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Mais où Vladimir Poutine trouve-t-il les milliards de roubles nécessaires à sa stratégie de renforcement de la puissance militaire russe ?
©Reuters

Economie de guerre

Ce jeudi 22 décembre, Vladimir Poutine a annoncé vouloir renforcer la force de frappe nucléaire russe afin de la rendre capable de percer tout bouclier antimissile. Alors que les sanctions occidentales et la baisse du cours du pétrole ont profondément affecté l'économie, la Russie fait des dépenses militaires l'une de ses priorités.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Ce jeudi, Vladimir Poutine a ordonné le renforcement en 2017 de la force de frappe nucléaire russe, afin de la rendre capable de percer tout bouclier antimissile, comme celui que les Etats-Unis souhaitent déployer en Europe de l'Est. Alors que les sanctions occidentales et la chute du prix du pétrole ont affaibli l'économie russe,  comment la Russie peut-elle financer ces plans de modernisation nucléaire ? Au détriment de quel(s) secteur(s) ?

Florent Parmentier : L'annonce de Vladimir Poutine concernant le renforcement de la force de frappe nucléaire intervient à un moment où le budget militaire russe passe de la 4e à la 6e place mondiale. Le budget militaire russe global est lui-même en légère baisse, alors même que les dépenses militaires au niveau mondial ont significativement augmenté.

Les sanctions européennes à l'égard de la Russie ont dans un premier temps perturbé le développement de l'économie russe, mais il faut observer que les effets des sanctions tendent à se dissiper avec le temps. En effet, les stratégies de substitution sont progressivement mises en place par les acteurs économiques russes, ce qui est particulièrement le cas pour les productions agricoles. La chute du prix du pétrole est en outre un autre facteur conduisant à une certaine modération budgétaire en ce qui concerne les dépenses militaires.

Ceci étant,  la Russie a malgré tout fait des dépenses militaires l'une de ses priorités, quand bien même la structuration des dépenses militaires connaît des évolutions notables : la Russie a mis davantage l'accent sur le développement des forces spéciales, sur la cybersécurité ou sur les forces aériennes que sur les forces traditionnelles. C'est certainement dans ce cadre qu'il faut comprendre la réaffectation des dépenses militaires.

Par ailleurs il n'est pas nécessaire de prendre pour argent comptant la portée d'une telle déclaration : en effet, il peut s'agir d'une stratégie de négociation dans l’attente de l'inauguration de Donald Trump. Dans ce cas de figure, il serait nécessaire d'imposer un rapport de force pour ensuite être en position favorable de négociation. En montrant son désaccord avec la présence du bouclier antimissile en Europe centrale, Vladimir Poutine peut espérer un certain nombre de concessions. Cette stratégie de négociation s'inscrit dans un contexte particulier, où la Russie est revenue au centre du jeu au point d’espérer une levée des sanctions en 2017.

Comment l'économie russe se structure-t-elle ? Dans quelle mesure l'économie russe ressemble-t-elle à une économie de guerre ?

L'économie de guerre recouvre des pratiques économiques exceptionnelles, mises en œuvre lors conflits armés, mais pas seulement. Son objectif est de maintenir des activités économiques indispensables à un pays, ce qui passe par différentes orientations : la recherche de l’autosuffisance, la dissuasion de la consommation privée, la production garantie d'un certain nombre de biens essentiels relevant par exemple de la sécurité alimentaire ou énergétique… Dans cette perspective l'économie du pays tend à s'éloigner de l'intégration économique internationale pour se rapprocher d’une logique autarcique, industrielle ou militaro-industrielle, quitte à restreindre la consommation individuelle.  

Le système économique contemporain de la Russie diffère en large partie de la situation d'économie planifiée qui prévalait il y a seulement un quart de siècle. Certes, un certain nombre de grandes entreprises, et notamment celles ayant trait au domaine énergétique, appartiennent à l'orbite du pouvoir, mais une grande partie de l’économie russe est privatisée. La présence de grandes entreprises nationalisées dans les secteurs stratégiques se retrouve dans un certain nombre de pays possédant des ressources dans le sous-sol – ce que l’on appelle parfois le "nationalisme des ressources". Les effets des sanctions ont permis de rapprocher l'économie russe de certaines dynamiques autarciques, mais le système financier russe reste encore largement connecté au système financier international. Même si la confiance des investisseurs internationaux manque et que les dysfonctionnements du système judiciaire inquiètent, nous ne sommes pas dans une économie de guerre. Tout au plus, la guerre à laquelle nous assistons en Russie est plutôt celle qui oppose "le réfrigérateur au téléviseur", selon l'expression des observateurs russes : aux communiqués triomphant les autorités s'opposent une baisse de la consommation privée. Cette capacité populaire à restreindre son accès à la consommation privée est sans doute supérieure en Russie que dans la grande majorité des pays européens.

En France serait-il aussi facile qu'en Russie pour le chef de l'Etat de décider d'une augmentation de la force de frappe nucléaire ? Les verrous sont-ils plus nombreux en France qu'en Russie ? 

Parmi les pays européens,  la France se caractérise par l'importance accordée au Président, qui est le chef des Armées, et la puissance limitée du Parlement dans ces questions. Il est à ce titre frappant de comparer la capacité de prise de décision des autorités françaises avec leurs homologues allemandes, dont le dernier livre blanc paru en 2016 montre encore les réticences d'un pays comme l'Allemagne à intervenir en dehors de ses frontières.

Le nucléaire tient une place particulière en France dans la mesure où, après le Brexit, elle devient le seul pays des 27 à disposer de cette technologie. Pour maintenir ses capacités et moderniser à nouveau les composantes aériennes et sous-marines, la France devra doubler son budget de dissuasion dans un contexte financièrement tendu. Comme la Russie, la situation française se caractérise par une assez faible connaissance des enjeux du nucléaire,  qui ne semble concerner qu'une poignée d'acteurs – ce qui affaiblit la capacité de contrôle sur ces questions. Cela peut de fait poser un problème démocratique. 

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