qu’on reviendrait à la recherche d’une amélioration du sort des Européens qui était, rappelons-le, le but affiché de l’Union européenne selon le dernier grand traité en date, à savoir le Traité de Lisbonne (2007). En effet, jusqu’ici, avec le Plan Juncker de 2014-15 – insuffisant par ailleurs en termes de montants mobilisés -, l’accent a uniquement été mis sur l’investissement, sur des grands travaux d’infrastructure en particulier.
Or, même si ces investissements cofinancés par l’Union européenne et les Etats membres vont avoir un effet multiplicateur  de relance sur l’économie européenne, qu’ils ont sans doute leur utilité propre par leur capacité à augmenter à terme le potentiel de croissance de l’économie européenne, ils n’ont pas d’impact direct et immédiat sur le bien-être des populations. Ils créent en effet directement peu d’emplois. Or la crise économique a entrainé depuis 2007 un approfondissement de la crise de l’Etat social dans la plupart des pays européens, une augmentation de la pauvreté, et, à coup de coupes budgétaires, des déficits d’éducation, des abandons en matière de santé publique, en matière de recherche fondamentale et appliquée, bref, c’est sur tout cela qu’il faudrait revenir pour redonner une légitimité à l’Union européenne. Selon ses propres déclarations, en dehors des aspects immédiatement économiques de relance de l’activité,  Martin Schulz a bien compris cet enjeu de refaire de l’Union européenne un vrai plus pour les citoyens européens. Ce n’est pas seulement un effet d’affichage. Il faut aussi bien voir que la social-démocratie se trouve partout en très grande difficulté électorale. Elle a payé très cher électoralement  sa loyauté sans faille à l’égard du consensus européen au fil des années de crise. Il est temps pour elle de réclamer son dû, ou de disparaitre de la scène. 

En quoi une telle issue du scrutin fédéral allemand pourrait-il avoir des conséquences concrètes pour la France ?

Christophe Bouillaud : A l’heure actuelle, selon les sondages et les rapports de force observés en France depuis 2012 lors des élections intermédiaires,  l’issue la plus probable de l’élection présidentielle de mai 2017 est l’élection d’un candidat de la droite républicaine, en l’espèce François Fillon. Or ce dernier se situe dans son programme annoncé lors de la primaire de la droite et du centre sur une ligne de respect de la ligne austéritaire en vigueur en Europe. Il promet en effet une centaine de milliards d’économie sur les budgets publics, il veut réduire le nombre de fonctionnaires de 500.000 unités, etc.. Il convient donc très bien à une ligne économique  à la Merkel – Schäuble. Il se trouverait donc en désaccord idéologique avec une Allemagne dirigée par un social-démocrate un peu dépensier et surtout soucieux de la légitimité de l’Europe auprès des simples citoyens en termes de satisfaction des besoins sociaux.
Il est toutefois possible qu’un compromis soit trouvé entre les deux acteurs au nom de la relance de l’Union. En effet, un social-démocrate, en plus très pro-européen, comme Chancelier de l’Allemagne, serait sans doute extrêmement mal vu à Washington, pour ne pas dire plus.  L’administration Trump, qui s’en est déjà pris ces derniers jours à A. Merkel, pourtant une conservatrice sans l’ombre d’un doute, ferait sans doute tout pour le déstabiliser. Dans une telle configuration, la France de F. Fillon aurait du mal à ne pas venir au secours du dirigeant allemand, sauf à passer l’Union européenne par pertes et profits, d’autant plus qu’il serait sans doute soutenu par une grande coalition incluant la CDU-CSU, alliée des Républicains. L’idée de relance de l’Union européenne par la défense pourrait être un point de rencontre, et elle permettrait de dépasser les questions budgétaires qui ont affaibli l’Union européenne depuis des années.  

3/Alors que Donald Trump n'hésite pas à défier l'Europe, que Theresa May négocie une sortie de l'UE, en quoi une victoire de Martin Schulz pourrait-elle, ou non, changer la donne au niveau international ?

Christophe Bouillaud : Il est bien évident qu’une victoire d’un socio-démocrate comme Martin Schulz dans le premier pays de l’Union européenne serait un retournement de tendance par rapport aux élections récentes dans le monde occidental. Un dirigeant « internationaliste » qui gagne une élection, cela changerait de l’ordinaire des scrutins récents de par le monde, avec leur florilège de victoires nationalistes, de l’Inde au Japon, en passant par les Etats-Unis.  Par ailleurs, cela serait la première fois que dans un grand pays européen, un politicien accéderait au pouvoir national dans son pays à travers un cursus honorum exclusivement européen. Martin Schulz est en effet un pur produit de la vie politique au sein du Parlement européen. Sa désignation par le SPD comme candidat est déjà en elle-même une grande nouveauté, et elle témoigne du rôle des affaires européennes dans la vie politique allemande des dernières années, puisque M. Schulz a ainsi réussi à se faire connaître du public allemand. Il était, rappelons-le, le « Spitzcandidat » (tête de liste) du PSE pour la Présidence de la Commission lors des européennes de 2014. Son accès à la Chancellerie consisterait pour l’Allemagne à se placer en quelque sorte comme le rempart de la démocratie libérale en Europe et dans le monde.
Les convictions libre-échangistes et internationalistes de M. Schulz, comme celle de son parti, le SPD, sont sans grande ambiguïté. Il essaierait sans doute de tout faire pour sauver l’Union européenne, et pour sauver un ordre international libéral, à la fois en matière de commerce ou de lutte contre le réchauffement climatique. Les tensions avec les pays de l’est européen, engagés dans leurs propres révolutions conservatrices, se renforceraient sans doute.  Cela risquerait aussi de se passer très mal avec l’administration de D. Trump si elle persiste dans le style de décisions unilatérales  qu’on a pu voir ces derniers jours. L’Allemagne fédérale, qui a bâti sa prospérité sur l’ouverture mondiale des marchés, ne peut pas accepter le nouveau monde protectionniste à la Trump – sans compter évidemment que la majorité de M. Schulz pourrait inclure des écologistes guère prêts à accepter les billevesées climato-sceptiques des Républicains d’outre-Atlantique. Il risquerait d’avoir du sport. Mais, de toute façon, vu le rythme des décisions à Washington depuis le 20 janvier, le relations internationales risquent d’avoir bien changé d’ici l’élection allemande de septembre prochain. 

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