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Non, la Russie et la Syrie ne projettent pas d'orchestrer une vague d'attaques sexuelles par des migrants pour déstabiliser l'Europe occidentale
©Reuters

Guerre de l'information

Entre la désinformation, la propagande, ou la faute professionnelle, il n'est pas toujours évident de reconnaître une fausse information.

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Mercredi dernier, le site du Daily Mail affirmait que les services secrets russes et syriens prévoyaient d'encourager les migrants arrivés en Allemagne à commettre des agressions sexuelles dans le pays en vue de déstabiliser Angela Merkel, qui brigue un quatrième mandat, citant les propos d'un expert russe de l'ECFR (Conseil européen des relations internationales), Gustav Gressel. Contacté, celui-ci dément et affirme que ses propos ont été sortis de leur contexte, l'ECFR précisant que l'interview donnée par Gustav Gressel à un journal allemand a été reprise, de manière déformée, par le site Bretibart News, puis par le Daily Mail. Dans quelle mesure la désinformation peut-elle participer d'une stratégie d'ingérence ? 

Romain MielcarekTout d’abord, il faut veiller à distinguer tout un tas de notions qu’on peut mélanger, mais qui ont un sens précis et qui ne veulent pas dire la même chose : la propagande, la désinformation, voire les erreurs professionnelles. Il existe toute une littérature sur le sujet pour saisir ces différences.

La désinformation étant un processus intentionnel avec une volonté stratégique derrière, je pense que nous sommes là davantage en présence d’une faute professionnelle. Si l’on regarde le profil et la production du journaliste du  Daily Mail qui a écrit ce papier, nous sommes face à quelqu’un qui n’a pas une grande expérience de ce genre de sujet. Il s’agit là d’un article où la personne dit,  pour schématiser, qu’elle a lu que quelqu’un disait ça sur un autre média, sans qu’il y ait eu un réel travail d’investigation. On est sur la petite revue de presse de mauvaise qualité, comme on en trouve aujourd’hui sur tous les sites d’information. Il peut aussi y avoir des erreurs de traduction, d’interprétation, et une volonté surement d’enjoliver un peu l’histoire, ce qui fait que l’information, au final, est de mauvaise qualité. Or cette mauvaise qualité peut avoir des conséquences politiques et géopolitiques, suivant le principe du téléphone arabe. Il est regrettable de constater que les médias diffusent aujourd’hui de la mauvaise information de mauvaise qualité. 

Face à ce cas particulier, peut-on dire que les craintes exprimées par Angela Merkel d'une ingérence -quelle qu'en soit la forme-  de la Russie dans les prochaines élections allemandes, sont bel et bien fondées ? Quelle menace peut représenter cette politique de désinformation sur ces élections, et sur les autres à venir en Europe (notamment en France) ? 

Plusieurs problématiques sont soulevées par cet article, notamment une problématique stratégique visant à savoir si les Syriens et leurs alliés ont facilité des mouvements de population de réfugiés afin de déstabiliser  un certain nombre de pays. D’un point de vue factuel,  personne n’a été en mesure de  fournir des preuves de  cela, aucun témoin de  type  policiers, douaniers ou militaires syriens n’a affirmé avoir reçu l’ordre de  faire cela. En revanche,  un certain nombre d’analyses disent , qu’au vu de  la manière dont on a laissé passer les gens, dont l’armée syrienne s’est positionnée, et de  la façon dont on  a pu faire en sorte que les gens fuient dans  telle ou telle direction, il est possible de  penser qu’il y a une volonté d’instrumentaliser les flux de  réfugiés syriens à destination de  l’Europe. Mais cela reste des analyses.

L’autre  problématique abordée  ici est celle de l’ingérence informationnelle qui concerne davantage les Russes, les Syriens n’ayant pas les moyens de  le faire : est-ce que les Russes font en sorte d’influencer les croyances et les flux d‘informations dans le cadre des élections en Europe ? Pour la quasi-totalité des pouvoirs européens, la réponse est oui. Il y a aujourd’hui une volonté du pourvoir russe de soutenir des partis politiques, de diffuser  un certain nombre d’informations, et de mettre en place des médias que l’UE qualifie de propagande, et qui essayent de convaincre les populations européennes qu’elles sont d’une part mal informées par les médias de  leur pays à elles, et que certaines problématiques doivent être abordées d’une certaine manière, comme cela peut être le cas avec les migrants, qualifiés de  menace par ce type de médias. Autre exemple : ces derniers peuvent affirmer que les valeurs de  la famille et de  la patrie ne sont plus valorisées en Europe, ce qui invite à se poser des questions, etc. On constate ce type de situation en France et en Allemagne, mais surtout dans les pays d’Europe de l’Est où cela est davantage marqué que chez nous. Mais si vous regardez le paysage politique et médiatique en France et en Allemagne, vous voyez émerger un certain nombre d’amitiés et de réseaux humains, de sympathies politiques mettant en lumière des  affinités  avec le pouvoir russe, ainsi que la  remontée d’un certain nombre d’idées politiques soulevant certaines questions : pourquoi est-ce qu’on voit émerger des églises orthodoxes en France ? Pourquoi est-ce qu’un certain  nombre de gens puissants disposent de réseaux d’influence à Moscou plutôt qu’ailleurs ? 

Parallèlement à l'affaiblissement potentiel d'un pouvoir politique, cela ne risque-t-il pas d'aggraver la crise de confiance de l'opinion publique envers les médias ? Quelle(s) conséquence(s) cela peut-il avoir à terme ?

Quand on met en place une stratégie d’influence à cette échelle, on part avant tout d’un terreau. Dans le cas de la Russie, une partie de ce terreau, c’est la méfiance de l’opinion vis-à-vis de  ses médias, de sa classe politique, de ses institutions. Pour exploiter cette  méfiance, ils proposent un récit alternatif, des sources d’informations différentes,  d’autres solutions à des gens qui ont le sentiment de ne pas trouver ce à quoi ils ont droit. Quand on a en France ou en Allemagne des médias faibles d’un point de vue qualitatif et professionnel, cela offre une opportunité pour certains acteurs qui recherchent une influence, situation qu’essaye d’exploiter la Russie en France et en Allemagne. 

Concernant la question de la méfiance de  l’opinion vis-à-vis des médias, il peut y avoir trois hypothèses. La première, c'est que la perte de confiance en nos médias nationaux pousse les opinions à se tourner vers une source d'information alternative, comme les médias d'influence russe, et qu'elles finissent par les écouter. La seconde, c'est que les opinions écoutent ces médias russes et en sortent convaincues que finalement, leurs propres médias nationaux sont plus équilibrés. La troisième, c'est que les opinions estiment que ni l'une, ni l'autre de ces solutions n'est bonne pour elles et qu'elles se retrouvent sans aucun moyen de s'informer. Je reste pour ma part convaincu qu'avec un peu de sélectivité, on peut trouver de l'information de qualité auprès de médias français.

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