Propagande en ligne : la guerre, la vraie, se fait désormais sur les réseaux sociaux<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Propagande en ligne : la guerre, la vraie, se fait désormais sur les réseaux sociaux
©Reuters

War 2.0

Si les réseaux sociaux ont parfois été considérés comme des espaces de partage d'idées et de discussions, l'essor de l'Etat Islamique ces dernières années a également mis sous le feu des projecteurs leur rôle en temps de guerre. Un rôle qui n'est visiblement pas prêt de diminuer.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

Voir la bio »

Atlantico : En 2014, l'organisation État Islamique avait surpris bon nombre d'observateurs en ayant recours à une forte utilisation des réseaux sociaux dans le cadre de la conduite de leur guerre, notamment lors de l'invasion de l'Irak. Dans quelle mesure ces réseaux sociaux ont-ils transformé notre façon de faire la guerre aujourd'hui ?

François-Bernard Huyghe : L'utilisation des réseaux sociaux par des groupes terroristes remonte même à Al-Qaïda, avec les attentats de Mumbai où les commandos se coordonnaient par messagerie téléphonique. Effectivement, l'État Islamique a énormément utilisé les réseaux sociaux, pour des raisons assez simples à comprendre.

Ils sont situés tout d'abord dans des zones où il n'y a pas tellement d'infrastructures classiques, et d'autre part Daesh est une organisation qui joue totalement la carte du recrutement de djihadistes étrangers et de la lutte internationale dans tous les pays. Par ailleurs, cela coïncide évidemment avec des phénomènes de génération complètement habituées à vivre avec les réseaux sociaux.

Cette utilisation s'effectue dans des buts de propagande et de recrutement. Sur le terrain, cela sert aussi à la coordination de l'action, quand on ne dispose pas forcément des outils de transmission lourds d'une armée telle que l'armée française. Un grand nombre de travaux ont été effectués là-dessus.

Il faut par ailleurs bien souligner que nous avons découvert avec horreur l'utilisation des réseaux sociaux par l'État Islamique trois ans après avoir célébré avec joie par les mouvements du Printemps arabe, qui se sont coordonnés par les réseaux sociaux pour informer, éviter la police, diriger des groupes sur le terrain, avoir des communications secrètes, etc. On peut même remonter aux élections de 2009 en Iran, lorsque des manifestants contre Mahmoud Ahmadinejad avaient pu diffuser des photos de la répression dont ils étaient victimes. On avait alors parlé de "révolution Twitter". Nous sommes donc passés d'un discours hyper optimiste sur les valeurs démocratiques répandues par la jeunesse du monde entier sur les réseaux sociaux à un discours complètement alarmiste clamant que c'est par ces canaux que se répand le djihadisme.

Dans une société où l'image et l'émotion ont pris une importance considérable dans le quotidien des gens et dans leur perception de la réalité (en témoigne l'émoi suscité par les assassinats d'otages relayés sur les réseaux sociaux), doit-on s'attendre à voir les réseaux sociaux prendre une place de plus en plus conséquente dans les guerres du 21ème siècle ?

Cela me paraît en effet évident. Pour ce qui est des actions terroristes, nous avons vu que les acteurs appartiennent complètement aux générations Facebook-selfie-Twitter. Ils l'utilisent d'une part pour avoir un impact maximum, et d'autre part pour répandre des messages qui ne passeraient pas dans les médias dites classiques. On a ainsi vu des terroristes "enregistrer" leur action, tels ces membres de l'État Islamique qui combattent avec une caméra Go Pro sur leur casque.

Cette situation n'est pas propre à la Syrie ou à l'Irak. On pourrait aussi faire des remarques sur l'Ukraine. Il est évident que dans tous les conflits, surtout quand ils font intervenir des groupes de rebelles, résistances, paramilitaires, milices, etc. (peu importe le nom), les réseaux sociaux servent à la fois à la coordination de ces groupes et à leur action de propagande.

Notons toutefois qu'au début, l'État Islamique était très laxiste et permettait à ses combattants de faire beaucoup de selfies (devant des voitures, avec des kalachnikovs, des drapeaux, etc.), puis les dirigeants sont revenus dessus. En effet, si vous donnez des nouvelles à vos copains restés au pays, vous en donnez aussi à l'ennemi (géolocalisation, identité, etc.). Daesh a donc levé le pied pour des raisons de sécurité. J'ai ainsi vu dans des publications djihadistes telles que Dabiq ou Dar-al-Islam des cours de sécurité informatique de très bon niveau, notamment autour de Telegram.

Y a-t-il également un intérêt pour les grandes puissances à utiliser les réseaux sociaux en temps de guerre ?

En théorie, oui, absolument. Il y a déjà une tradition de présence à des fins de soft power, pour donner une bonne image d'une armée sur les réseaux sociaux. Tsahal, l'armée israélienne, est très forte dans ce domaine-là et utilise notamment Twitter en plusieurs langues pour capter l'attention, publier des vidéos sur YouTube, des pages d'informations, etc. Ils montrent d'une part une bonne image de leur armée (avec des tas de photos de belles filles et de beaux garçons qui ont presque l'air de faire du sport ou d'être en colonie de vacances), et essayent d'autre part d'apporter la preuve de la "propreté" de leurs opérations propres, sans civils tués, etc.

L'armée française a connu tout un débat là-dessus, notamment pour des questions de sécurité en Afghanistan. Si l'usage des réseaux sociaux par les militaires a été quelque peu régulé, les armées sont elles-mêmes présentes sur les réseaux sociaux pour la communication extérieure, donner une bonne image de leur action, recruter, etc. Le recrutement de l'armée française se fait ainsi surtout sur Facebook aujourd'hui, et non plus à travers des brochures distribuées dans les centres de recrutement.

À mon avis, nous verrons encore des développements avec des armées qui pourraient sur le terrain utiliser les réseaux sociaux pour entrer en contact avec les populations, faire circuler des informations pratiques au sein de l'armée, etc. On a également de fortes communautés de vétérans ou de soutiens aux militaires au Royaume-Uni, qui peuvent s'appuyer là-dessus.

Face aux "dangers" de ces nouveaux moyens de communication, doit-on attendre une montée de la censure et des contrôles des moyens de communication dans les pays en guerre ? Les pouvoirs publics ont-ils les moyens proportionnés pour répondre aux menaces ?

Jusqu'à présent, ils ont surtout répondu soit en tentant de géolocaliser l'ennemi via son usage des réseaux sociaux, soit en essayant des stratégies de censure en coupant des comptes. A ce titre, la France n'est pas la dernière dans ce domaine : on demande beaucoup d'informations à Google et de fermetures de comptes djihadistes à Facebook ou Twitter, et on obtient très souvent satisfaction.

Le problème à mon avis, c'est que lorsque vous comptez un compte, il se recrée deux minutes après. Il y a une résilience très importante des réseaux sociaux à la censure. Il faudrait donc se diriger selon moi dans des stratégies d'infiltration, d'intoxication, de création de faux comptes, etc. Ou alors tout simplement faire de la piraterie informatique.

En guise de dernière remarque, notons qu'une étude américaine est parue récemment et semble montrer que les courbes ne se prolongent pas à l'infini, et qu'il y a une sorte de baisse de l'activité des djihadistes sur les réseaux sociaux. C'est un élément à surveiller.

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !