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Amazon est-il en train d'accoucher d'un monde sans caissières ?
©Reuters

Test en cours

Amazon teste à Seattle un commerce d'un nouveau genre : une épicerie ou les clients entrent, prennent les articles dont ils ont besoin et repartent. Le système de paiement se fait via une application téléchargée sur leur smartphone. Une petite révolution dans le domaine de la grande distribution.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Amazon voudrait lancer des épiceries en début d'année prochaine ou le client pourrait s'identifier via son smartphone, prendre les articles dont il a besoin et s'en aller, son achat étant effectué via l'application mobile. Une expérimentation est en cours à Seattle. En quoi cela pourrait-il changer l'expérience du client ?

Christophe Benavent L'expérimentation d'Amazon Go va plus loin que l'absence de caissiers, désormais la plupart des chaînes de distribution ont introduit cela dans leurs magasins. La nouveauté est que le consommateur n'est même plus son propre caissier. C'est à mon sens une belle expérimentation de l'informatique ambiante. Pour le consommateur, un tel environnement revient à s'affranchir de tous ces gestes agaçants qui encombrent l'acte d'achat pour ne garder que le pur geste de la consommation : prendre un produit en rayon et le mettre dans le sac. Tout le reste est caché, crypté. Transparent est-on tenté de dire, mais non car justement, c'est le problème de cette approche, des calculs s'opèrent sans que l'on puisse les voir ou les deviner. 

Du point de vue de l'expérience de la consommation, on peut s'attendre à une consommation moins douloureuse : le paiement devient abstrait, et aussi évident qu'appuyer sur le bouton one-click. Ce que fait Amazon semble être d'étendre l'expérience digitale dans le champ physique. Consommer, c'est juste attraper et partir. On est dans le sans couture. Dans une utopie, à moins que ce ne soit une dystopie, de la réalisation du désir à la demande. C'est le même esprit qu'il y a dans les boutons de commande de Dash, dans la commande vocale Echo et le bien vieux one-click : supprimer tous les efforts que doit faire le consommateur pour consommer, enlever tous les obstacles qui peuvent stopper le processus d'achat, supprimer toute friction avec de l'huile numérique.

A revers, c'est une expérience qui demande à ce que le consommateur s'abandonne à la machine, lui fasse totalement confiance, car cela suppose une interaction permanente entre les rayonnages, les balises et le mobile du consommateur, des calculs de microlocalisation, une surveillance du moindre geste et toutes les interactions avec le compte bancaire. Je suis curieux de connaître ce que les consommateurs qui vont expérimenter ce dispositif vont en penser. L'abandon total à la machine est-il si peu douloureux qu'on l'imagine ?

Quel serait l'impact économique de cette innovation ?

C'est bien difficile à établir. L'expérience doit d'abord être menée à son terme. Mais deux choses me frappent.

La première, c'est qu'un tel concept semble aller à merveille avec une évolution des centres commerciaux qui se situent de plus en plus souvent sur les nœuds d'interconnexion urbains (gares, stations de métro, etc.) et correspond bien à une sorte de geste d'achat à la volée. On imagine sans peine que dans ce type de boutique, les murs ne soient plus nécessaires, des grilles digitales et invisibles ayant été dressées. On passe, on attrape et on part. C'est d'une certaine manière une façon de faire disparaître l'espace, ou mieux : de transformer tout espace en centre commercial !

La seconde, c'est qu'en imaginant que le concept et ses technologies fonctionnent, on peut parfaitement imaginer que loin d'encourager Amazon à se normaliser en ouvrant des boutiques physiques comme on l'annonce régulièrement, il y a le potentiel pour généraliser un modèle de marketplace, amazon.com fournissant ses technologies et sa logistique et faisant payer leur usage aux commerçants qui les adopteraient. Ces derniers seraient amenés à acheter les produits, à les mettre en rayon, mais payeraient une commission pour le paiement et l'infrastructure. C'est déjà le cas pour 2 millions de vendeurs sur Amazon ! N'oublions pas que la partie profitable d'Amazon, c'est le cloud !

Est-ce que cette boutique nouvelle génération sans caissier pourrait revaloriser les autres points de vente traditionnels avec de vrais vendeurs ?

Je suis sceptique. Une histoire un peu longue de la distribution, c'est le triomphe du libre service. Quoi qu'en disent ceux qui voient dans le conseil, l'humain, la relation, une manière de contrer le mouvement initié il y a des décennies par les modèles de libre service, l'innovation dans le commerce consiste à réduire toujours plus les coûts de distribution en réduisant les forces de ventes ou du moins en les rendant plus productives. Finalement, ce modèle est une forme d'apogée d'un mouvement commencé il y a plus de cent ans, et qui vise à mettre le consommateur directement en contact avec le produit. C'est un libre service absolu. 

Ceci dit, la roue du commerce tourne, et pour les vieux modèles vers le haut. Pour justifier des prix plus élevés, le service est effectivement une nécessité : groom et voiturier... C'est un autre commerce, pour une minorité de consommateurs aisés, qui peut supporter des marges élevées et donc payer les agents humains. De ce point de vue, il y a peu d'innovation, juste une évolution très traditionnelle. Seuls les moyens changent.

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