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France socialiste contre Royaume-Uni conservateur-libéral, le match : et le pays ayant connu une baisse du revenu des riches et une hausse de celui des pauvres ces dernières années est…
©Reuters

And the winner is...

Si François Hollande et les siens tentent toujours de mettre en avant les "bons" résultats obtenus sur le front économique, une simple comparaison avec le Royaume Uni permet de neutraliser rapidement une telle rhétorique. Inégalités, chômage, emploi, la déroute du gouvernement français ne pèse pas bien lourd face aux 2 millions d’emplois crées dans le Royaume depuis la mi 2012.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Alors que le débat politique aime débattre autour de la question du néolibéralisme, en prenant notamment exemple sur le cas du Royaume Uni, il apparaît, selon les chiffres publiés par l'ONS (office national des statistiques britannique), que la croissance des revenus des plus pauvres a subi une forte augmentation au cours des dernières années (et une baisse des revenus des plus favorisés), alors que le cas de la France traduit plutôt une stagnation "pour tous". Comment expliquer un tel décalage entre les deux pays, quelles sont les différences de résultats économiques entre la France de François Hollande et le Royaume Uni gouverné par le parti conservateur ?

Nicolas Goetzmann : Si l'on souhaite comparer l'évolution des deux pays au travers du prisme des inégalités, il est parfaitement clair que le Royaume Uni surpasse la France depuis la crise. Si les inégalités sont encore plus fortes au Royaume Uni qu’en France (Indice de Gini de 0.316 contre 0.296 en France), la tendance actuelle est plus favorable de l’autre côté de la Manche. En reprenant les données disponibles depuis 2008, on peut constater une progression de 13.21% des revenus de la population britannique la moins favorisée (les 20% ayant les plus faibles revenus) , alors que la même population, en France, a vu son niveau de vie se dégrader de -5.61% entre 2008 et 2014, et même de -8.89% pour les 10% les plus pauvres, selon les données INSEE. A l'inverse, les revenus des populations les plus favorisées ont baissé de 3.37% au Royaume Uni pendant que le niveau de vie de cette même population a baissé de 2.10% en France (une baisse qui doit tout à la pression fiscale constatée entre 2012 et 2014). Il est cependant nécessaire d'indiquer qu’une bonne partie de la hausse des revenus des plus pauvres au Royaume Uni s'est réalisée au cours des deux dernières années, pour lesquelles la France ne dispose pas encore de données. Mais, en comparant à périmètre identique, la tendance est la même, plus d'inégalités en France, moins d'inégalités au Royaume Uni. Le rapport inter décile (niveau de vie du groupe favorisé par rapport au groupe ayant le plus faible revenu) est passé de 6.67 en 2008 à 7.12 en 2014.

Ce résultat a une cause parfaitement identifiée. Le Royaume Uni a créé des emplois alors que la France a produit des chômeurs. Et s'il on veut faire un comparatif entre les deux pays depuis mai 2012, l'écart est flagrant. D'autant plus que les deux pays ont une base démographique comparable. Le Royaume Uni affiche un taux de chômage de 4.8% en ce début 2017, avec une baisse de 1 million de chômeurs depuis mai 2012, et la création de 2 millions d'emplois (dont 1.6 millions à temps plein). Ce qui a permis de donner un emploi à des chômeurs, mais également aux personnes qui arrivaient sur le marché de l'emploi, et à ceux qui étaient sortis des statistiques. Le taux d'emploi étant passé de 70 à 74.5% sur la période, un record absolu pour le pays. A l'inverse, le nombre de chômeurs en catégorie A a progressé de 540 000 personnes en France, avec une création nette de 150 000 emplois depuis le 2e trimestre 2012. Soit un rapport de 1 à 13 entre les deux pays en ce qui concerne la création d'emplois depuis la mi 2012, 2 millions d'un côté, 150 000 de l'autre. Le taux de chômage est de 10% en France, selon les dernières données de l'INSEE. Un décalage aussi important explique largement la situation de la faiblesse des revenus des moins favorisés en France et la hausse constatée pour cette même population au Royaume Uni. Un résultat qui s'explique par la différence de croissance nominale (la demande) entre les deux pays. Entre le T2 2012 et le T3 20116, la croissance nominale a été de 17.92% au Royaume Uni, elle a été de 6.83% en France. 1 point de croissance en France équivaut à 2.6 points de croissance outre-manche sur les cinq dernières années.

Comment interpréter ces résultats ? Quelles en sont les causes réelles ? En quoi les mesures de baisse des dépenses, de baisses du nombre de fonctionnaires, ont-elles permis un tel résultat pour le Royaume Uni ?

Il y a beaucoup de fantasmes sur les politiques mises en place au Royaume Uni, notamment sur les fonctionnaires. S'il est vrai que le nombre de fonctionnaire a baissé lourdement au cours de ces dernières années, le Royaume Uni comptait encore 5.442 millions d'agents public au mois de septembre 2016. Soit l'équivalent de la France selon les dernières données publiées par le ministère de la fonction publique (5.417 millions). (il est perturbant de voir que les statistiques relatives au UK publiées en France ne prennent en compte que les agents de l'État tout en les comparant aux données totales français, soit les agents de l'État, les agents territoriaux et hospitaliers, ce qui rend toute comparaison grotesque). Par contre, en effet, au Royaume Uni, le nombre d'agents publics était de 6.4 millions avant crise, il y a donc bien eu une baisse des effectifs de 1 million de personnes. Mais celle-ci s'est principalement faite de manière comptable, notamment en faisant glisser une partie des effectifs de l'éducation dans le secteur privé. D'autre part, les effectifs de police ont baissé de près de 20% depuis 2008 et de 20% dans l'armée. Concernant les dépenses publiques, celles-ci n'ont jamais cessé de croitre dans le Royaume, mais la différence avec la France, c'est que la croissance était encore plus forte que cette hausse des dépenses, pour un résultat somme toute "hors cadre" au regard des standards européens puisque le Royaume Uni affichait encore un déficit public de 4.4% en 2015.

Mais il serait tout à fait hasardeux de croire que c'est cette baisse des effectifs de fonctionnaires qui aurait permis le retour de la croissance dans le pays. La "recette" est à chercher ailleurs. Au cours de l'année 2012, les dirigeants conservateurs ont fait appel au dirigeant de la Banque centrale canadienne, Mark Carney, qui a poursuivi et amplifié une politique monétaire agressive au sein du Royaume. Parce que les dirigeants du Royaume, à l’inverse de l’exécutif français, ont compris que la politique monétaire est la pièce maitresse de la lutte contre le chômage. Ce que le Prix Nobel Paul Krugman expliquait en quelques mots, en évoquant Alan Greenspan, alors Président de la Réserve fédérale américaine : « Si vous voulez un modèle simple pour prédire le taux de chômage aux Etats Unis au cours des prochaines années, le voici : il sera là ou Greenspan veut qu'il soit, plus ou moins une marge d'erreur reflétant le fait qu'il n'est pas tout à fait Dieu ». Puisque la Banque centrale contrôle la croissance nominale du PIB, c'est bien son action qui est la cause de la progression de près de 18% du PIB nominal depuis 2012. Tout comme la BCE est responsable de la très faible croissance européenne, et donc française. La différence majeure entre les deux pays, c'est que les dirigeants conservateurs ont accompagné leur austérité de la dépense publique par une large relance monétaire. Ainsi, la croissance du Royaume s'est faite MALGRE la baisse des dépenses (De 2008 à 2010, la croissance des dépenses dans le Royaume est très importante, celle-ci est ralentie fortement à partir de 2011). En France, François Hollande et Emmanuel Macron ont couplé austérité fiscale (par la hausse des impôts) à leur silence sur la question monétaire européenne. Et les derniers résultats positifs de l'économie française doivent tout à l'action entreprise par Mario Draghi depuis le mois de janvier 2015, sans que celui n’ait jamais été soutenu et accompagné comme il aurait dû l’être par l’exécutif français. Ainsi, quand Emmanuel Macron se veut être « le candidat du travail », il oublie son rôle décisif dans l’échec hollandais, c’est-à-dire son incapacité à bâtir un diagnostic correct de la crise qui a frappé le pays, qui a amené à la mise en place d’une stratégie perdante en tous points. Une erreur qui persiste d’ailleurs alors que la campagne électorale bat son plein, au son de propositions de réformes obsolètes, mais repackagées.

Ce qui est également plutôt drôle, lorsque l’on compare les statistiques des deux pays, c’est de constater que les dépenses publiques ont progressé de 27.20% au Royaume Uni entre 2007 et 2015, pendant que les dépenses publiques françaises progressaient de 22.30% sur la même période. L’idée absurde qui consiste à laisser penser que la croissance du Royaume Uni provient d’un retour de la « confiance » qui serait la conséquence de la baisse des dépenses publiques n’a donc aucune réalité. C’est bien la monnaie qui est le cœur du succès britannique.

La France a-t-elle véritablement les moyens de recourir aux mêmes outils que le Royaume Uni ? Peut-elle parvenir à de tels résultats ?

En théorie, évidemment, mais en pratique, cela sera beaucoup plus compliqué. Tout dépend de la capacité de la France à réorienter la cadre macroéconomique européen, principalement autour de la question de la BCE. Cette dernière pourrait faire beaucoup plus pour soutenir la croissance, comme cela a été le cas au Royaume Uni et aux États Unis. Or, l'action entreprise par Mario Draghi à la tête de la BCE est aujourd'hui fortement critiquée par l'Allemagne, notamment par Wolfgang Schäuble, ministre des finances d'Angela Merkel. Ceci en total irrespect de l'indépendance de l'institution. L'enjeu de la croissance française passe donc par une "franche" discussion avec l'Allemagne, et celle-ci pourrait trouver une base en regardant simplement la réalité. L'Allemagne constate sa propre faiblesse avec une démographie défavorable qui pénalise lourdement son futur, ce qui explique cette volonté absolue de faire des économies, par la peur de l'avenir. A l'inverse, la France est le plus grand pays européen en ce qui concerne les moins de 20 ans, ce qui fait du pays le plus grand pays en devenir de la zone euro. La France, à moins d'une catastrophe économique ayant pour effet de voir ses jeunes fuir le pays, est la puissance dominante en devenir de l'Europe. Elle doit donc assumer cette responsabilité pour en finir avec la vision décliniste allemande qui frappe l'ensemble de la zone euro. Poser le débat, faire jouer le rapport de force, monter une coalition d'intérêts, peuvent permettre à la France d'inverser la situation. Ce n'est pas en demandant systématiquement un tampon de Berlin sur les réformes à faire en France que le pays pourra s'en sortir. À moins de vouloir en finir définitivement tout en sacrifiant volontairement la jeunesse du pays. Les britanniques n'ont pas fait ce choix. 

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