Le réveil, ce meilleur ennemi des collégiens et lycéens: la science le prouve, l’école oblige nos ados à se lever trop tôt pour la santé de leur cerveau <!-- --> | Atlantico.fr
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Les études montrent que les adolescents qui présentent les difficultés les plus grandes, notamment en termes de perte de contrôle de leurs propres comportements, sont ceux dont le chronotype est "tardif"les études montrent que les adolescents qui présente
Les études montrent que les adolescents qui présentent les difficultés les plus grandes, notamment en termes de perte de contrôle de leurs propres comportements, sont ceux dont le chronotype est "tardif"les études montrent que les adolescents qui présente
©Reuters

Bonne nuit les petits

Entre un début des cours tôt le matin, aussi bien au collègue qu'au lycée, et une tendance plutôt naturelle des adolescents à se coucher tard, le manque de sommeil paraît inévitable, avec des conséquences dommageables sur leur état de santé général.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico: D’après une étude du centre de sommeil de Boston, les jeunes peuvent rencontrer des problèmes de mémoire et de concentration à cause du manque de sommeil. Que nous apprend cette étude sur les conséquences du manque de sommeil chez les adolescents? 

André Nieoullon: Voilà a priori un travail que l’on pourrait, avec quelque raison, juger superflu tant le bon sens populaire associe -souvent par expérience personnelle- la qualité du sommeil avec un état de fatigue et des difficultés de concentration le lendemain! Toutefois, ces considérations sont largement empiriques et le vécu permet le constat mais ne rend pas compte de la causalité de ces troubles comportementaux. Le travail réalisé par l’équipe de Boston a pour intérêt de tenter d’analyser quels sont les éléments affectant le sommeil qui impactent le plus les comportements, en ciblant une population d’adolescents scolarisés, en quelque sorte victimes privilégiées de ce qui peut être considéré comme un phénomène social, en ce sens que ces élèves se couchent de plus en plus tard mais qu’ils sont néanmoins obligés, par le début de leurs cours le matin au collège, à continuer de se lever tôt. D’où des conséquences attendues sur leur concentration en classe, leur humeur, et leur propension à l’endormissement tout au long de la matinée. Ce que révèle l’étude est alors que le facteur qui impacte le plus les comportements de ces adolescents dans leur complexité n’est pas tant la durée effective plutôt brève de leur sommeil, mais plutôt à la fois la somnolence diurne résultant d’un sommeil troublé, et surtout la propension naturelle qu’ils ont à avoir une tendance à se coucher tard. Ceci nécessite quelques explications.

De fait, le sommeil représente un processus complexe, très structuré, et surtout régulé sur la base de ce que l’on peut nommer, sans risque d’être trop schématique, un "rythme biologique" d’environ 24h, que nous désignons par "rythme circadien". Cette rythmicité, exprimée ici sous l’angle de fluctuations de la vigilance mais qui touche de nombreux autres aspects du comportement, s’établit progressivement au cours du développement de l’individu, passant d’une dominance de phases de sommeil chez le jeune enfant à un état où le sommeil représente chez l’adulte environ un tiers du temps. Et chez les personnes âgées une certaine déstructuration du sommeil peut ensuite intervenir, qui induit toute forme de plaintes très fréquemment exprimées. L’origine de ces rythmes est dans une toute petite partie du cerveau dont il est commun de dire qu’elle "orchestre" les rythmes, et qui est souvent reconnue comme une véritable "horloge biologique", ces horloges n’agissant cependant que comme des "synchronisateurs" de signaux externes, par exemple la lumière du jour parmi bien d’autres facteurs. Ce qui est remarquable est que les changements qui interviennent dans le fonctionnement de cette horloge (ou plutôt de ces horloges car il s’en trouve de nombreuses) se traduisent par des traits de personnalité qui font, par exemple, que certains d’entre nous sommes de "gros dormeurs" alors que d’autres dorment peu, ou encore que nous avons une propension à nous coucher plutôt de bonne heure, relativement, ou au contraire très tard.Ces traits de personnalité déterminent des caractéristiques propres à chaque individu, que l’on désigne par la notion de chronotype. Parmi les éléments qui influencent le chronotype (biologique), le comportement social et les contraintes professionnelles sont au premier rang.

S’agissant alors des adolescents, ces contraintes sont représentées à la fois par une tendance naturelle à veiller plus longtemps, notamment par l’utilisation des médias en tous genres (et par la lumière générée par les écrans), qui entre en contradiction avec le fait que le passage au collège, puis au lycée, impose un début des cours tôt le matin, à l’origine de débats sans fin dans les familles où les parents s’évertuent (souvent en pure perte…) à engager leurs ados à aller se coucher pas trop tard. De nombreuses études montrent alors qu’il existe une vulnérabilité particulière de ces adolescents qui tendent à présenter –notamment lorsque cette attitude vis-à-vis du coucher est répétée plusieurs nuits consécutives pendant la semaine sans possibilité de "compenser" ces déficits de sommeil par une grasse matinée– des troubles comportementaux se traduisant par une tendance à la somnolence le lendemain, et jusqu’à des troubles attentionnels bien évidemment associés. De nombreux travaux montrent hélas que les conséquences peuvent être encore plus dramatiques et que ces rythmes quelque peu "désynchronisés" par rapport aux horloges biologiques affectent l’humeur en promouvant les tendances dépressives, une certaine agressivité, et jusqu’aux comportements "à risques", que ce soit dans le domaine de la consommation de tabac, d’alcool ou encore de la conduite automobile, ou plus encore dans le déclenchement de différentes formes d’addiction; et si l’on considère que certaines pathologies psychiatriques trouvent leur origine dans l’adolescence, une attention particulière devrait être portée sur ces processus. De plus, il est notable que cette période de la vie est associée à des changements notables dans la gestion des émotions et que la qualité du sommeil affecte particulièrement les comportements vis-à-vis de ces émotions. Dès lors, les études montrent que les adolescents qui présentent les difficultés les plus grandes, notamment en termes de perte de contrôle de leurs propres comportements, sont ceux dont le chronotype est "tardif", c’est-à-dire ceux qui ont une propension naturelle à se coucher plus tard, plus impactés par cette forme de désynchronisation que ceux qui ont tendance à se coucher plus tôt, par la nécessité de se lever tôt pour aller en cours. Ces mêmes adolescents à chronotype tardif sont statistiquement ceux présentant le plus de troubles du sommeil, et notamment de l’endormissement, mais aussi ceux dont l’humeur tant le plus vers des syndromes dépressifs et une tendance nette à toutes formes d’addiction. C’est à tel point que certains auteurs ont qualifié ces troubles des comportements liés à ces sortes de "décalages horaires" de social jetlag, par référence aux conséquences bien connues des décalages horaires subis lors de voyages transcontinentaux.

En quoi les rythmes scolaires sont inadaptés au besoin de sommeil de nos enfants? Quelles sont les solutions pour faire en sorte que nos enfants puissent mieux dormir?

Ces travaux illustrent le fait que ces troubles du sommeil impactent négativement le comportement et l’humeur des adolescents concernés, et que ceci peut avoir des conséquences durables sur leur santé physique et mentale. A la puberté en particulier, les rythmes circadiens ont tendance à se décaler vers des chronotypes tardifs, ce qui renforce l’idée qu’à cet âge, les adolescents sont biologiquement "en conflit" avec les contraintes sociales imposées par les collèges, et qu’ils sont obligés d’adopter.  Ceci se traduit au mieux par des troubles comportementaux alliant une fatigue généralisée à des difficultés d’endormissement qui tendent à faire qu’ils s’endorment encore plus tard, et en une piètre qualité du sommeil. Ceci se traduit encore par des difficultés de gestion du stress et un émoussement affectif au moment où les adolescents les moins impactés par ces décalages de rythmes sont plutôt en phase d’hypersensibilité et de gestion excessive de l’émotion, en rapport cette fois avec la mise en place à cette période de circuits neuronaux entre le cortex préfrontal et les régions sous-jacentes qui gouvernent les émotions. Il s’agit donc d’un véritable problème de santé publique auxquels tous les acteurs de la société devraient être sensibilisés.

Les biologistes et les thérapeutes peuvent attirer l’attention des pouvoirs publics sur ces questions en rapport avec la fragilité des adolescents dont le cerveau et le corps sont le siège de nombreuses transformations à ce moment de la vie. Les parents doivent naturellement tenter d’agir pour mettre en garde leurs enfants sur les risques associés à ces couchers trop tardifs, et les politiques doivent tenter de répondre à ces demandes. La question sous-jacente est alors celle tellement galvaudée des rythmes scolaires. Faut-il modifier l’heure de début des cours comme cela est prôné par un certain nombre de thérapeutes qui considèrent qu’un simple décalage d’une heure ou deux pourrait contribuer efficacement à réduire ces inconvénients ? Faut-il, a contrario, plutôt agir pour que les adolescents se couchent plus tôt? La réponse est loin d’être simple et implique probablement une action conjointe et concertée des familles et des pouvoirs publics. Les enjeux sont nombreux, d’ordre politique, économique et sociétal au moins, mais en tout état de cause et dans l’urgence, c’est certainement plus au niveau des familles qu’en termes de politique publique que se trouvent les éléments de réponse les plus évidents à cette question de santé publique.

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