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Depuis plus de 30 ans, le risque de la Dépakine est connu mais silence radio des neurologues dans cette dramatique affaire, où Irène Frachon manque cruellement
©Reuters

Bonnes feuilles

Des dépenses de 1,2 à 2 fois supérieures à celles des autres grands pays, soit 10 à 15 milliards d’euros jetés par les fenêtres, sans bénéfice pour la santé et aux dépens des véritables priorités : hôpitaux, infirmières, handicaps physiques et mentaux, vieillesse. Ce guide s’adresse d’abord aux malades, à leurs familles et aux praticiens, qui, bien plus que les spécialistes, sont le cœur de la médecine, pour faciliter le dialogue et les éclairer sur l’efficacité et les risques des médicaments. Extrait de "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des Pr Philippe Even et Bernard Debré, aux éditions du Cherche Midi (2/2).

Philippe Even

Philippe Even

Philippe Even est professeur émérite et ancien vice-président de l'université de Paris-5, ancien doyen de la faculté de médecine Necker et ancien président de l'institut Necker.

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Bernard Debré

Bernard Debré

Bernard Debré, né le 30 septembre 1944 à Toulouse, est un urologue et homme politique français. Il est député de 1986 à 1994 et de 2004 à nos jours (4e circonscription de Paris), et a été ministre et maire d'Amboise. Il est le fils de Michel Debré, frère (faux-jumeau) de Jean-Louis Debré et le petit-fils du célèbre pédiatre Robert Debré.

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LA DÉPAKINE, L’AUTRE MEDIATOR

L’autre Mediator, mais moins médiatisé.

Une grande molécule, efficace dans presque toutes les formes d’épilepsie, par voie veineuse en urgence (Dépakine) ou par voie orale en continu (Dépakote). Mais il y en a 7 autres aussi efficaces. La neurologie se tait. Comme elle s’est toujours tue. Depuis plus de 30 ans le risque tératogène de la Dépakine (valproate) est connu mais, comme souvent, sans être pris en compte. Irène Frachon manque cruellement, dans cette dramatique affaire révélée par Le Parisien puis Le Canard enchaîné en août 2016, alors que le Lancet britannique l’avait détaillée sur une pleine page le 19 mars, 5 mois avant.

Non seulement silence radio des neurologues, mais on ne dit guère non plus que la Dépakine est beaucoup plus utilisée comme neuroleptique en psychiatrie que dans l’épilepsie, pour le traitement des manies aiguës ou des syndromes bipolaires, alors que les femmes qui en souffrent sont tout aussi souvent enceintes que les épileptiques, mais là aussi, la psychiatrie se tait.

Depuis 1983, certains de ses risques neurologiques sont pourtant identifiés et des cas de malformations nerveuses signalés par Sanofi, et surtout dans les rapports de pharmacovigilance (1997 et 2001).

En 2006, Alison Park, à l’université Colombia de New York, revoit plus de 50 études et rapporte dans la revue Nature : 

  • d’une part, 6 % de malformations chez les nouveau-nés de mères sous Dépakine, avec 5 % d’anomalies de fermeture du tube neural et 7 à 15 fois plus de déformations faciales, de craniosténoses et de fentes palatines qu’avec les autres antiépileptiques. Plus des malformations cardiaques, uro-génitales et des membres ;
  • et d’autre part, de sérieux troubles du développement intellectuel avec réduction du QI, troubles de l’expression verbale, retard scolaire, troubles du comportement et parfois autisme observés non seulement chez 30 à 40 % des plus jeunes, mais tout autant chez les plus de 10 à 15 ans, donc non réversibles. Là encore, 3 à 5 fois plus fréquemment avec la Dépakine qu’avec tout autre antiépileptique. Et pour les enfants de mères sous traitement psychiatrique. Mais on dira que ces troubles des enfants sont génétiques et confirment bien la pathologie psychiatrique de leur mère... 

De son côté, après enquête, l’Agence européenne des médicaments chiffre les malformations à 11 % et les troubles neurologiques à 30 ou 40 %.

Des risques qui n’ont été communiqués aux médecins et aux patients qu’en 2006 et sur la pointe des pieds. Le Vidal et la fiche RCP de la Dépakine minimisent les faits : 11 colonnes de texte, 3 sur les effets secondaires, essentiellement hépatiques, mais une présentation rassurante des risques tératogènes sur le développement et le fonctionnement cérébral, présentés comme à peine plus élevés que dans la population générale et sans déficit neurologique majeur, sans réduction du QI, mais seulement parfois la nécessité d’un soutien orthophoniste (!). Tout cela ne conduisant à aucune contre-indication de la Dépakine en cas de grossesse mais seulement à des conseils de prudence en donnant les doses les plus faibles possible – alors qu’il existe 7 autres familles de molécules aussi actives et à risque plus faible. Donc, tout va bien madame la marquise.

Et c’est pareil aux États-Unis, où le grand traité de pharmacologie de Goodman et Gilman, référence mondiale depuis 30 ans, consacre 200 lignes à la Dépakine mais seulement une ligne aux risques tératogènes !

Fort heureusement, les associations de parents de malades se mobilisent et le silence n’est plus tenable.

Marisol Touraine s’efforce d’éviter toute question sur le sujet et botte en touche en annonçant la création d’un de ces comités Théodule internes, juge et partie, avec des experts de l’IGAS ou de l’ANSM pour juger de l’inertie de l’ANSM. Bouclé en mai 2016, leur rapport est aussitôt réclamé par les familles, mais il ne sera pourtant publié qu’en août, au milieu des vacances, par discrétion.

Mais même en août, toute la presse s’en empare. Il est accablant pour les neurologues, l’ANSM, la HAS, pour Sanofi et évidemment pour les ministres de la Santé.

Selon ce rapport, sur 8 ans, de 2007 à 2014, sur plus de 8 millions de grossesses en France, 14 000 étaient sous Dépakine. Il en a résulté seulement 8 700  naissances, soit 40 % d’avortements spontanés ou d’enfants mort-nés. À  cela s’ajoutent 10 % de malformations, soit 900 (ou 110 par an), et 40 % de troubles neurologiques (3 500 sur la période mentionnée, soit 450 par an). Et le rapport ne dit pas un mot des accidents dans l’usage psychiatrique de la Dépakine.

C’est là seulement le sommet de l’iceberg, puisque la Dépakine est utilisée depuis 50 ans. Catherine Hill, la grande statisticienne qui avait déjà aidé Irène Frachon à chiffrer et authentifier les 2 000 morts du Mediator – là où Jacques Servier n’en comptait que 3 –, reprend le dossier Dépakine depuis les premières alertes de 1983, il y a 33 ans. Et sur cette période, ce sont 50 000 grossesses-Dépakine, donnant seulement 30 000 naissances, et donc 3 000 malformations et 12 000 troubles neurologiques.

Sans les associations de familles qui ont porté plainte et demandent à être indemnisées, on ne saurait rien de plus, mais maintenant une enquête judiciaire est ouverte. Elle nécessitera des années, mais elle fera la lumière sur les responsabilités.

Quant à Sanofi, il fait le gros dos. Le laboratoire nie ses responsabilités, lesquelles sont éclatantes quand on lit le RCP ou le Vidal, mais il n’envisage aucun dédommagement des victimes, alors qu’il a encaissé un demi-milliard avec la Dépakine.

C’est alors que, croyant bien faire comme d’habitude, Gérard Bapt, député socialiste et membre du conseil d’administration de l’ANSM, et quatre autres députés socialistes proposent de créer un impôt de plus en taxant tous les autres médicaments, donc tous les Français pour indemniser les familles à la place de Sanofi.

Le Mediator, ç’aura été au moins 2 000 morts et 5 000 complications cardiaques en 35 ans. La Dépakine, c’est 15 000 avortements spontanés ou enfants mort-nés, plus des milliers d’enfants malformés ou souffrant de déficits neurologiques, physiques ou mentaux, les handicapant pour toute l’enfance et toute la vie. Vive nos agences du médicament et nos experts inexperts qui ne veulent pas comprendre qu’un accident sur 10 000 n’est pas rassurant, car c’est 100 accidents par an, graves ou mortels, si 1 million de patients sont traités ! Et on atteint 1 000 si le taux d’accidents est, toujours en apparence faible, de 1 pour 1 000. La pharmacovigilance n’a pas, dans ce pays, la place qu’exigent les risques de tous les médicaments. Et Catherine Hill ne mâche pas ses mots en écrivant : « En France, la pharmacovigilance n’existe pas. » Tant que les choses ne changeront pas, il y aura des Vioxx, des Mediator, des Diane 35, des Dépakine, comme il y a eu avant des Distilbène, des sels de Bismuth, des Thalidomide, des hormones de croissance, etc. Deux par quinquennat.

Extrait de Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des Pr Philippe Even et Bernard Debré, publié aux éditions du Cherche MidiPour acheter ce livre, cliquez ici

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