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Pour en finir avec les mots qui tuent : "vivre ensemble", "diversité", "jeunes", "citoyen"…
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Mettez-vous ça bien dans la tête

Comme on fait son lit, on se couche, dit le proverbe. Comme on parle, on se couche aussi.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Dans un bureau de poste, il y a un guichet marqué "Banque postale". Vous vous approchez et vous voyez une affiche de propagande (c'est le mot) vantant les mérites de cette banque supérieure à toutes les autres. "Banque postale : énergie citoyenne depuis 10 ans" ! Et là, votre cœur se réjouit. Non, vous n'êtes pas un vulgaire et quelconque client. Vous êtes un citoyen et ouvrir un compte à ce guichet fait de vous un membre privilégié de la belle et généreuse fraternité des "citoyens". Votre chéquier vous donne un droit d'entrée aux "luttes citoyennes", aux "entreprises citoyennes", à la "finance citoyenne" vierge de toute corruption ultralibérale.

La connerie, qui n'est pas un mot "citoyen", triomphe avec insolence. Elle s'impose avec les armes les plus redoutables qui soient : les mots. Dans un de ses plus beaux livres, Le journal d'un philologue, Victor Klemperer qui survécut au nazisme, écrit ce qui suit. "Les mots peuvent être comme des minuscules doses d'arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu'après quelques temps, l'effet toxique se fait sentir". C'est pourquoi, dit Klemperer, "on devrait mettre beaucoup de mots en usage chez les nazis, pour longtemps, et certains pour toujours, dans la fosse commune".

Nous sommes en 2016 en France, pas en Allemagne en 1933. Mais avec la même méthodologie, tout en douceur il est vrai, on a infusé de l'arsenic dans notre langue. Un travail patient et méthodique consistant à ne plus nommer les choses pour, magie de la bien-pensance, les faire disparaître. Ça a commencé gentiment, de façon anodine, sans aucune apparente charge politique. Les aveugles sont devenus des "malvoyants". Ça les a aidés à mieux voir ? Les sourds ont été transformés en "malentendants". Ça leur a permis de mieux entendre ?

Bien entendu, la démarche était – sa tenue de camouflage ne trompait personne – hautement idéologique. Il fallait que le monde, la France en ce qui nous concerne, soit décrit comme un merveilleux jardin fleuri. On faisait disparaître les chardons en les baptisant rosiers… On éliminait les orties devenues magiquement des violettes… Ainsi sont venus les mots. Lourds. Écrasants. Les mots éteignoirs. Les mots cercueils. Les mots dont la seule raison était d'empêcher de penser, de critiquer, de se révolter.

On nous a sommé, on nous somme, de nous prosterner devant une idole nommée le "vivre ensemble". Ah ça oui, on vit ensemble ! Les gardiens de la prison de Fleury-Mérogis et leurs détenus "vivent ensemble", non ? Ceux qui voient leur voiture brûler à la Saint-Sylvestre et ceux, leurs voisins, qui les brûlent, "vivent aussi ensemble", non ? Et le buraliste qui a tué un cambrioleur entré nuitamment chez lui a été condamné à dix ans de détention pour avoir refusé de "vivre ensemble" avec son agresseur…

La France a ainsi été transformée en une plaine verdoyante où poussent les fleurs parfumées de la "diversité". Pas de Juifs, pas d'Arabes, pas de Jaunes, pas de Noirs. Rien que de la "diversité" à la place de ces gros mots. Est-ce que j'ai une gueule de diversité, moi ? Un autre mot encore plus séduisant, encore plus incantatoire a surgi : "jeunes". Il fut un temps (quand on parlait encore un français non encore empoisonné à l'arsenic) où "jeunes" désignait une tranche d'âge et quelqu'un qui n'était pas vieux. Ce sens, premier et logique, a été balayé sans pitié.

"Jeunes", a servi à désigner les habitants (de préférence adolescents) des cités. "Jeunes" a agi comme un baume bienfaisant posé sur l'égo de ceux que d'aucuns avaient tendance à appeler "voyous", "délinquants", "racailles". Et les "jeunes" ont dû se sentir fiers et heureux d'être traités aussi respectueusement et de ne pas être stigmatisés.

Voilà ce que depuis des années on nous fait avec des mots. Une guerre destinée à asservir les âmes et à lobotomiser la pensée. Ces mots-là, reprenons la phrase de Klemperer, devraient être enfouis dans une fosse commune. Mais on peut aussi se contenter d'une poubelle.

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