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Les droits civiques des expatriés dans le viseur de la Cour des Comptes
©Reuters

Restriction budgétaire

Quand la Cour des comptes cherche à en finir avec le droit de vote des expatriés pour des considérations budgétaires

Joëlle Garriaud-Maylam

Joëlle Garriaud-Maylam

Sénatrice des Français établis hors de France, Joëlle Garriaud-Maylam est également secrétaire de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense et vice-présidente de la Délégation aux Droits des Femmes et à l'égalité des chances entre femmes et hommes.

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Quelques mois après un référé sur l’enseignement français à l’étranger, c’est au droit de vote des expatriés que s’attaque aujourd’hui la Cour des Comptes, dans un référé qui vient d’être publié. Sans remettre en cause ouvertement la légitimité de la citoyenneté expatriée, la Cour la présente comme une sorte de gadget au coût prohibitif et dont nos voisins européens se passeraient avantageusement.

Certes la France, pionnière de l’octroi de droits civiques aux expatriés, reste très en avance au plan international. Mais contrairement à ce que la Cour des Comptes laisse entendre, ce « niveau de représentation supérieur à celui qui prévaut dans les autres pays » n’est ni superflu ni anachronique. De nombreux autres pays ont d’ailleurs octroyé ces dernières décennies le droit de vote à leurs expatriés. La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a souligné en 2009 que les expatriés, déployant d’importants efforts pour aller voter, démontraient «la persistance de leur attachement» à la mère patrie et un «sens civique profitant à la démocratie». Le Brexit prouve, a contrario, les avanies d’un vote qui a exclu les expatriés britanniques (qui, déjà, sont exclus du vote après 15 ans de résidence hors du territoire national) et des Européens vivant en Royaume-Uni.

Résistons à la tentation du nivellement par le bas : priver les expatriés de droits civiques serait un problème, pas une solution. La Cour Suprême canadienne devrait se prononcer d’ici quelques semaines à ce sujet, suite aux plaintes d’expatriés empêchés de voter aux élections fédérales dès lors qu’ils auront vécu depuis plus de cinq ans à l’étranger. Même type de polémique en Grèce, bien que le Conseil de l’Europe, depuis mon premier rapport à cette institution en 1997, n’ait cessé d’insister pour que les citoyens vivant à l’étranger puissent participer au processus électoral. Alors que, de par le monde, tant d’expatriés se battent pour leurs droits civiques, tout retour en arrière de la France serait un énorme gâchis.

La Cour des Comptes envoie un message pour le moins équivoque sur le vote Internet : tout en s’inquiétant de sa sécurité et de la persistance de nombreux bugs techniques, elle semble, à contre cœur, pousser à son développement dans le seul but de réduire les dépenses publiques. Un argument pour le moins contestable car, le vote par Internet étant plus coûteux que le vote par correspondance postale, les seules économies prévisibles proviendraient de la suppression du vote à l’urne ! Cette option – que la Cour des Comptes n’ose avancer explicitement – serait hautement contestable du point de vue démocratique, surtout eu égard aux multiples incidents ayant empêché de nombreux électeurs de s’exprimer par voie électronique lors de tous les récents scrutins.

Autoriser le vote Internet à l’étranger s’avère extrêmement utile, en particulier pour des électeurs résidant à des centaines voire des milliers de kilomètres de tout bureau de vote. C’est d’ailleurs la position que j’avais été bien seule à défendre devant la Commission Exécutive des Républicains, en amont de la primaire de la droite et du centre, alors que le vote électronique semblait définitivement écarté. Mais cela doit rester un mode complémentaire au vote à l’urne sans le remplacer, sous peine de priver de leurs droits civiques des centaines de milliers d’électeurs et de renforcer la fracture numérique.

En une petite dizaine de lignes, la Cour des Comptes étrille le vote par correspondance postale avec des arguments fallacieux. Jusqu’alors, aux élections à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), ce mode de vote était au contraire plébiscité avec jusqu’à trois quarts des votants. La Cour des Comptes a aujourd’hui beau jeu d’en dénoncer le « coût par votant » : ce chiffre perd toute pertinence puisque le nombre de votants avait été exceptionnellement faible en 2013 pour de multiples raisons : mauvaise préparation logistique, changement des règles, grave déficit de communication (alors que pour la première fois, le vote Internet était expérimenté à une large échelle et faisait l’objet de toutes les attentions). Le référé n’indique d’ailleurs ni le « coût par votant » ni le coût total du vote par Internet, qui sont pourtant bien plus élevés !

L’immense majorité des Etats privilégient le vote par correspondance postale pour les expatriés – voire n’autorisent que ce mode, le vote par Internet ayant par exemple été déclaré inconstitutionnel en Allemagne. Lorsque je l’avais interrogé en audition au Sénat, le directeur de l’ANSSI s’était déclaré plutôt défavorable au vote électronique, arguant notamment du risque de fraudes et de cyberattaques – un scénario catastrophe qui inquiète beaucoup de pays comme l’ont montré les récentes polémiques suite à l’élection présidentielle américaine.

Plutôt que de supprimer la seule alternative à distance au vote électronique, mieux vaudrait remédier aux problèmes techniques qui en freinent le développement – défi d’autant plus aisé que ces difficultés ont été identifiées avec précision par la commission des lois de l’AFE.

De même, en ce qui concerne le vote Internet, comme je l’avais souligné dans une lettre à la Haute Autorité en amont de la primaire de la droite et du centre, une préparation tenant compte des erreurs du passé et l’association à toutes les étapes des élus de terrain doivent contribuer à rendre le processus plus transparent et à réduire les risques de bugs. De fait, le vote électronique s’est beaucoup mieux déroulé lors de la primaire de novembre 2016 que lors du test « grandeur nature » réalisé à la même période par le Quai d’Orsay. Ce dernier a hélas prouvé que toutes les failles des derniers scrutins, répertoriées par la commission des lois de l’AFE et dont je m’étais fait l’écho notamment ­­­par des questions écrites en avril et septembre 2014, n’avaient pas fait l’objet d’une attention suffisante par le prestataire et risquaient de se reproduire…  

Pour sortir par le haut des polémiques stériles autour du coût et des risques du droit de vote des expatriés, il faut cesser de se focaliser sur les aspects purement techniques. Le véritable enjeu est celui de la mobilisation électorale. Le coût des élections hors de France n’est en soi pas si élevé (34,3 M€ entre 2011 et 2014) : il n’apparaît exorbitant que rapporté au faible nombre de votants. Le vrai problème n’est donc pas de savoir si le vote par Internet est plus onéreux que le vote à l’urne ou que le vote par correspondance. Il est plutôt de mettre en œuvre des moyens efficaces pour lutter contre l’abstention. Cela suppose de rendre réellement effectif le droit de vote des expatriés. Cela nécessite aussi de mieux communiquer sur le droit – et devoir - de participation électorale à l’étranger et de renforcer le rôle et la crédibilité des élus locaux, les conseillers et délégués consulaires.

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