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En finir avec De Gaulle… et vite
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Table rase

François Fillon parviendra-t-il a dynamiter le vieux pacte gaullo-communiste qui organise la République française depuis bientôt 75 ans ? Alain Juppé a tenté de s’y attaquer en 1995. En vain. Manuel Valls et Myriam El Komry ont timidement essayé de l’amender en 2016. En vain. Comme toujours…

Eric Brunet

Eric Brunet

Eric Brunet est l'auteur de l'Obsession gaulliste aux éditions Albin Michel (2017). Il présente Radio Brunet tous les jours sur RMC de 13 heures à 15 heures

Il a par ailleurs publié Etre de droite, un tabou français (Albin Michel, 2006) et Dans la tête d’un réac (Nil, 2010).

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Au fond, notre couteux Etat providence n’a jamais été réformé. Tout juste relifté. Les  gaullistes le protègent comme un fétiche et la gauche comme un totem. Alibi idéal pour éviter de réformer  le pays, le pacte gaullo-résistancialiste est pourtant le creuset des drames hexagonaux : "l’Etat nurserie", la surpuissance des syndicats, le paritarisme et les milliards gaspillés la formation, professionnelle, l’énarchie, l’interventionnisme public, les 22% de fonctionnaires quand la moyenne européenne se situe vers 15%... Et si de Gaulle était allé trop loin, après guerre, dans son pacte avec les communistes ?

Pour comprendre les atermoiements du modèle social français, il faut remonter à sa genèse : le Conseil National de la Résistance. Créé en 1943 pour coordonner les mouvements de Résistance intérieure, il rédigea un programme de reconstruction de la France en mars 1944. Elaborée sous la pression des communistes, cette plateforme était ultra-étatiste. Son préambule précisait :"Nous réclamons ( …) la direction de l’économie et le retour à la nation de tous les grands moyens de production, de l’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurance et des grandes banques". Il faut dire que dans le plus grand secret, De Gaulle entretenait depuis des mois une correspondance avec Léon Blum. Dans ses lettres, l’ancien chef du Front populaire incitait le Général à travailler sur un programme commun à toutes les forces de résistance. L’un et l’autre désavouaient le libéralisme d’avant-guerre. De Gaulle avait enchanté les mouvements de résistance proches du PCF lorsqu’il avait clamé : "On réfléchit sur les causes de la guerre, qui sont à chercher au-delà de Hitler, du côté de la crise de 1929, de la dépression et de la faillite du libéralisme".

Cette proximité entre le gaullisme historique et le communisme intéresse peu les historiens qui ont pris l’habitude d’évacuer le sujet par une formule passe-partout : "à l’époque, le PCF était incontournable". Certes. Mais De Gaulle n’est il pas allé trop loin en laissant les communistes élaborer les fondements de la nouvelle France retrouvée ? 

Car la connivence entre De Gaulle et le communisme stalinien est bien antérieure au CNR. Il apparait que dès le mois de juin 1941, le  Général demanda à ses proches d’engager des relations diplomatiques avec l’URSS de Staline. De Gaulle insista : surtout pas un mot aux alliés de la France. Staline n’avait-il pas mené quelques mois plus tôt une politique d’annexions brutales et sanglantes ? Une partie de la Pologne (partagée avec Hitler), la Finlande, les trois Etats baltes, la Bessarabie, la Bucovine du nord…  Le 25 juin 1941, sans en parler aux Britanniques donc, le Général de Gaulle fit passer un message secret à l’ambassadeur soviétique en Turquie, dans lequel il affirmait vouloir "nouer des relations directes avec le gouvernement soviétique". De Gaulle proposa un accord politique à Staline. Il mena ces tractations dans le dos de Churchill qui n’envisageait alors qu’une alliance de circonstance avec l’URSS. Fort logiquement, les Alliés souhaitaient limiter leur soutien à Staline à une aide économique et militaire et refusaient -malgré les pressions soviétiques répétées- tout accord politique qui reviendrait à passer l’éponge sur la trahison du pacte germano-soviétique, et à légitimer les conquêtes soviétiques qui ont suivi.

Staline posera plusieurs conditions à cet accord avec de Gaulle. Notamment la ré-autorisation du PCF, dissout en 1939 par la IIIeme République pour cause de pacte germano-soviétique. En janvier 1942, alors qu’il était installé à Londres, de Gaulle eu le toupet d’écrire au Général Catroux: "nous sommes actuellement plus proches de la Russie que d’aucune autre puissance et j’espère que nous le montrerons bientôt par des actes diplomatiques et même militaires".  Le 4 décembre 1942, De Gaulle déclara à Ivan Maïsky, ambassadeur d’URSS à Londres : "j’espère que les Russes seront à Berlin avant les Américains"…

En 1943, de Gaulle appelle Fernand Grenier à Londres. Cet ancien député PCF de la Seine-Saint-Denis est un communiste dur. Il a séjourné en URSS, il a animé l'Association des Amis de l'URSS, qui comptait 70 000 adhérents en 1936 et sa revue Russie d'aujourd'hui tirait à plus de 100 000 exemplaires avant la guerre. Il s'exprime une première fois sur la BBC le 15 janvier 1943. Il représente dès lors les communistes auprès des différentes instances de la France libre, mais il refuse un poste de commissaire du Comité français de la Libération nationale (CFLN) proposé par de Gaulle car il n’a pas l'aval de Jacques Duclos, alors responsable clandestin du PC dans la France occupée.  Le symbole est fort. A Londres, il signifie que De Gaulle valide la ligne Jean Moulin au détriment de la ligne Pierre Brossolette. Ce résistant, ancien journaliste, était socialiste et en aucun cas communiste. Il souhaitait un grand rassemblement de personnalités résistantes choisis en dehors des partis qui avaient collaboré. Dans cette perspective il voulait faire venir à Londres aussi bien André Philip et René Massigli, que Charles Vallin, numéro deux du Parti social français, formation politique de droite la plus importante dans la France de l’avant-guerre. Mais une cabale londonienne conduisit à l’élimination politique de Vallin, expédié en Afrique pour y commander un bataillon.

Selon Claude Pierre-Brossolette, fils du célèbre résistant qui se suicida en 1944 dans les locaux de la Gestapo pour éviter de parler sous la torture, "ni mon père, ni Passy, ne sont satisfaits de ce tournant qui va être capital. Faut-il en attribuer l’inspiration à Jean Moulin (…) dont les trois principaux adjoints s’avèreront membres du parti communiste à la Libération ? Plus tard, des controverses se développeront autour d’une adhésion secrète et présumée  de Jean Moulin au communisme soviétique. Elles sont de peu d’intérêt au regard du fait essentiel : le choix par le Général De Gaulle du Parti communiste comme partenaire privilégié, de préférence à la droite patriotique de Charles Vallin".

Brossolette souhaitait tout autant que Moulin que de Gaulle exerce le pouvoir. Les deux hommes affichaient seulement un désaccord sur la façon de procéder. D’ailleurs, le jeune capitaine Brossolette recommandait de "se méfier sans réserve des communistes". La ligne Moulin, fut celle de la création du CNR dont de nombreux membres étaient à minima très proches du Parti communiste ou de ses satellites comme le Front national. Le communiste Pascal Copeau, proche de Jean Moulin, résuma ainsi la situation : "Au fond, Moulin était là pour organiser la France de telle manière que de Gaulle vienne au pouvoir. Je crois que l’appel du 18 juin était une candidature au pouvoir. Je ne le dis pas dans un esprit polémique, mais si on veut comprendre les événements, c’est ça !".

Jacques Soustelle commenta : « Le principal bénéficiaire de cette mutation fut le Parti communiste, habilement dédoublé en parti et en Front national, excellant de plus à utiliser des « sous-marins » tels que Degliame-Fouché ou Malleret-Joinville ou des « hommes de droite » étrangement proches du parti tout en se disant « nationaux » ou même « gaullistes ».

Le 31 août 1944, alors que le territoire français n’était pas entièrement libéré, le gouvernement provisoire, dirigé par le général de Gaulle, s’installa à Paris. Feignant de craindre une prise de pouvoir des puissantes milices communistes qui régnaient sur une vaste partie du pays (et alors que les chars russes étaient à "deux étapes du Tour de France" de nos frontières), de Gaulle décida d’autoriser le retour en France du chef du Parti Communiste, Maurice Thorez, interdit de séjour pour avoir déserté à l’automne 1939 et s’être réfugié à Moscou pour la durée de la guerre. À l’automne 1944, le général amnistia Thorez. Fin novembre, il se rendit à Moscou et rencontra Staline pour signer le pacte franco-soviétique. Parallèlement, le leader communiste fit son grand retour en France. Le 30 novembre, Thorez prononça un discours décisif. Alors qu’un électeur sur trois était communiste, beaucoup redoutaient qu’il donne à son meeting une inflexion révolutionnaire. Il n’en fut rien : contre toute attente, le patron du PCF ratifia la dissolution des milices communistes et lança le parti dans le redressement économique du pays. Il est aisé de comprendre ce qui venait alors de se jouer : Staline avait renoncé à instaurer en France un régime communiste… En contrepartie, le pouvoir gaulliste acceptait la mise en place, en partenariat avec le PCF, d’un État-Providence. Le pacte gaullo-communiste, qui allait structurer la vie politique française pendant des décennies venait de naître. La création de l’État-Providence ne traîna pas : quelques jours seulement après son retour d’URSS, le général de Gaulle signa les premières ordonnances qui nationalisaient les compagnies minières privées du Nord et du Pas-de-Calais. Tout au long de l’année 1945, le gouvernement provisoire mit en application les décisions du CNR. Une nouvelle ordonnance nationalisa, sans compensation financière, l’entreprise Renault, coupable de collaboration avec les Allemands. Suivra ensuite au printemps 1945 la nationalisation de l’entreprise de moteurs pour avions, Gnome et Rhône, puis les transports aériens. Les 4 et 19 octobre 1945 deux ordonnances instituèrent la Sécurité sociale. Quelques temps plus tard, on nationalisa l’électricité, le gaz, les assurances. On généralisa les comités d’entreprises, on créa le statut de la fonction publique. On mit en place la régulation et la planification de l’économie par l’Etat. La puissance publique pilotait désormais l’économie et l’emploi.

Les élections législatives du 21 octobre 1945, premières élections nationales depuis la fin de la guerre, consacrèrent le PCF qui devint le premier parti de France, obtenant 26,23 % des voix, soit plus de 5 millions de suffrages. De Gaulle forma alors un second gouvernement dans lequel on comptait désormais cinq ministres communistes : François Billoux à l’Économie nationale, Charles Tillon à l’Armement, Marcel Paul à la Production industrielle et Ambroise Croizat au Travail. A peine rentré d’Union soviétique, Maurice Thorez fut bombardé ministre d’État. Même Léon Blum s’était gardé de nommer des communistes dans le gouvernement de Front populaire. Ces nominations n’ont rien d’anodin car le PCF de l’époque était sans doute le plus stalinien des PC étrangers. Pour l’anecdote, la divulgation des archives soviétiques apportera la preuve, des années plus tard, que même le portier du siège du parti communiste à Paris, place Kossuth, avait été choisi par Moscou… Quoi qu’il en soit, en comptant une vingtaine de personnes par cabinet ministériel, c’est une centaine de membres du Komintern qui sont propulsés au sommet de l’Etat. Un cadeau que De Gaulle fait à Staline… Une machine de guerre qui ne jouera le jeu de la France que lorsque ce jeu fera celui de Moscou. Après la démission de de Gaulle, le 20 Janvier 1946, les communistes restèrent dans l’appareil d’Etat. Selon les RG, les infiltrés dans la fonction publique furent au nombre d’un millier. Ils deviendront intouchables du fait de l’instauration du statut de la fonction publique, signé par un certain Maurice Thorez.

Le 2 décembre 1945, la Banque de France et les quatre plus grandes banques françaises furent nationalisées. Sous l’impulsion de Maurice Thorez, qui sera vice-président du Conseil jusqu’en mai 1947, et des communistes, un corpus de lois sociales virent le jour. Furent ainsi créées : la caisse d’allocations familiales, les comités d’entreprises, la médecine du travail ou encore la retraite par répartition (déjà mise en place sous le gouvernement de Vichy par l’ancien dirigeant de la CGT, René Belin) et dont la gestion nous coûte aujourd’hui environ 30 % de plus que celle d’un système par capitalisation. C’est également Maurice Thorez qui est à l’origine du premier statut de la fonction publique, défini par la loi du 19 octobre 1946, et qui entraînera l’augmentation constante du nombre d’agents de l’État.

Ce statut accorde aux fonctionnaires un système de retraite plus avantageux que dans le secteur privé et surtout l’emploi à vie. Des mesures extrêmement couteuses pour la collectivité. A l’origine, ces avantages avaient été attribués pour compenser les salaires du public, inférieurs à ceux du privé. Mais en soixante ans, cette différence s’est considérablement réduite et parfois même inversée, transformant les avantages réservés aux fonctionnaires en véritables privilèges.

Jusqu’à la démission du général de Gaulle en 1969, le pacte passé entre gaullistes et communistes va profondément structurer la vie politique française, convergence très bien résumée par la formule de Malraux, ministre de la Culture du Général :« Entre les communistes et nous, il n'y a rien ! »Dans la dernière partie de ses Mémoires de guerre, de Gaulle parle d’ailleurs très positivement de Maurice Thorez et à la mort de ce dernier en 1964, il lui rendra hommage en déclarant dans son message de condoléances :« À une époque décisive pour la France, le Président Maurice Thorez a, à mon appel, et comme membre de mon gouvernement, contribué à maintenir l'unité nationale ».

Malgré l’inexorable déclin du parti communiste à partir des années 1970, l’État-Providence mis en place à la Libération va perdurer et sera même renforcé, à contresens de l’histoire, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 (retraite à 60 ans, 39 heures, cinquième semaine de vacances, etc.). Désormais synthétisé par l’expression « acquis sociaux », le programme du CNR a été sanctifié et demeure non négociable pour l’essentiel de la gauche. Or, force est de constater qu’il contribue aujourd’hui au décrochage de notre pays. Après-guerre, les nations européennes se sont reconstruites sur des modèles étatistes. Comme la France. Mais au fil des années, nos voisins ont su évoluer. De Gaulle avait lui-même écrit dans ses mémoires «Toutes les doctrines, toutes les écoles (…) n’ont qu’un temps ». Alors l’Allemagne de Schröder a fait sa petite révolution en 2003, l’Angleterre de Thatcher en 1979 puis celle de Cameron et Osborne en 2010, l’Espagne du socialiste Zapatero puis celle du conservateur Rajoy à partir de 2010, l’Italie de Renzi, plus timidement en 2014. En revanche, en France, rien. Notre dépense publique atteint aujourd’hui le pic historique de 57 % du PIB, soit le deuxième plus haut taux de l’OCDE. Chez nos voisins, il est en moyenne de 45. Au lieu de cultiver la nostalgie gaulliste, nos politiques devraient jouer la carte du pragmatisme. Certes, la gauche française est co-responsable de ce naufrage français. Mais la faute principale incombe à la droite. En ne dynamitant pas le logiciel gaullo-communiste, en n’imposant pas à la France le logiciel naturel de toutes les droites européennes, Giscard, Chirac et Sarkozy ont laissé la gauche transformer le pays en une grande nurserie administrée, où des syndicats, peu représentatifs, empêchent l’économie française de se déployer librement.

Eric Brunet vient de publier "L’obsession gaulliste" chez Albin Michel. Il Présente Radio Brunet sur RMC , tous les jours de 13 à 15 heures.

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