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Les "énarques sur étagère" ou comment la Caisse des dépôts offre parmi les plus beaux placards dorés de la République
©Reuters

Bonnes feuilles

C'est votre argent. Des dizaines de milliards d'euros qu'ils gèrent avec le souci constant... de leur propre intérêt. Notes de frais, voitures de fonction, salaires ahurissants, primes en tous genres, honoraires mirobolants... Et quand ce n'est pas directement eux, ce sont les amis du régime qui en profitent. Eux, ce sont les responsables de la Caisse des Dépôts et Consignations, le dernier trésor de la République. Extrait de "La Caisse. Enquête sur le coffre-fort des Français" de Sophie Coignard et Romain Gubert, aux Editions du Seuil (1/2).

Sophie Coignard

Sophie Coignard

Sophie Coignard, journaliste au Point, est l'auteur de nombreux ouvrages dont L'omerta française ou Michelle Obama, l'icône fragile.

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Romain Gubert

Romain Gubert

Romain Gubart est journaliste au Point, et l'auteur de nombreux ouvrages dont L'omerta française ou Michelle Obama, l'icône fragile.

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Comme dans toutes les bonnes maisons, il existe des placards. Ordinaires, pour le tout-venant. Et dorés, pour les « énarques sur étagère ». Énarques sur étagère ? Quelle drôle d’expression ! Elle désigne, dans le langage codé de la Caisse, ces hauts fonctionnaires que l’institution ne sait pas comment employer, et qui sont donc payés à ne rien faire. Ils sont sans affectation, comme certains ambassadeurs ou certains préfets rémunérés pour rester chez eux parce que aucun poste correspondant à leur niveau ne s’est libéré, ou encore parce que leurs incli­nations politiques sont incompatibles avec la majorité du moment. À la Caisse, pendant des années, ils ont été jusqu’à plus d’une cinquantaine dans ce cas.

L’un d’entre eux raconte le chemin qui mène à l’étagère : « En sortant de l’ENA, je suis entré à la Caisse, comme environ trois personnes par promotion, plutôt en milieu de classement, après les grands corps, la préfectorale et le Quai d’Orsay. J’y croyais, au début. Je pensais être dans une institution flexible, tournée vers l’intérêt général, destinée à accompagner les mutations économiques et sociales. Jusqu’au jour où j’ai écrit un mémo dans lequel j’émettais une critique sur un point précis de la stratégie. » La scène se passe il y a près de trente ans. Mais cet énarque ne l’a pas oubliée : « Mon chef de service me convoque et me dit : “Tu as raison, mais tu vas perdre beaucoup en faisant cela. Tu ne seras jamais sous-directeur.” Sous-directeur, voilà l’objectif ultime qui exige que l’on courbe l’échine, que l’on ne touche surtout à rien, que l’on perçoive en silence sa rémunération ! »

Cette ambiance à la Courteline n’est pas des plus stimulantes pour les jeunes énarques. Certains cherchent rapidement une issue, tel Jean-François Copé, entré à la Caisse après l’ENA en 1989 et qui trouve le moyen de bifurquer deux ans plus tard vers une de ses filiales, le Crédit local de France qui deviendra Dexia. D’autres se renferment dans leur coquille… Au siège de la Caisse, au 56 rue de Lille, certains mauvais esprits ont même baptisé « le couloir de la mort » une aile de la maison où quelques-uns de ces « énarques sur étagère » ont été logés, pas trop mal puisque leurs fenêtres donnent sur la rue du Bac.

Déranger l’institution est, pour un énarque, le plus sûr moyen de finir sur une étagère. « Quand Francis Mayer, énarque atypique, arrive, avec une autre culture, une volonté autoproclamée de secouer la vieille maison, je prends rendez-vous avec lui, raconte notre interlocuteur. Il s’en fout complètement et me lance un “Démerdez-vous…” qui veut tout dire. Je suis donc retourné dans mon placard. C’était en 2003. Je n’en suis toujours pas sorti. Je passe voir le DRH deux fois par an pour une visite de courtoisie. Entre-temps, je reçois ma fiche de paie, je profite des avantages du comité d’entreprise et j’ai tout le temps de lire le journal interne du groupe, que les plus espiègles – ils ne sont pas très nombreux ici – appellent la Pravda. » Et ce quinquagénaire qui rêvait sûrement d’une autre vie professionnelle d’ajouter, résigné : « Beaucoup de gens restent à la Caisse des dépôts parce que c’est un des territoires de l’État où l’on gagne bien sa vie, sans compter les avantages en tout genre. » Paul Pény, le DRHde cette maison aux innombrables placards, n’aime pas parler de ce sujet. Il assure avoir remis presque tous les énarques sur étagère au travail depuis son arrivée dans le sillage de Pierre-René Lemas fin mai 2014. Presque tous ? On est prié de le croire sur parole.

Extrait de "La Caisse. Enquête sur le coffre-fort des Français" de Sophie Coignard et Romain Gubert, aux Editions du Seuil.

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