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Vague de sondages contradictoires : mais que veulent vraiment les Français de François Fillon ?
©Thomas SAMSON / AFP

Un paradoxe qui se résout

Plébiscité lors de la primaire de la droite et du centre, François Fillon doit désormais se transformer en candidat à l’élection présidentielle en s'adressant à l’ensemble des Français, lesquels ont des attentes différentes, voire contradictoires.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Candidat de la droite pour la présidentielle de 2017, François Fillon est aussi le candidat de la radicalité, dont le programme est placé sous le signe de l'effort. Or plusieurs sondages apparaissent comme contradictoires sur ce que veulent les Français par rapport à François Fillon : dans le dernier baromètre Ifop pour Atlantico sur les perceptions autour de la situation économique et sociale dans différents pays, 65% des Français disent qu'ils préféreraient gagner plus d'argent mais avoir moins de temps libre. A l'inverse, d'autres sondages montrent qu'une majorité de Français souhaitent que François Fillon modifie son programme, en vue de le "déradicaliser", de le "centriser", et apparaissent ainsi comme demandant moins d'efforts. Que veulent vraiment les Français de François Fillon ? Comment expliquer tous ces paradoxes ?

Jérôme Fourquet : Pour commencer, il ne faut pas oublier les contradictions inhérentes à chaque être humain, ce qui vaut également pour une société dans son ensemble. Une fois que l’on a dit cela subsiste un paradoxe apparent : les Français, d’après d’autres enquêtes, semblent demander à Fillon de mettre de l’eau dans son vin et d’adopter une posture moins libérale. En même temps, il y a les résultats du baromètre Ifop pour Atlantico que vous citez. Les critiques portées contre le programme de François Fillon l’ont été sur un sujet précis qui préoccupe beaucoup les Français et auquel ils sont très attachés : le modèle de protection sociale, avec cette différence entre petits risques et gros risques, les petits risques revenant à la charge des assurances privées. Très majoritairement, y compris à droite, je pense que les Français  sont hostiles à ce type de projet.Ceci n’empêche pas un certain nombre de Français de partager le diagnostic et le constat de François Fillon. Tout l’art de la chose, c’est de parvenir à une synthèse intéressante, dans la veine de ce qu’avait été le programme de Nicolas Sarkozy de 2007 autour du "travailler plus pour gagner plus" ; on voit dans les chiffres que l’introduction de cette thématique a eu un impact décisif sur les Français, sensibles alors à l’argumentaire de l’ancien président.

Pour en revenir à 2017, on peut avoir des Français qui souhaitent maintenir la protection sociale à un haut niveau et qui, en même temps, reconnaissent que les efforts n’ont pas été nécessairement faits en termes de compétitivité, et arbitrer en faveur de davantage de pouvoir d’achat. Pour résoudre cette contradiction, il convient de remettre en avant la valeur travail : être plus compétitif dans la mondialisation peut passer – et je pense qu’une partie importante de Français y sont favorables – par un relèvement du nombre d’heures effectuées moyennant rémunération. On peut penser que les Français sont prêts à un certain nombre d’efforts là-dessus car il y aurait convergence entre intérêts particuliers – le pouvoir d’achat, thématique qui remonte en force à gauche d’ailleurs – et intérêts pour les entreprises et l’Etat. Une partie de contradiction demeure néanmoins, là où vient se nicher la thématique de l’assistanat. Les Français sont prêts à faire des efforts, mais cela doit bénéficier à ceux qui les font, avec cette idée donc qu’il faudrait être sans pitié contre les abus. On voit d’ailleurs dans le baromètre que vous mentionnez qu’une partie des Français affirment que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment. La contradiction n’est pas aussi béante qu’on pourrait le dire ; tout dépend de là où l’on se place. 

A lire aussi sur notre site : "2017, année des élections de tous les dangers : sondage exclusif sur ce que veulent les Européens 8 ans après la crise"

J'évoquais plus haut le pouvoir d'achat. A ce titre, il est intéressant de noter dans le baromètre Ifop mentionné l'item relatif à la pression fiscale. 36% des Français estiment le montant des impôts et des taxes excessif. Dans le détail,on constate un véritable bond depuis février 2011 –sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et au début de l’annonce de l’augmentation de la pression fiscale par l’équipe Fillon entrée en application au début du quinquennat Hollande marqué lui aussi par des hausses d’impôts. – et 2013, avec les hausses d’impôts décidées par François Hollande, mais aussi les hausses d’impôts décidées à la fin du quinquennat Sarkozy qui entrent en application à cette époque-là (on parlait alors du matraquage, du ras-le-bol fiscal, expression d’ailleurs utilisée par le ministre des Finances de l’époque, Pierre Moscovici). On passe ainsi de 27 à 45% de la population qui estime que le montant de l’impôt est excessif. Depuis lors, cette exaspération a décru : on a perdu quasiment dix points par rapport au pic de cette époque ; néanmoins, on est encore dix points en moins par rapport à 2011. 

Vincent Tournier François Fillon a gagné les primaires de la droite et du centre sur une ligne assez radicale, que ce soit sur le plan économique et social, ou sur le plan identitaire et sécuritaire. Une première question est cependant de savoir si les électeurs qui l’ont soutenu adhèrent complètement à ses propositions. C’est sans doute plus compliqué parce qu’il est clair que François Fillon doit une partie de son succès au fait qu’il a su se mettre en retrait durant la campagne, ce qui lui a permis de laisser ses deux rivaux s’affronter sans trop être lui-même exposé. Et puis il a aussi bénéficié du rejet dont ont fait l’objet ses deux rivaux. François Fillon a certes bénéficié d’un vote d’adhésion, mais il a aussi bénéficié d’un vote de rejet.

La difficulté pour François Fillon est donc maintenant de se transformer en candidat à l’élection présidentielle, ce qui l’oblige à s’adresser à l’ensemble des Français, lesquels ont des attentes différentes, voire contradictoires, comme le montrent les résultats du sondage. Son discours doit forcément évoluer, d’autant plus que, comme l’ont montré les débats de ces dernières semaines, plusieurs de ses propositions sont loin d’être complètement finalisées, y compris sur des points cruciaux comme la sécurité sociale ou les fonctionnaires. 

Or, pour l’instant, cette évolution n’est pas évidente. En clair : depuis le résultat de la primaire, on se demande où est passé le soldat Fillon. On est même amené à s’interroger sur sa stratégie : a-t-il l’intention de rejouer la même stratégie de discrétion qui lui a plutôt bien réussi pendant la primaire ? Autrement dit, compte-t-il laisser se déchirer les candidats déclarés, que ce soit au sein de la gauche elle-même, ou entre la gauche et le FN, de façon à apparaître au final comme le candidat au-dessus de la mêlée, ce qui lui permettrait d’empocher la mise une fois que tout le monde s’est bien étripé ? C’est une possibilité mais cela reste malgré tout un pari risqué car, comme on le voit actuellement, le terrain politique commence déjà à être occupé par certains candidats. De plus, pour l’instant, c’est plutôt le Front national qui semble cultiver la discrétion, au point qu’on peut se demander si la campagne présidentielle ne risque pas d’être l’une des plus ternes de l’histoire.

Mais pour un candidat de premier plan comme François Fillon, la stratégie de la discrétion risque quand même de lui faire perdre en crédibilité. On le voit déjà avec son tassement dans les sondages. Un candidat de ce type peut difficilement se contenter d’être spectateur, surtout dans le contexte actuel où les électeurs attendent beaucoup de la prochaine échéance.

C’est sans doute pour cela que François Fillon a fait une déclaration récente concernant son identité chrétienne. En disant cela, il revient sur le devant de la scène. On peut aussi penser que cette déclaration vise à atténuer l’effet de ses prochaines déclarations. En effet, logiquement, François Fillon devrait être amené à recentrer son projet initial pour ratisser au-delà de l’électorat de la droite traditionnelle. Des concessions vont donc être faites aux centristes, ce qui risque de dérouter ses électeurs. Donc, pour rendre les choses moins douloureuses, il va probablement devoir donner des gages symboliques sur sa droite. 

Le vote François Fillon est-il rationnel ou bien s'explique-t-il plutôt par la théorie du risk voting développée par Christophe Heintz de l'International Cognition and Culture Institute, à savoir que les électeurs font le choix de la radicalité dès lors qu'ils ont le sentiment d'avoir perdu quelque chose (pouvoir d'achat, acquis sociaux, etc.) ? 

Jérôme Fourquet : Des effets divers peuvent s’additionner pour expliquer une dynamique, notamment électorale : tout le monde ne vote pas pour le même candidat en fonction des mêmes critères. Chez une partie de l’électorat, le vote est tout à fait rationnel, de conviction. Mais il y a effectivement un registre plus émotif et psychologique comme le vous soulignez, et qui peut expliquer une dynamique électorale. Ce que les électeurs de François Fillon lors de la primaire de la droite ont acheté chez le candidat, c’est une certaine radicalité dans le propos leur donnant l’impression qu’il pourrait faire avancer les choses. Pour répondre à cette attente là, l’une des expressions fétiches introduites dans les meetings de François Fillon a été justement celle de "casser la baraque". Cette expression traduit la chose suivante : à travers ses différents mandats de ministre et de Premier ministre, François Fillon s’est rendu à l’évidence que les demi-mesures abondamment pratiquées pendant toutes ces années où la droite a été au pouvoir, n’ont pas permis de réduire les déficits, de reculer le chômage, etc. Fort de ce constat, il a décidé d’une rupture radicale, et donc de "casser la baraque".

Au fur et à mesure que la campagne électorale va se préciser, il va falloir que François Fillon puisse décliner son leitmotiv sans s’aliéner une partie de l’électorat, c’est-à-dire en ne touchant pas au remboursement des médicaments, etc. Confusément, beaucoup de Français pensent –notamment à droite – que sous les années Chirac et Sarkozy, ce sont des rustines qui ont été mises, et qu’aucune mesure véritablement efficace n’a été essayée. Ainsi, tout détruire pour reconstruire est une idée qui peut séduire un certain nombre de personnes. Le problème, c’est lorsqu’on va vous chercher dans le détail. Dès que l’on commence à toucher à tel ou tel sujet, vous avez des voix contraires qui s’élèvent. Quand cela touche des minorités, cela n’est pas très grave, mais dès lors que vous touchez à des lois qui concernent le plus grand nombre, cela est bien plus délicat.

On dit souvent que les classes les plus défavorisées sont celles qui sont le plus effrayées par rapport à ce que peut dire François Fillon. Néanmoins, si l’on se réfère à ce qui se passait en 2007, Nicolas Sarkozy a su capter une partie de l’électorat populaire par sa personnalité, son charisme, mais aussi par son discours sur les matières régaliennes, la méritocratie, le "gagner plus pour gagner plus". Dans le dernier baromètre Ifop pour Atlantico, parmi les Français qui disent avoir du mal à s’en sortir avec leur salaire, 73% seraient prêts à travailler plus pour gagner plus ; ils sont 50% chez ceux qui s’en sortent avec leur salaire. Ainsi, un discours qui viserait à remettre au goût du jour la défiscalisation des heures supplémentaires pourrait plaire à ce type d’électorat. 

Vincent TournierCette théorie n’est pas à proprement parler celle de Christophe Heinz. Il s’agit en fait d’une réflexion qui prolonge la théorie de l’électeur rationnel. Cette approche théorique est peu développée en France alors qu’elle est très stimulante puisqu’elle oblige à s’interroger sur les motivations des électeurs. Son principe est que les électeurs cherchent à optimiser leur situation, donc à augmenter leurs gains et à limiter leurs pertes. Donc, en principe, les électeurs sont conduits à exclure les choix trop risqués. Or, suivant ce principe, le Brexit et le vote Trump constituent des exceptions car, dans les deux cas, l’électeur ne sait pas vraiment dans quoi il s’engage, c’est un peu un saut dans l’inconnu, il prend donc des risques. Faut-il en déduire que les électeurs sont irrationnels, et donc que la théorie est fausse ? La théorie de l’électeur rationnel oblige à poser la question autrement : elle part de l’idée que, si les électeurs font un tel choix, c’est qu’ils ont de bonnes raisons. En fait, la situation s’éclaire si l’on tient compte du fait que les électeurs ont moins peur du risque lorsqu’ils ont déjà beaucoup perdu car, dans ce cas, ils vont considérer que leurs pertes seront limitées, et que, à l’inverse, ils ont la possibilité de gagner beaucoup au point de compenser leurs pertes antérieures. Pour prendre un exemple, c’est un peu comme un criminel qui, lorsqu’il sait qu’il sera condamné à une peine très lourde, va prendre des risques insensés pour s’en sortir.

Cette théorie est intéressante parce qu’elle permet de comprendre les votes radicaux en cas de crise. Est-elle cependant suffisante pour expliquer le Brexit ou le vote Trump ? Cela reste à démontrer. Est-elle également pertinente dans le cas de François Fillon ? C’est encore moins évident car, même si son programme est radical sur certains points, celui-ci représente justement un vote peu risqué, presque un vote légitimiste. La vraie question est donc plutôt de savoir ce que cette théorie peut annoncer concernant le vote FN, ou éventuellement le vote Mélenchon. Or, en toute logique, la théorie ne prédit pas une poussée trop forte de ces candidats car la situation française n’est pas comparable : même si la souffrance d’une partie des électeurs est bien réelle, notamment en milieu populaire, la situation n’est pas suffisamment désespérée pour que les partis contestataires soient en mesure de former une majorité, notamment parce que l’Etat social continue de fonctionner. De plus, il faut tenir compte d’autres paramètres, notamment l’attitude des médias en France, lesquels créent toujours un puissant consensus anti-FN, ce qui était moins le cas avec Trump ou avec le Brexit, où les opinions dissidentes bénéficiaient d’une certaine légitimité. 

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