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Les banlieues 
sous influence étrangère ?
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Paris-Doha

Le Qatar a créé un fonds d'investissement de 50 millions d'euros fin 2011 pour financer des projets économiques en France, et promouvoir l'emploi des jeunes de banlieues directement en territoire qatari. Mais comment les Français issus de l'immigration réagissent-ils ?

Didier  Bourg

Didier Bourg

Didier Bourg est sociologue, journaliste et enseignant. Il a préparé une thèse de doctorat en sociologie sur les "processus d'identification à l'islam et les modes d'expression collective des jeunes musulmans pratiquants en France" à la fin des années 90. Il est journaliste pour "Islam", l'émission musulmane de France 2. Il a fondé en 1993 l'Université Islamique de France (qu'il a quittée en 1997) qui existe toujours aujourd'hui sous le nom de CERSI à Saint-Denis.

 

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Atlantico : Le Qatar s’est illustré en créant un fonds de 50 millions d'euros en faveur des banlieues, et a permis à quelques jeunes de séjourner dans ce riche émirat. Quel regard ces jeunes, et leurs parents, portent-ils sur les Qataris ?

Didier Bourg : C’est vraiment la dimension extra-terrestre ! Voici un exemple, un peu vieux, mais qui est toujours valable : pendant la Coupe du monde de 1998, lors d’une conférence à Lyon à l’Association des jeunes musulmans. Je dois rappeler au préalable que malgré ma double nationalité franco-italienne, je soutiens toujours l’équipe de France par identité vis-à-vis de mes cousins qui résident en Italie.

Ainsi, j’ai assisté au quart de finale France-Italie avec des jeunes de l'association. Ces derniers n’ont pas compris que je fête la qualification de la France ! Cela a créé une espèce d’animosité entre nous, car eux célébraient plutôt les défaites de la France… exception faite d'un match contre l’Arabie saoudite ! Selon eux, ce pays est "pourri", "hypocrite vis-a-vis de l’islam" et "envahi de pétro-dollars"… Dans ce cas, les jeunes des banlieues ont ce regard de la classe populaire, pour qui les riches sont forcément de "sales riches". Pour le Qatar, les réactions restent inchangées. Ils ne peuvent pas avoir une vision positive de ce type de pays.

Cependant, à titre individuel, si l’un d’entre eux peut ajouter à son CV qu'il s'est rendu au Qatar, il n'y manquera pas. Reste que la plupart du temps, ils ne sont pas arabophones et paradoxalement, ils ont moins d’intérêt culturel ou professionnel que n’importe quel autre Français à l'égard de ce pays. Ils n’ont pas envie de partir s’installer au Qatar, car ils ont envie de revenir en France où sont leurs repères : la famille et les amis. D’ailleurs, à chaque fois que j’ai parlé avec des musulmans pratiquants qui n’aimaient pas la France et qui ont voulu retourner dans leur pays d’origine, ils sont revenus très vite en France, par trop habitué à un État de droit et aux libertés ! Comme tous les autres Français, ils ne sentent jamais autant Français que quand ils ne sont plus en France !

Quels rapports entretiennent la première et la deuxième génération d'immigrés avec leurs pays d'origine ?

La première génération d'immigrés avait un rapport ethnico-national avec son pays d’origine. Ils attachaient énormément d'importance au fait d'être Algérien, Tunisien ou Marocain. Ils avaient ce profond attachement national à un pays. Contrairement à la seconde génération, où l'on note une rupture avec ce rapport ethnico-national.

Le pays d’origine c’est le pays de leur cœur, ils apprécient ce lien, mais ils n’y ont pratiquement jamais mis les pieds ou n’y sont allés que de manière exceptionnelle. Ils n’en connaissent rien sur le plan de la politique, des sportifs ou de la culture. L’influence est donc limitée. Contrairement à la première génération, la deuxième génération a été élevée avec des « copains » français, tunisiens, marocains, d’Afrique sub-saharienne, etc. Et ils ne font pas de différences. C’est-à-dire qu’ils ont dépassé leur nationalité d’origine pour s’ouvrir à l’identité maghrébine - en gommant la xénophobie de leurs parents pour les pays voisins du leur).

Cela dit, dans leur rapport au monde, ils portent sur le Maghreb le même regard que celui d’un « Français moyen ». Naturellement, quand ils voient à la télé ce qui se passe en Syrie, ils ont la réaction de tout être humain et sont indignés par les massacres de civils perpétrés par un dictateur qui a tous les pouvoirs…

Justement, quelles sont leurs valeurs ?

La seconde génération a été formée (voire formatée) par l’école de la République. On leur a inculqué des valeurs et ce qu’il est bien de faire - et leurs parents ne leur ont pas dit le contraire ! Il n’y a pas eu d’opposition entre l’éducation de leurs parents et l’enseignement reçu à l’école. De plus, la famille a « joué le jeu » puisque vous ne trouverez jamais des parents issus du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne qui encouragent leur enfant à désobéir. C’est important car on ne retrouve pas le même comportement chez les Français « franco-français » de même catégorie sociale...

Les jeunes issus de l'immigration jettent sur leurs parents un regard de supériorité et de reproche en raison de leur faiblesse - supposée - d’émigrés ayant - selon eux - subi le racisme. Car les jeunes ne veulent pas "subir" le même traitement.  Et justement, sans s’en rendre compte, ces jeunes-là incarnent la réussite des anciens qui, s’ils ont "manqué" leur émigration, ont réussi à leur offrir un sort meilleur. C’est un peu comme les paysans qui disent qu’ils se "saignent aux quatre veines" pour que leurs enfants fassent des études.

Ces personnes ont donc les valeurs de la population avec laquelle ils vivent. Leurs aspirations sont de faire démarrer leur voiture par -10 degrés ou de quitter à la moindre occasion leur cité pour aller un jour s’installer dans un pavillon.

J’ai récemment fait une étude auprès d’un public musulman sur des produits financiers « islamiques ». Curieusement, les pratiquants (dont les femmes portaient le foulard ou dont les enfants étaient inscrits dans des écoles musulmanes) n’avaient nullement envie d’entendre parler de ces produits financiers, car ils ne faisaient pas confiance aux banques qui les proposaient. Du fait notamment de l'implantation géographique lointaine de ces banques. Si l'offre avait émané d'une banque française, leur regard aurait été différent... plus confiant.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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