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Cet étouffant huis clos des patrons français qui tue la compétitivité tricolore
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Endogamie

Jean-Louis Borloo à la tête de Veolia ? "Supputations" et "manipulations", selon l'ancien ministre de l'Écologie qui a démenti la rumeur. Il n'en demeure pas moins que la façon dont sont choisis les dirigeants et membres des conseils d'administration des grandes entreprises françaises pose question.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Il ne faut surtout pas le répéter, mais les initiés savent pertinemment que le principal problème de la compétitivité française n’est pas le coût du travail, mais le manque de diversité à la tête des entreprises du CAC 40. Personne n’en parle, parce que le dire, c’est s’exposer aux représailles. Mais il n'y a aucun doute à avoir là-dessus.

La preuve? Regardez au hasard le conseil d’administration d’un groupe du CAC 40 et épluchez les CV de ses membres. Vous aurez un premier aperçu. Et on a beau imposer des administrateurs indépendants, menacer d’imposer un quota de femmes, tourner le problème par tous les bouts, rien ne change vraiment. Les grandes entreprises françaises vivent en vase clos et fonctionnent en un réseau fortement entremêlé, où les mêmes individus appartiennent à plusieurs conseils d’administration différents.

Ce n’est pas que les gens qui composent ces conseils soient incompétents. Bien au contraire le plus souvent: ils sont brillants, expérimentés, affûtés, fiables. Simplement, ils sont entre eux, comme une coterie, ces sociétés restreintes de personnes entretenant de très étroites relations fondées sur des intérêts communs. Ils ne voient nulle nécessité de s’ouvrir à une concurrence effective avec des administrateurs véritablement indépendants, susceptibles de remettre en cause leur gouvernance et leurs décisions.

Faut-il s’en étonner? Un patron souhaite bien évidemment conserver le contrôle de son entreprise. Il n’a aucune raison objective de s’embarrasser de mauvais coucheurs qui contesteraient sa stratégie.

D’ailleurs, cette manie de s’entourer d’amis ou de béni-oui-oui (certains appartenant aux deux catégories en même temps), fut une conséquence assez naturelle d’une politique officielle. Quand nous avons privatisé nos entreprises publiques, notamment financières, nous fîmes en effet le choix de constituer des noyaux durs, c’est-à-dire de croiser les participations des entreprises entre elles.

Dans la pratique, le CAC 40 repose aujourd’hui sur deux grands investisseurs et gestionnaires d’actifs : AXA et la BNP, qui sont présents dans le capital de tous les autres. La Société Générale y joue le rôle de troisième larron. La raison de cette condensation capitalistique intense était politique. Il fallait limiter le risque d’OPA étrangères sur nos fleurons, et donc mettre en place un réseau souterrain permettant des interventions amies très rapides en cas de raid contre notre patrimoine économique.

Cette politique avait du sens, même si elle a surtout servi à protéger les grandes entreprises financières, notre industrie automobile et nos réseaux (France Télécom, Total). Le reste est parti à l’étranger par petits bouts.

Si les noyaux durs relevaient d’un patriotisme économique lucide, rien ne justifiait qu’ils se transforment en une affectio societatis, un amour immanent et spontané entre les gens, tels que tous les gêneurs un peu curieux soient écartés de la gouvernance de nos entreprises publiques privatisées.

De ce point de vue, il faut sans doute entamer un droit d’inventaire sur les résultats produits par les privatisations ordonnées par des conseillers de cabinet de gauche (les fameux « rocardiens») ou de droite, selon les années, qui se sont assez rapidement retrouvé à la tête des groupes qu’ils étaient en train de privatiser.

Sans vouloir faire de polémique inutile, car il s’agit d’un homme brillant, on se souviendra quand même que Michel Pébereau a privatisé le CCF en 1986, et en a pris illico la présidence. Il a recommencé la même opération en 1993 avec la BNP. Sur le fond, personne ne conteste la légitimité personnelle du personnage. Simplement, il faut toujours garder à l’esprit que le capitalisme français d’aujourd’hui est structuré par de grandes entreprises publiques privatisées et majoritairement dirigées par les fonctionnaires qui les ont privatisées ou qui sont du même corps que ceux qui les ont privatisées.

D’un côté, ce système a produit une grande stabilité, et même de vraies réussites. Les banques françaises, par la taille des actifs qu’elles gèrent, sont bien plus puissantes que les banques américaines.

Mais... en dehors de ces majors, l’économie française est un désert, peuplés de quelques trop rares îlots. Aucun des géants mondiaux de la haute technologie n’est français. L’innovation est honnie par ces grands capitalistes frileux, et le plus souvent arrogants, qui valorisent sans retenue les qualités scolaires qui ont fait leur réussite : le bachotage, l’individualisme, le conformisme, la bonne éducation. Et se méfient de tout ce qu’ils n’ont jamais appris : le travail en équipe, l’imagination, la prise de risque, le désordre de la pensée créative.

Or, aujourd’hui, c’est cela qu’il faudrait aux entreprises françaises… Pas seulement dans les bureaux des petites mains, mais à la tête même des directoires : des Steve Job, des visionnaires un peu fondus, mal élevés, qui osent et qui emportent leurs équipes vers des victoires collectives.

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