Draghi réduit les injections de liquidité : mais au fait, si la zone euro se disloquait demain, quel scénario de sortie pour la France (et pour l’Europe) ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Si les populations sont déjà récalcitrantes aujourd'hui à l'idée de sauver les banques, il faut se rendre compte que la sauvegarde du secteur financier de chacun des pays sera quand même la première des priorités.
Si les populations sont déjà récalcitrantes aujourd'hui à l'idée de sauver les banques, il faut se rendre compte que la sauvegarde du secteur financier de chacun des pays sera quand même la première des priorités.
©Reuters

BCE et Quantitative easing

Si le lien entre le résultat du référendum italien et la dislocation de la zone euro semble fragile, le contexte européen est suffisamment préoccupant pour que le scénario d'une implosion de l'euro soit envisagé, et que des réponses fortes et immédiates soient avancées.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Le résultat du référendum italien a relancé les craintes de voir la zone euro se disloquer. Qu'adviendrait-il concrètement si cette dislocation venait à se produire, à l'échelle européenne, mais également à l'échelle de la France ? 

Nicolas Goetzmann : Le lien entre référendum italien et dislocation de l'euro semble encore un peu fragile, car il suppose, après la démission de Matteo Renzi, que des élections anticipées voient le jour, alors que cette idée n'est soutenue que par la Ligue du Nord et le mouvement 5 étoiles. L'issue la plus probable reste encore celle d'un gouvernement "technique" qui irait au terme de la législature actuelle, soit février 2018. Mais ce qui est certain, c'est que le contexte est suffisamment dangereux pour le prendre au sérieux, et envisager une réaction forte et immédiate. Pour rappel, l'Italie a connu une croissance de PIB par habitant de 0.2% sur les 20 dernières années (au total…), le résultat est pire que la Grèce, il ne faut pas trop s'étonner. De plus, l'année 2017 promet d'être rude sur le futur de la zone euro, car au-delà des élections françaises, l'année électorale allemande pourrait avoir un rôle de durcissement des positions de Berlin, entre rigueur et plus de rigueur encore. Le fossé qui sépare le nord et le sud pourrait ainsi continuer de se creuser, et des risques réels de découragement, alors que ceux-ci sont déjà largement ancrés, pourraient se renforcer. 

En imaginant le cas réel d'une dislocation de la zone euro, en réalité, tout dépendrait de l'alternative. L'Euro dépend de la Banque centrale européenne, qui est considérée comme crédible (au moins en partie) par les marchés financiers. La question à se poser est donc celle de la crédibilité des 19 nouvelles banques centrales qui verraient le jour en cas d'explosion de la zone euro. Or, il est déjà compliqué de trouver un banquier central compétent et suffisamment reconnu par les marchés pour crédibiliser une institution, il va donc être compliqué d'en trouver 19. Pour schématiser grossièrement, une fin de l'euro conduirait à la nécessité de mettre en place, en un week end et pour chaque pays, un discours crédible et cohérent de politique monétaire, l'ouverture de guichets de liquidités pour faire face à une crise financière qui serait immédiate, ce qui conduirait sans aucun doute à des plans de sauvetage bancaires financés, au moins en partie, par les contribuables. 

Ensuite, concernant le volet économique, les situations sont disparates au sein de l'ensemble. L'Allemagne dépend énormément de la zone euro pour sa croissance, parce qu'elle profite, pour ses exportations, d'un euro faible comparativement à ce que serait un nouveau Deutsche Mark, la "compétitivité" du pays en prendrait un sérieux coup. Les dévaluations relatives de la France, de l'Espagne, de l'Italie seront un choc, notamment pour l'industrie automobile allemande. A l'inverse, ces mêmes pays seraient alors en mesure de soutenir leur demande intérieure à un niveau supérieur à ce qu'elle est aujourd'hui, une fois le choc passé. Au final, les relations commerciales intra européennes seraient totalement bouleversées. Un tel scénario "optimiste" s'appuie sur l'idée que chaque Banque centrale trouve une équipe digne de ce nom pour gérer la sortie, ce qui n'est pas aussi simple que cela. Lorsque l'on observe le cas du Brexit, il est possible de constater que le discours de la Banque d'Angleterre, présidée par Mark Carney, a été tout de suite rassurant, ce qui a largement contribué à l'absence de choc réel post-référendum. 

En revanche, une telle destruction de la zone euro conduirait à la mise en place de contrôles des changes, à de très lourdes difficultés juridiques, avec des négociations qui pourraient traîner sur une décennie, aussi bien entre les États qu'entre les entreprises, à des pertes sur le potentiel de croissance de chacun des pays, et à un énorme choc financier, puisque l'intégration financière européenne est bien avancée. Il suffit de voir ce qui arrive aux banques italiennes aujourd'hui pour se rendre compte du risque encouru. Les tensions interétatiques, si ce n'est les conflits, auront également leur place, puisque les endettements respectifs de chacun des États sont totalement imbriqués au travers du secteur bancaire. 

Parce que le scénario le plus probable est d'abord celui d'une crise financière majeure. Encore une fois, la finance est le secteur le plus intégré, une dislocation aurait donc de lourdes conséquences sur les banques. Si une banque française détient des actifs importants dans des pays qui dévaluent fortement leur monnaie, comparativement à la France, les pertes seront élevées, et la banque en question pourrait très rapidement se trouver en position difficile, d'autant plus que les marchés financiers ne la rateront pas. Les populations chercheront à retirer leurs fonds dans les pays les plus vulnérables. Il suffit de regarder les effets de la crise grecque sur les banques européennes pour se rendre compte du potentiel de destruction si la sortie de la zone euro était appliquée à l'ensemble. L'État français, qui n'a pas grand à chose à gagner d'une faillite de son secteur bancaire, à moins d'accepter la faillite de toute son économie, viendra naturellement au secours de ses banques en difficulté, et le contribuable sera mis à contribution. Là encore, il suffit de constater que la solution qui se profile en Italie est celle d'un sauvetage public des banques (à la différence que ce sauvetage serait ici financé par un mécanisme européen). Il y a donc quand même mieux à faire avant d'en arriver là. 

Quelles solutions conviendrait-il de mettre en œuvre pour éviter que l'éclatement de la zone euro ne déstabilise trop fortement les États membres et les marchés ? 

Une déstabilisation semble inévitable, notamment en raison de l'intégration financière européenne déjà évoquée. Si les populations sont déjà récalcitrantes aujourd'hui à l'idée de sauver les banques, il faut se rendre compte que la sauvegarde du secteur financier de chacun des pays sera quand même la première des priorités. Il n'y a pas d'économie sans un secteur bancaire stable. Et cela aura un coût élevé, qui sera nécessairement supporté par la dépense publique.

Cependant, si la situation est intenable et que la décision de sortie est prise, le plus important, pour chaque pays, sera la sélection de l'équipe qui mènera les opérations. Un Banquier central reconnu, une politique monétaire claire et adaptée au contexte de chaque pays, tout l'enjeu est de proposer une alternative monétaire vraiment crédible. Voilà pourquoi le simple fait de brandir une sortie de l'euro n'a aucun sens, parce qu'il est tout à fait possible de faire bien pire par la suite, en menant une politique encore plus déflationniste que celle de la BCE, ou une politique inflationniste à la mode argentine. Et s'il est également possible de faire mieux que la gestion qui a été faite par la BCE, il reste quand même très peu probable de pouvoir passer au travers des goutes du problème posé par le secteur bancaire. 

Dans un pays comme la France, qui n'a pas de problème pour lever l'impôt, et qui est capable de présenter une équipe correcte pour gérer sa monnaie (en croisant les doigts), c'est surtout le problème bancaire qui se pose. Le secteur industriel, largement imbriqué au niveau européen, devra également subir ce choc, même si ce dernier pourra également profiter d'un ajustement monétaire sur le plus long terme. 

Plus largement, quelles erreurs de conception décelées dans la première version de la zone euro faudrait-il éviter dans une deuxième tentative ?

Le problème qui bloque la zone euro aujourd'hui est l'incapacité des pays membres à se mettre d'accord sur un intérêt général européen. Au début du projet, il y avait au moins une forme d'intérêt général qui se manifestait par l'équilibre des intérêts divergents, qui pouvait aboutir à un résultat acceptable pour l'ensemble. Ce n'est plus le cas aujourd’hui avec une politique monétaire qui est manifestement à l'avantage des pays du nord, et qui détruit progressivement les pays du sud. Cette politique monétaire est trop stricte, trop rigide, ce qui provoque des tensions déflationnistes au sud qui ont des conséquences analogues à ce que l'on a pu voir en 1929 pour ces pays. Au nord, par contre, tout va bien. Le problème global est que le pays le plus puissant, l'Allemagne, est dans une situation de plein emploi. Dès lors, toute poussée de la demande en Europe, qui pourrait être mise en place par la BCE, aurait pour conséquence de faire progresser les salaires en Allemagne, ce qui conduirait à la perte de sa compétitivité. En effet, dans les pays du sud, puisque le chômage est élevé, toute poussée de la demande aurait pour effet de faire baisser le chômage, la hausse des salaires ne pourra être envisagée que par la suite. Le résultat aujourd'hui est que l'intérêt général européen est opposé, en apparence du moins, à l'intérêt allemand, qui est quand même le membre le plus puissant de l'ensemble. En apparence seulement parce que l'Allemagne n'aurait pas d'intérêt à voir la zone euro exploser. Le Deutsche Mark rendrait les automobiles allemandes bien plus couteuses pour les autres pays de la zone euro, et le commerce intercommunautaire représente un tiers de ses exportations totales, soit près de 400 milliards d'euros par an. 

Dès lors, l'idée, avant d'en finir avec l'euro, serait plutôt de le rendre viable en acceptant une politique monétaire adaptée à l'intérêt général européen, c’est-à-dire une politique bien plus expansionniste qu'elle ne l'est aujourd'hui. Pour cela, il faudrait demander aux dirigeants allemands de cesser de critiquer ce que fait la BCE, parce que cela a pour conséquence de faire croire aux marchés financiers que l'Allemagne ne veut pas aller plus loin, et donc, qu'une telle politique ne pourra pas voir le jour. Ensuite, et cela est indispensable, il faudra modifier les statuts de la BCE pour lui demander de suivre un objectif de plein emploi, comme cela est le cas aux États Unis. Cela semble être une mesure artificielle, mais il s'agit du plus puissant outil de croissance existant. Une telle mesure pourrait faire de la zone euro le moteur de la croissance mondiale, parce que le retard pris est tellement important qu'il y de la place pour un rattrapage intéressant. Il faut se rendre compte que la croissance de la demande (croissance réelle + inflation), au sein de la zone euro, a été de 4% par an entre 1995 et 2008, ce chiffre a été divisé par 2 depuis 2009, et ce n'est pas parce que les Européens sont devenus des incapables, mais parce que la BCE n'a pas fait le "boulot". 

Pour en arriver là, il faut convaincre l'Allemagne. Cela ne va pas être facile, mais en réalité, je doute qu'il puisse exister une alternative. À moins d'accepter une destruction progressive des économies du sud, et la France est concernée, ou à moins d'en finir avec l'euro. Il existe une solution, ce qui est déjà bien. 

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