Pourquoi la relocalisation d'Apple aux Etats-Unis n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les salariés américains (quelques enseignements à tirer, M. Montebourg ?)<!-- --> | Atlantico.fr
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Cela montre l’intention de Foxconn d’investir aux Etats-Unis, notamment pour monter une usine d’assemblage des produits d’Apple. Foxconn est une entreprise taiwanaise de composants électroniques et d’assemblages, dont l'un des plus gros clients est Apple.
Cela montre l’intention de Foxconn d’investir aux Etats-Unis, notamment pour monter une usine d’assemblage des produits d’Apple. Foxconn est une entreprise taiwanaise de composants électroniques et d’assemblages, dont l'un des plus gros clients est Apple.
©Reuters

Mondialisation

Depuis plusieurs semaines, Donald Trump multiplie les messages à l'adresse des entreprises américaines, en vue de relocaliser leurs facteurs de production aux Etats-Unis. Des relocalisations qui, si elles ont lieu, sont principalement motivées par des incitations fiscales.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Foxconn Technology Group, l'entreprise établie en Chine afin d'assembler les produits Apple, envisagerait une relocalisation de ses activités aux Etats-Unis. Comment interpréter ces relocalisations des facteurs de production dans les pays industrialisés ? 

Sarah Guillou Il y a plusieurs éléments d’interprétation. Il s’agit avant tout de l’expression de l’intention de Foxconn d’investir aux Etats-Unis, notamment pour monter une usine d’assemblage des produits d’Apple. Foxconn est une entreprise taiwanaise de composants électroniques et d’assemblages, dont l'un des plus gros clients est Apple. Elle possède déjà des unités de production aux Etats-Unis. Ce n’est pas a priori une relocalisation d’activités car l’entreprise n’envisage pas parallèlement de "désinvestir" à Taïwan. Si l’entreprise décide d’investir aux Etats-Unis, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire. Parmi ces raisons, les anticipations sur la croissance du marché américain, les obstacles à l’échange que menacent d’instaurer Donald Trump et les pressions de son donneur d’ordre (Apple) peuvent jouer. Mais il ne suffit pas de professer des menaces de fermeture pour susciter des entrées d’investissement. Si Foxconn investit, ce sera pour servir le marché américain. Comme les coûts de production y sont plus élevés, cela implique trois stratégies possibles non exclusives l’une de l’autre. L’entreprise réduit ses marges (ainsi qu’Apple) pour ne pas voir se réduire sa part de marché : Foxconn et Apple acceptent cette réduction des marges pour contrecarrer l’impact négatif sur les ventes de l’opprobre jeté par Donald Trump sur l’entreprise en raison de son externalisation massive à l’étranger. La deuxième stratégie est une augmentation des prix des produits sur le marché américain : les consommateurs financent les quelques emplois créés. Troisième stratégie : l’entreprise entreprend des procédés de production différents, notamment avec une automatisation intensive qui réduit le coût du travail pendant qu’elle réduit aussi les coûts logistiques pour servir le marché américain. Donc au final, la décision de l’entreprise Foxconn, si elle se confirme, relève d’une rationalité économique assez classique. L’effet Trump s’en mêle, dans la mesure où il met Apple en demeure de se justifier sur sa stratégie de localisation. Mais attention : si la communication de Trump met en péril la santé financière de l’entreprise (certes, elle a de la marge), alors il met en péril l’économie américaine. Sa communication lui rapporte des voix, mais c'est une voie risquée et à terme sans issue.

Quel pourrait être, à terme, l'impact de ces relocalisations sur le processus de mondialisation tel que nous le connaissons ? Pourraient-elle constituer une solution aux inégalités, au déclassement de certaines catégories sociales dont est accusée la mondialisation ?

En effet, se pose la question de savoir si cette décision d’investissement va augmenter le bien-être des citoyens américains, c’est-à-dire leur revenu. L’investissement va-t-il créer des emplois ? Certainement quelques emplois, mais compte tenu du coût du travail plus élevé, Foxconn sera très incité à automatiser au maximum sa production. Parallèlement, s’il y a augmentation des prix, cela réduira le pouvoir d’achat des consommateurs. Enfin, si l’investissement se fait en échange de dépense fiscale (baisse des impôts, aides à l’investissement, aides financières), alors le coût pour les finances publiques se traduira par des dépenses présentes ou futures diminuées. Donc au final, l’investissement devrait d’abord profiter à l’entreprise. Rappelons qu’il n’est pas dans la nature des entreprises de transférer leurs profits vers les consommateurs. L’investissement privé dans un pays, qu’il s’agisse du pays d’origine ou d’une nouvelle destination, est toujours conditionné à la promesse de revenus futurs.

Certains argumentent que des mesures protectionnistes sont une voie de localisation des sites de production sur les lieux de consommation (afin d’éviter les barrières) et donc de récupération d’activités qui avaient été externalisées. Mais l’argument est porteur de plusieurs erreurs. D’une part, il sous-estime le gain de l’externalisation : renoncer à ces gains se traduira par des prix plus élevés, de moindres profits et donc de moindres investissements futurs. D’autre part, il oublie que les activités technologiques ont besoin de l’accès au marché mondial pour amortir les importants coûts fixes de R&D. Si on réduit cet accès, on réduit la capacité des nouvelles technologies à se développer. Seuls survivront les géants. Enfin, il sous-estime les effets de représailles sur des produits que le pays ne produit pas et dont il ne pourra pas s’improviser producteur. Les prix augmenteront en conséquence des barrières. Il faut rappeler que le protectionnisme protège les géants et les plus riches. Et s’il sauvegarde des emplois non qualifiés un peu plus longtemps, il les maintient dans leur "non-qualification". Surtout, il entrave le développement de la classe moyenne tant des consommateurs que des entreprises. On ne réduira pas les inégalités par du protectionnisme, on figera la société et l’économie.

Ce phénomène de relocalisation des entreprises est-il également observable en France ? Est-ce un phénomène qui pourrait s'accentuer, à l'avenir, notamment à l'issue de la présidentielle de 2017 ?

En France, la dynamique n’est, pour le moment, absolument pas comparable à celle qui se dessine aux Etats-Unis. De plus, la logique qui sous-tend ces entrées d’investissement repose sur les mêmes ressorts économiques énoncés plus hauts. Or, l’atonie de la croissance française et européenne ne devrait pas être compensée par des mécanismes incitatifs ou répressifs tels que ceux annoncés par Donald Trump.

Cependant, le protectionnisme est une voie réclamée par de nombreux candidats à la présidentielle de 2017. Pareillement, il est avancé comme un moyen de défaire les effets négatifs de la globalisation sur les travailleurs non qualifiés. Le raisonnement souffre des mêmes erreurs. Le protectionnisme n’est pas la solution aux effets inégalitaires de la globalisation. S’y ajoute l’incompréhension de l’appartenance à l’Union européenne. L’insertion européenne, d’une part, conditionne les politiques commerciales, et d’autre part, inscrit la dynamique des échanges dans une autre perspective. Rappelons que la France a perdu des parts de marché dans de nombreux secteurs au profit des autres pays européens et non au profit des pays émergents.

Ceci étant dit, un phénomène de réajustement de la production aux lieux de consommation est possible, non pas en réponse aux menaces protectionnistes, mais en raison de la digitalisation de la production et de la montée de la robotisation qui tend à atténuer l’importance du coût du travail dans les coûts de production. Cette "relocalisation" sera pérenne si elle est le fruit d’une logique économique pour l’entreprise et non le résultat seulement d’une contrainte d’Etat.

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