Est-il encore possible de s'exprimer librement en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Est-il encore possible de s'exprimer librement en France ?
©

Voltaire, réveille-toi

Guéant et les civilisations, Sarkozy avec ses valeurs, Vanneste, Le Pen et même Hollande avec ses déclarations sur les camps de Roms... Les accusations absurdes de négationnisme, de pétainisme, voire de nazisme pleuvent.

Dominique Jamet

Dominique Jamet

Dominique Jamet est journaliste et écrivain français.

Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d'une vingtaine de romans et d'essais.

Parmi eux : Un traître (Flammarion, 2008), Le Roi est mort, vive la République (Balland, 2009) et Jean-Jaurès, le rêve et l'action (Bayard, 2009)

Voir la bio »

Nul n’est censé ignorer le négationnisme en histoire, à savoir la négation du génocide des juifs pendant la deuxième guerre mondiale et depuis peu la négation du génocide des Arméniens en 1915, dénis et dénis également punis par la loi. On parle beaucoup moins de ce que l’on pourrait appeler le négationnisme du dictionnaire, phénomène qui va pourtant se développant ces derniers temps de manière exponentielle, la campagne présidentielle en cours n’y étant pas pour rien. Ce négationnisme-là consiste à proscrire et à condamner – pour l’instant de manière platonique, je veux dire sans conséquence pénale – l’emploi de certains mots ou de certaines expressions.

Prenez le mot "travail", un mot en apparence bien innocent, et qui, comme tel, a droit de cité. Associé au mot "famille", il devient aussitôt scabreux. Et si l’on y ajoute le mot "patrie", le triptyque, qui servit de devise à "l’Etat français" de Vichy, est réputé parfaitement scandaleux. Pour avoir dit qu’il n’y trouvait rien à redire dans le cadre d’une France libre, feu Raymond Barre fut symboliquement fouetté en place publique.

Il y a quelques jours, M. Claude Guéant apprenait à ses dépens ce qu’il en coûte d’utiliser le mot "civilisation". Le ministre de l’Intérieur eût-il été mieux inspiré de parler de "culture" ou de "régime" ou de "religion" ? Il est probable qu’on lui fût tombé dessus avec la même virulence. Il est clair désormais qu’à moins d’affirmer que toutes les civilisations se valent, ce qui défie le bon sens, mais plaît à l’opinion dominante, on court le risque, en France, d’être assimilé à Hitler, en plus sournois. Et ne parlons pas du mot "race" que, faute de pouvoir s’en passer, on tolère s’agissant de bovins, de chevaux, de chiens et de chats mais qui n’a plus cours, s’agissant des hommes, que chez le vieux Littré.

Le bon François Hollande, à fronts renversés, vient de faire l’expérience et les frais de ce farouche négationnisme lexical. Pour avoir suggéré qu’on aménage des "camps" (il eût mieux fait de parler de "terrains") à l’usage des Roms et préconisé qu’on "organise une solution", le président du Conseil général de Corrèze, qui n’a jamais fait de mal à une vache, s’est vu accuser, en toute honnêteté intellectuelle, par Jean-François Copé, de  rêver, de façon subliminale, de "camps" de concentration et de "solution" finale. N’y aurait-il pas là quelque chose de légèrement excessif ?

Mais la rage de bâillonner, de réprimer, d’interdire se répand dans notre pays avec la vitesse et les ravages d’une maladie contagieuse. Déjà, avec les meilleures intentions du monde, elle a fait de "l’homophobie" un délit, et le jour n’est pas loin où la loi fera de l’homophilie une obligation. Homophobe, M. Christian Vanneste l’est assurément et ses propos en ce sens ont plus d’une fois fait scandale. Mais lorsque il affirmait l’autre jour, fût-ce sur un ton goguenard particulièrement mal venu, qu’il n’y  a jamais eu de déportation organisée des homosexuels en France, que faisait-il d’autre que d’exprimer une vérité ? Celle-ci ne lui en a pas moins valu la réprobation générale et l’excommunication majeure de l’UMP.

Provocatrice, et même révoltante, l’opinion exprimée il y a six ans par Jean-Marie Le Pen, suivant laquelle l’Occupation allemande n’a pas été particulièrement inhumaine, justifiait-elle une condamnation à trois mois de prison (avec sursis) et à dix mille euros d’amende ? On peut en douter, surtout si l’on met par exemple en regard des violences et des crimes perpétrés par l’occupant allemand en France entre 1940 et 1944 le nombre des Algériens arrêtés, torturés et tués sous l’égide de la République française entre 1954  et 1962. Les balances de notre justice auraient-elles deux poids et deux mesures ?

Il existe pourtant un texte, et pas n’importe lequel, puisqu’il est à la base de notre Constitution, qui affirme que "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi". La Déclaration des droits de l’homme de 1789 n’est-elle qu’un vœu pieux, une formule creuse alors que "les cas déterminés par la loi" ne cessent de se multiplier et que la pression des lobbies communautaristes, religieux, politiques, intellectuels ne cesse de s’accroître. Quelle incapacité croissante à débattre sereinement, quelle trouble nostalgie de la censure, que de coups portés à la tolérance, au pays d’Anatole France que de fanatiques, au pays des Lumières que d’éteignoirs ! Voltaire, réveille-toi, ils vont nous rendre fous !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !