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Performativité et performance du discours politique de François Fillon
©Reuters

L'art de l'oratoire

Les mots employés par le vainqueur de la primaire de la droite et du centre lors de sa campagne ont été bien différents de ceux des autres candidats. Ils révèlent un profil politique et idéologique tranché.

Julien Longhi

Julien Longhi

Julien Longhi est professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise.

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Dans le cadre du projet #Idéo2017, nous cherchons à mettre en place un outil d’analyse des tweets politiques liés aux campagnes électorales. Afin de choisir les bons outils, indicateurs, critères, etc., un travail sur différents corpus (mise en forme de données structurées) est nécessaire. L’équipe en charge de l’acquisition des tweets, des bases de données, et de la structuration produit donc des échantillons sur lesquels je peux travailler.

Prédire rétrospectivement ?

Après avoir mené une courte analyse sur les sept candidats à la primaire de droite, j’ai choisi de considérer le résultat de ce scrutin, et de tenter de chercher à faire émerger ce qui pourrait expliquer les résultats, afin notamment de pouvoir avoir un regard prédictif sur de prochains résultats.

Bien sûr, cette prédiction est virtuelle, et intéressante seulement sur le plan théorique et méthodologique. Mais face aux difficultés des sondeurs, et pour essayer de décrire l’efficacité, voire la performativité des messages, je me suis intéressé spécifiquement à François Fillon et Alain Juppé, avant le premier tour de la primaire de la droite et du centre, et à l’entre-deux tours. J’ai donc repris les sous-corpus Juppé et Fillon de ma précédente étude (200 tweets au 10 novembre), et j’y ai ajouté l’ensemble des tweets publiés entre les deux tours.

Il ressort des analyses statistiques de ces corpus des profils de candidats très différents, ainsi que des stratégies d’entre-deux tours très significatives.

François Fillon : l’affirmation de valeurs et le maintien d’une posture idéologique forte

Si on regarde les tweets du compte de François Fillon avant premier tour, avec l’analyse Alceste proposée dans le logiciel Iramuteq, on repère des thématiques liées au besoin de changement économique, aux valeurs, à l’immobilisme et à la défaite des sondages suite à l’élection du Trump :

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En regardant notamment de plus près le détail de la classe 6, on peut générer un nuage de mots spécifique de cette classe, qui permet de caractériser l’idéologie du candidat :

L’affirmation de certaines valeurs, et le besoin de changement, sont les thèmes forts du candidat. En reprenant les tweets du compte de François Fillon entre les deux tours, on retrouve ces marqueurs, affirmés et accentués, comme dans la classe 4 du dendrogramme suivant, avec des verbes comme redresser, changer, des termes comme vérité et radical qui caractérisent son projet :

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En regardant plus précisément la classe 4, on reconnaît encore les éléments caractéristiques, parfois lexicalisés différemment, mais qui témoignent de la même idéologie du redressement, du changement, et de la radicalité de ce changement :

Il s’affirme alors un profil politique et idéologique tranché, et continu, qui peut expliquer la diffusion des idées de ce candidat dans l’électorat. En effet, le discours politique n’est pas seulement à concevoir comme une prise en compte des aspirations des électeurs, il est aussi performatif, au sens où il constitue une certaine réalité, dans laquelle les citoyens peuvent se reconnaître même s’ils n’étaient pas initialement destinés à l’être.

Le profil discursif d’Alain Juppé est radicalement différent : peu impliqué avant le premier tour, il subit ensuite le choix des thèmes, ne pouvant se poser qu’en s’opposant.

Alain Juppé : d’un discours peu engagé à un profil d’opposant

Si on regarde les tweets d’Alain Juppé avant 1er tour, on constate, en dehors des éléments contextuels (aj2017, ajpourlafrance), des termes génériques tels que liberté, homme d’état, débat, primaire, etc :

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Le discours d’Alain Juppé sur Twitter est donc relativement phatique, au sens où il sert à créer ou maintenir un contact, sans pour autant constituer un message politique, tel que cela a été vu chez François Fillon. Le nuage de mots de la classe 2 illustre bien ceci :

Entre les deux tours, alors que François Fillon maintenait sa stratégie en la « musclant » davantage, Alain Juppé adopte une autre posture. On retrouve certes les mêmes éléments contextuels, mais les thématiques politiques sont plus nombreuses, et liées aux propositions de François Fillon : la réforme de l’assurance maladie, la baisse des effectifs dans la fonction publique (dont les policiers) et le droit à l’IVG :

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Le nuage de mots de la classe 3 est très emblématique de cela, puisqu’il montre que le temps de travail, la fonction publique, les contrats, c’est-à-dire tout ce qui constitue l’ADN du programme de François Fillon, est repris par Alain Juppé :

Aussi, au regard de l’analyse des tweets, et de leur visualisation, deux attitudes, et deux profils différents, ressortent, qui indiquent non seulement la ligne idéologique et la stratégie politique, mais aussi la force du discours, qui peut revêtir, comme je l’ai dit, une dimension performative. En effet, comme l’écrit Georges-Elia Sarfati :

« toute intervention critique sur le réel (ainsi constitué) relève prioritairement d’une intervention critique sur la réalité discursive et sémiotique ».

En d’autres termes, modifier la réalité telle qu’elle est perçue, est prioritairement affaire de discours : par le maintien d’une stratégie cohérente basée sur des discours qui martèlent les mêmes éléments, François Fillon contribue à l’affirmation d’une idéologie qui devient une grille de lecture pour son électorat. Dans ce cas donc, « l’idéologie est un système global d’interprétation du monde historico-politique » (R. Aron, Trois Essais sur l’âge industriel), mais également « a pour fonction de donner des directives d’action individuelle et collective » (M. Rodinson, Sociologie marxiste et idéologie marxiste). Cette stratégie a aussi permis à François Fillon de prendre la main sur le débat, en contraignant son adversaire à venir sur son terrain.

Si la performativité des discours ne se mesure pas comme les sondages peuvent mesurer l’opinion des électeurs, sa caractérisation, même qualitative (et non quantitative) par le repérage de certaines tendances discursives, peut être un élément à prendre en compte. De prochains travaux tenteront donc de distinguer plus précisément cette performativité, voire de la « mesurer », notamment au regard de la sémantique des discours (références, catégories, scénarios).

The Conversation

Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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