La non-violence du Dalaï Lama cède la place à une jeunesse tibétaine prête à en découdre<!-- --> | Atlantico.fr
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La voix du Dalaï Lama semble se faire de moins en moins entendre au milieu des cris de colère.
La voix du Dalaï Lama semble se faire de moins en moins entendre au milieu des cris de colère.
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Zen ?

Les Tibétains fêtent ce mercredi leur du nouvel an. Pour eux, la stratégie de non-violence du Dalaï Lama est un échec. Sans renier leur chef spirituel, une frange de la jeunesse prend le relais de cette figure symbolique qui n'aspire plus qu'au repos.

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier

Raphaël Liogier est sociologue et philosophe. Il est professeur des universités à l'Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence et dirige l'Observatoire du religieux. Il a notamment publié : Le Mythe de l'islamisation, essai sur une obsession collective (Le Seuil, 2012) ; Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? (Armand Colin, 2012) ; Une laïcité « légitime » : la France et ses religions d'État (Entrelacs, 2006).

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Atlantico : Les Tibétains en exil continuent de s'insurger contre les persécutions des Chinois. La voix du Dalaï Lama semble se faire de moins en moins entendre au milieu des cris de colère. Qui sont ces Tibétains qui ne croient plus à la médiation pacifique ?

Raphaël Liogier : Il y a de nouvelles générations de Tibétains qui, comme beaucoup de jeunes de par le monde, se font plus virulents et espèrent une lutte plus frontale avec le pouvoir chinois. Cette volonté de résistance n'est pourtant pas antinomique avec une véritable légitimité du Dalaï Lama. Ces Tibétains en colère continuent d'avoir confiance en leur leader spirituel mais pour eux, la non-violence a fait son temps et a finalement prouvé ses limites face à Pékin. Il ne faut pas non plus oublier que le peuple tibétain est un peuple pacifique du fait du bouddhisme mais qu'il a également une grande histoire guerrière. Au fil des siècles, il s'est retrouvé à plusieurs reprises dans la résistance face à l’envahisseur chinois mais aussi parfois dans la conquête d’une partie de la Chine.

Cette opposition plus dure a commencé à se manifester à la fin des années 1980. Suite aux barbaries et aux tueries qui ont ravagé le Tibet à l'époque même où survenaient les évènements de la place Tien'anmen, ils auraient espéré une réaction ferme de la part de leur chef. Le Dalaï Lama, lui, a maintenu sa volonté de tenter encore et encore d'améliorer les rapports avec Pékin.

Le renversement d’équilibre a eu lieu en 2008 avec les Jeux Olympiques. La nouvelle génération n’était pas encore convaincue qu’il fallait un face à face et pensait, pleine d’espoir que les Chinois allaient saisir cette occasion historique pour une véritable négociation et un véritable apaisement des relations puisque toutes les caméras du monde étaient braquées sur eux. C’est pourtant exactement le contraire qu’il s’est passé : les Chinois se sont cabrés, sont devenus très maladroits vis-à-vis des médias occidentaux et les micro-révoltes au Tibet ont été réprimées dans la violence et dans le sang.

Ce mouvement risque pourtant de ne pas avoir la moindre portée. Comme l'a souvent répété le Dalaï Lama, sa posture n'est pas seulement le fait d'une volonté bouddhique de non-violence. C'est tout simplement la seule voie possible pour la simple raison que le rapport des forces est parfaitement inégal : que peuvent faire 7 millions de Tibétains face à 1,5 milliards de Chinois ? C'est là une autre caractéristique du bouddhisme : le pragmatisme.

Quel rôle peut encore jouer le Dalaï Lama ? Va-t-il laisser la communauté tibétaine s'engager dans un rapport de force accru avec la Chine ?

Ces derniers mois, le Dalaï Lama a compris qu’il y avait des limites à sa tactique. Il veut simplement transférer son pouvoir. Il va laisser ceux qui ont une stratégie plus directe de face à face se mettre en branle. Il a une telle puissance symbolique qu’il pourrait très bien continuer à jouer son rôle et à défendre une stratégie non violente. Mais lui-même est fatigué, il a des problèmes de santé. Il souhaite se concentrer sur la pratique de sa spiritualité et s'investir dans le bouddhisme tranquillement dans son coin.

Le Dalaï Lama a aussi cherché à jouer justement cette carte de la non-violence contre cette frange tibétaine plus dure. Il aurait aimé apparaître aux yeux de Pékin comme un interlocuteur plus présentable, plus pacifique, avec qui il est possible de dialoguer. Il a toujours été très large dans ses revendications en demandant au Chinois non pas l'autonomie politique du Tibet mais l'autonomie culturelle pour protéger les traditions de son peuple.

Cette  stratégie a échoué dans les années 2000 car les Chinois n’ont pas confiance en lui, ils pensent que c’est une stratégie dont la finalité est de demander l’autonomie politique donc ils n’arrivent pas à s’entendre.

Justement, comment les Chinois appréhendent-ils ces mouvements plus contestataires qui défendent une résistance plus physique et véhémente ?

Les Chinois ne réalisent pas vraiment ce qui est en train de se passer. Au delà du Dalaï Lama, c'est tout le gouvernement tibétain en exil qui risque de céder à une stratégie plus violente. Tout cela pourrait évoluer vers une lutte plus frontale et de véritables velléités séparatistes.

Cette dernière existe déjà dans la constitution mais elle n’est pas réelle, c’est-à-dire qu’il faut donner la possibilité aux Tibétains d’apprendre leur religion, d’étudier en tibétain etc. et qu’il n’y ait pas ce que lui et certains appellent aujourd’hui un génocide culturel. Et contre ça, il abandonne l’idée de séparatisme ou même d’autonomie politique.

C'est de toute manière tout le drame de la situation tibétaine au sein de la Chine. Les Tibétains de l’intérieur sont complètement écrasés d'un point de vue démographique. Les déplacements de population se sont accrus depuis 30 ans. Les Chinois ont toujours cherché à déborder la population tibétaine à l’intérieur même du Tibet en le peuplant de Hans, en remplaçant la culture du blé et de l’orge tibétains par la culture du riz et à imposer progressivement la langue chinoise au sein de la société.

Malgré cette suprématie chinoise, il y a une chose qui inquiète les Chinois : au sein même du pays, l'expansion du bouddhisme gagne les coeurs. Au travers de la spiritualité, la sympathie envers le Dalaï Lama et l'attrait de la culture tibétaine n'est plus le fait exclusif des étrangers.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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