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Crise de l’offre ou de la demande ? L’obsession politique française qui ne permettra jamais de résoudre le problème du chômage tant elle passe à côté d'une part de la réalité
©Flickr

Longue durée

Alors que les candidats à la présidentielle de 2017 dévoilent peu à peu leurs programmes, ayant tous pour objectif de réduire le chômage et parvenir au plein emploi, certains facteurs tendent à être oubliés. Ainsi, derrière les volontés affichées, les réalités en provenance du terrain pourraient produire des résultats décevants par rapport aux espoirs formulés.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Derrière les débats de politique économique autour d'une politique de l'offre et de la demande, la situation actuelle de l'emploi n'est-elle pas plus complexe ? Dans quelle mesure peut-il exister une population tout simplement "inemployable", illustrant ainsi une réalité humaine qui s'éloigne de simples analyses théoriques ?

Nicolas Goetzmann : La première distinction à faire ici, c'est de voir que les discours politiques se contentent effectivement de discours théoriques simples, entre offre et demande, alors que les économistes travaillent bien plus dans le détail, notamment sur ces points de friction qu'il peut exister dans le marché de l'emploi, et dont l'objectif est de comprendre certaines "anomalies" apparentes.

La question relative aux personnes "inemployables" s'est principalement posée aux États-Unis, qui est un cas d'école en raison de la forte baisse du taux de participation de la population à la vie active, principalement pour les hommes dans la "force de l'âge" (entre 25 et 54 ans). Entre 1954 et aujourd'hui, le taux de participation à la vie active de cette catégorie est passé de 98% à 88%, et le mouvement à la baisse a été sévère depuis la crise de 2008. Et ce, malgré la création de quinze millions d'emplois aux Etats-Unis depuis 2010. De nombreuses hypothèses ont été formulées à l'égard de ces personnes qui quittent purement et simplement le marché de l'emploi, entre les hommes qui n'éprouvent plus le besoin de travailler parce que le revenu de leur épouse suffit au ménage, ceux qui choisissent l'oisiveté et les jeux vidéos, ceux qui sont entrés dans une activité illégale, etc.

Mais en testant toutes ces idées, le résultat montre deux causes principales. D'une part, en 2008, 7 à 8% des hommes de cette classe d'âge avaient été incarcérés dans le courant de leur vie, et cette situation frappe les hommes noirs de façon disproportionnée. Évidemment, ces hommes sont massivement concernés par une mise à l'écart du monde du travail. D'autre part, et après analyse des différences de salaires entre les Etats américains, il apparaît qu'une plus forte propension à un retour à l'emploi est corrélée avec des salaires plus élevés, ce qui signifie que les personnes éloignées de la population active sont aussi celles qui renoncent au niveau de salaire qui leur est proposé. Ce qui peut être un moteur pour le travail au noir, l'entrée dans des activités illégales, etc., puisque les aides sociales américaines sont concentrées sur les personnes insérées dans la vie active, dans une logique de "workfare". D'autres facteurs sont également répertoriés, comme la forte hausse de consommation de stupéfiants, mais également d'anti-douleurs, qui témoignent d'une forme de désespérance d'une partie de la population, et qui ont également pour effet de réduire considérablement les chances d'une réinsertion dans le marché de l'emploi. L'exclusion auto-alimente l'exclusion.

Ces questions montrent bien qu'il peut exister des facteurs expliquant des résultats parfois décevants de certaines politiques économiques, et que l'on ne peut pas tout espérer d'une approche purement théorique.

Quels sont les principaux facteurs pouvant rendre des personnes "inemployables" ? Quels sont ceux qui peuvent représenter un obstacle aux ambitions des candidats à la présidentielle de 2017 ?

Le facteur commun à toutes les grandes économies est la question du chômage de longue durée, qui agit de lui-même sur la capacité de retour à l'emploi. C’est-à-dire qu'en-dehors des compétences de la personne, le seul fait d'avoir été au chômage pour une longue durée la disqualifie pour retrouver un emploi. La conséquence est que pour les chômeurs de longue durée, selon une étude publiée en 2014, c'est soit le retour à l'emploi dans des conditions précaires, soit la poursuite du chômage, soit, plus grave encore, une sortie des statistiques parce que ces personnes ont tout simplement renoncé à retrouver un emploi. Or, en France, le nombre de chômeurs de longue durée a explosé au cours de ces dernières années. En septembre 2008, la France comptait 976 500 chômeurs de plus d'un an. Ils étaient 2,415 millions en octobre 2016, soit une progression proche de 150%. En 2008, 29% des chômeurs étaient des chômeurs de longue durée. Ils constituent près de 42% du total actuel (des catégories A, B, C). Le résultat est que le nombre de personnes qui auront de lourdes difficultés à retrouver un emploi augmente mois après mois, ce qui fait gonfler en théorie le taux de chômage structurel du pays, et ce qui signifie qu'elles ne seront même plus intégrées à un discours évoquant le plein emploi.

Quelles sont les conséquences de cette "réalité" dans la mise en place des politiques de gouvernement, quelles qu'elles soient ? Les résultats ne sont-ils pas voués à être décevants ?

Il y a un double enjeu. Entre ce qui peut être fait à court terme, et ce qui relève du long terme. Des politiques de relance peuvent générer une croissance suffisamment solide pour réintégrer les personnes au chômage dans l'emploi, mais comme il est possible de le voir aux États-Unis, cela peut très bien ne pas suffire. Une nouvelle fois, c'est ce que l'on peut voir avec ce paradoxe d'une économie qui crée quinze millions d'emplois, qui n'empêche pas de voir des personnes renoncer à en trouver un. Une politique de relance profite d'abord à ceux qui sont les plus proches de l'emploi, les plus qualifiés, ceux qui sont au chômage depuis peu, avant de toucher les autres catégories. Dans un second temps, si le plein emploi est atteint, les entreprises commenceront à augmenter les salaires pour débaucher les salariés qu'ils veulent. Ce n'est qu'à partir du moment où une entreprise jugera "rentable" d'employer une personne au chômage depuis longtemps, en acceptant de la former par exemple, que le chômage structurel pourra baisser. Mais au regard des dégâts actuels sur l'économie, et du temps qu'il faudra déjà, même en pratiquant une forte relance, pour en arriver au plein emploi, il est peu probable que le prochain quinquennat puisse adresser une réponse à ces personnes. Des politiques d'aides au retour à l'emploi, des bonnes formations, sont des pistes pour renforcer leurs chances.

En regardant ce qui peut se passer à l'étranger, il est possible de constater que le chômage est inférieur à 5% aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces pays considèrent désormais qu'ils sont au "plein emploi", ce qui justifie de ralentir le niveau d'activité économique (relèvement des taux aux États-Unis). Pourtant, une partie de la population est encore sur le côté de la route. Au Japon, le taux de chômage atteint 3%, ce qui est exceptionnel, mais cela traduit également une volonté politique d'insérer un maximum de personnes au sein du marché de l'emploi. De tels chiffres sont possibles, mais ils nécessitent une refonte totale de la façon dont les politiques pensent l'économie.

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