Un parlementaire américain exige une enquête sur les relations entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine… mais au fait, comment les intérêts américains sont-ils eux aussi relayés dans la vie politique française ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Un parlementaire américain exige une enquête sur les relations entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine… mais au fait, comment les intérêts américains sont-ils eux aussi relayés dans la vie politique française ?
©Reuters

Interférences

Si les supposées ingérences de la Russie de Vladimir Poutine sur la politique française font beaucoup parler ces derniers temps, les Etats-Unis ne sont pas en reste dans leur influence sur les dirigeants français.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

Voir la bio »

Atlantico : Si l'influence de la Russie dans les démocraties occidentales est au cœur de l'attention médiatique et politique de ces dernières semaines, comme en témoigne la volonté d'un parlementaire américain d'ouvrir une enquête sur les relations entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine, les Etats-Unis n'interfèrent-ils pas eux aussi dans la vie politique française ? Quels sont les relais des intérêts américains dans les partis politiques français ?

François-Bernard Huyghe :  Tout d'abord, il y a en ce moment une paranoïa sur l'influence russe que l'on ne connaissait même pas au moment du Maccarthysme et de la Guerre froide. On voit émerger l'idée que Poutine manipulerait dans l'ombre les chefs d'Etat ou responsables politiques occidentaux (Trump, Marine Le Pen, etc.). Il me semble qu'il faudrait quelque peu modérer ces accusations...

Il y a eu deux grandes périodes dans les stratégies d'influence américaines.

Pendant la Guerre froide, la doctrine de diplomatie publique a été élaborée sous Eisenhower : l'idée était de créer des moyens d'influencer les peuples d'Europe de l'Est avec l'argent des contribuables. Des radios comme Voice of America émettaient ainsi en tchèque, en polonais, etc., et présentaient une image favorable de l'Occident. La diplomatie publique passait aussi par une action culturelle favorisant des expositions d'art, le cinéma, la traduction de certains livres, mais aussi des congrès d'intellectuels antitotalitaires. Enfin, des futurs dirigeants, des journalistes étaient invités aux Etats-Unis : on leur faisait visiter les institutions, des bourses dans les universités américaines étaient données aux éléments les plus prometteurs, des rencontres dans des think tanks étaient organisées... La politique de diplomatie publique était une stratégie ouvertement idéologique et centralisée, menée dans le but de contrer l'influence du communisme. Reagan disait que l'une des raisons pour lesquelles les Etats-Unis avaient gagné la Guerre froide était liée à l'efficacité de ces stratégies de diplomatie publique.

Quand l'URSS a disparu, les Etats-Unis ont moins utilisé les dispositifs de diplomatie publique et sont passés à l'option du soft power, c'est-à-dire l'influence du mode de vie, de la musique, du cinéma, mais aussi de la technologie. Une formule célèbre dit que le soft power, ce sont les deux M (le "M" de Macintosh et le "M" de Microsoft), et les deux H (le "H" de Harvard et le "H" de Hollywood).

L'opposition entre diplomatie publique et soft power n'est pas absolue et après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis sont revenus en force dans l'action idéologique. Des formes d'influence plus directes ont ainsi été élaborées. Lorsqu'elle était au secrétariat d'Etat, Hillary Clinton avait relayé l'idée d'une e-diplomatie par laquelle les services diplomatiques américains s'adresseraient directement aux populations étrangères. Le programme Young Leaders est également un exemple de cette influence directe auprès des élites : François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem, Marisol Touraine ont tous été reçus aux Etats-Unis. Ce programme est en quelque sorte un investissement dans des personnalités dont les Etats-Unis espèrent qu'ils comprendront la politique et les positions américaines. Par ailleurs, certains hommes politiques français fréquentent directement l'ambassade des Etats-Unis et ont des conversations pour le moins ouvertes avec l'ambassadeur américain : au moment du cable gate de Wikileaks, des dépêches diplomatiques américaines ont raconté comment l'ambassadeur américain parlait très librement de la politique française avec Dominique Strauss-Kahn.

Comment cette stratégie d'influence américaine dans la vie politique française se décline-t-elle ?

Des rencontres entre partis sont organisées à travers les groupes parlementaires. Des membres des Républicains ou du Parti socialiste sont reçus aux Etats-Unis dans le cadre de missions parlementaires, et de nombreuses associations favorisent ce genre de rencontres comme la French American Foundation, dont la fonction avouée est de favoriser les rencontres bilatérales.

Je ne saurais vous dire s'il existe un cercle plus discret et plus secret.

Concrètement, comment cela se traduit-il dans les décisions politiques, les prises de position de certains responsables en France ?  

Cela se traduit tout d'abord dans leur attitude personnelle : les dirigeants sont formatés, et ils ont tendance à penser que tout ce qui se fait aux Etats-Unis doit se faire en France avec quelques années de retard. Nicolas Sarkozy est le plus bel exemple d'un homme politique qui proclame sa formation culturelle par les Etats-Unis. En effet, lorsqu'il était allé aux Etats-Unis, il avait été reçu par un grand think tank et avait dit dans son discours tout ce que représentaient les Etats-Unis à ses yeux : les films d'Hollywood, Marilyn Monroe, Elvis Presley, la liberté, l'aventure. Il avait fait une véritable déclaration d'amour aux valeurs américaines sans aucune ambiguïté. François Hollande n'a pas fait des proclamations aussi spectaculaires, mais il aimait dans une attitude de communication s'afficher avec son ami Obama.

Le fait que l'armée calque certaines de ses règles et pratiques sur l'Otan illustre également ce phénomène : dans l'armée française, les normes, les modes de raisonnement de l'Otan sont adoptés et quelques bons officiers vont faire des missions à l'Otan.

Il me semble que l'influence américaine se manifeste beaucoup plus par le fait que les élites politiques fassent certaines études, adoptent certaines attitudes, certains modes de raisonnement. Cette influence est davantage diffuse que directe. 

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Guerres de “propagande” : après les médias d’influence russe, Breitbart, le porte-avion de la droite alternative américaine débarqueIngérences russes dans les démocraties occidentales : l’Europe a-t-elle vraiment plus à craindre que ce qu’elle a connu avec les Etats-Unis depuis 70 ans…?De plus en plus d'indices suggèrent que Vladimir Poutine essaye d'influencer l'élection américaine

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !