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Accélération des ralliements à Juppé : qu'en était-il entre Balladur et Chirac en octobre précédant l'élection de 1995 ?
©Reuters

Flashback 1994

Les ralliements politiques, aussi bien chez les Républicains qu'à l'UDI, à Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ont déjà commencé et devraient se poursuivre jusqu'à la primaire de la droite des 20 et 27 novembre. De quoi établir un rapport de forces entre les deux candidats comparable à celui instauré à l'automne 1994 entre Jacques Chirac et Edouard Balladur du fait des soutiens que leur avaient apporté alors ténors et élus du RPR et de l'UDF.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Ce mercredi, Jean-Christophe Lagarde devrait annoncer le soutien officiel de l'UDI à Alain Juppé. A un peu plus d'un mois de la primaire de la droite, sur quels ralliements politiques peuvent compter respectivement Nicolas Sarkozy et Alain Juppé au sein de leur famille politique élargie au centre ? Quel rapport de force ces soutiens politiques instaurent-ils entre les deux candidats ? 

Jean PetauxAlain Juppé, dès lors qu’il est très largement majoritaire dans les intentions de vote à la primaire de la droite parmi les sympathisants du centre, peut se prévaloir évidemment de nombreux soutiens de personnalités politiques issues de ces rangs. Le ralliement annoncé de Jean-Christophe Lagarde est l’officialisation en quelque sorte du soutien de l’UDI qui n’a pas accepté officiellement de participer à cette primaire (d’où finalement le nom "spécifique" de "primaire de la droite" et non pas comme on l’a dit un temps "de la droite et du centre". Nicolas Sarkozy, à l’inverse, majoritaire parmi les adhérents "Les Républicains" peut faire état de soutiens de personnalités connues ou influentes comme Christian Jacob, président du groupe parlementaire LR à l’Assemblée ou comme François Baroin, sénateur-maire de Troyes, président de l’Association des Maires de France et surtout considéré comme le "fils adoptif" de Jacques Chirac. Belle prise de guerre pour Sarkozy qui n’aime rien tant que "braconner" sur des "terres" partisanes ou affinitaires "étrangères" voire hostiles et qui ramène les "scalps" de ses "prises" comme autant de preuves qu’il rallie tout le monde sur son nom. Il a procédé ainsi en 2007 quand il avait le vent en poupe et qu’il convertissait tout ce qui l’approchait (Besson, Kouchner, Bockel, il a failli y parvenir pour Allègre, etc.). Et le moins que l’on puisse dire c’est que cela a fonctionné très fort… Cela s’est appelé "l’Ouverture"… Au point d’ailleurs d’en agacer plus d’un à droite. On se souvient de la sortie vacharde de Patrick Devedjian, secrétaire général de l’UMP, disant pendant la campagne des législatives de juin 2007 : "Je suis pour l’ouverture, très pour … et je souhaite qu’elle aille jusqu’aux personnalités de… l’UMP". Manière de dire : "N’oublie pas tes amis Nicolas".

Il n’est pas du tout prouvé que ces ralliements et ces soutiens affichés apportent une voix de plus au candidat qui sait s’en prévaloir… C’est là tout le mystère de la politique et de l’élection (qu’elle soit interne ou externe) : faire état de soutiens n’est pas forcément un "plus" ; ne pas en avoir peut-être un "moins" en revanche. Pourquoi ? Essentiellement pour une question de "standing politique". Et le standing, quelque part, c’est de la crédibilité, c’est la marque de la puissance et de la capacité à prétendre être chef. Ce sont des signes extérieurs de richesse politique.

L'affrontement Juppé-Sarkozy n'est pas sans rappeler celui ayant opposé Jacques Chirac à Edouard Balladur pour la présidentielle de 1995. A l'automne 1994, comment se répartissaient les soutiens politiques aux deux candidats au sein du RPR et de l'UDF ? Quel était alors le rapport de force établi entre les deux candidats par ces différents ralliements politiques ? Dans quelle mesure cela a-t-il pu contribuer à la victoire de l'un et à la défaite de l'autre ?

Le contexte de 1994-1995 présente des similitudes et des différences avec celui d’aujourd’hui. Comme aujourd’hui pour Juppé et Sarkozy, Chirac et Balladur appartiennent en 1994 au même parti politique : le RPR. L’UDF est dans un rôle de spectateur de ce duel. Tout comme jadis Chaban-Delmas et Chirac appartenaient au même parti gaulliste (l’UDR) alors qu’ils se sont déchirés "en direct" sur la question du soutien (ou pas) à Giscard qui allait fonder l’UDF deux ans après 1974. Les différences sont grandes quand même par rapport à aujourd’hui : en 1994 l’UDF était bien plus puissante que l’UDI ou le MODEM réunis et surtout l’UDF d’hier, dans sa grande majorité, a fusionné avec le RPR pour créer l’UMP, parti qui s’est transformé en LR il y a moins de deux ans. Donc Sarkozy et Juppé travaillent à rallier à eux des personnalités qui sont (au moins pour Sarkozy) dans le même parti que lui. Juppé, moins à l’aise dans sa propre famille politique ("Les Républicains") que son redoutable rival, Sarkozy, doit aller chercher des soutiens, comme Balladur par rapport à Chirac, à l’extérieur de la famille… Ainsi Balladur, bien que bénéficiant du renfort de deux personnalités du RPR actives alors (Pasqua et Sarkozy) est-il allé puiser dans la réserve UDF le gros de ses soutiens (Léotard, Bayrou, etc.). Chirac en revanche avait quelques supporters à l’UDF (Stasi, Madelin, Raffarin) mais il s’est surtout appuyé sur son bloc militant RPR originel et sur ses cadres : Juppé (secrétaire général du RPR), Séguin, Baroin (qui était très jeune alors), Toubon, Mazeaud, Jean-Louis Debré, etc. C’est sans doute cette mobilisation de la "garde chiraquienne" rapprochée qui a permis au "grand c…" (comme le surnommait Philippe Séguin qui avait à son égard une relation très ambivalente, amour-haine…) de l’emporter sur "Monsieur Balladur" qui s’est, lui, progressivement, englué dans le portrait ravageur du "bourgeois louis-philippard", totalement coupé de la base sociale de l’électorat populaire de droite qui s’est reporté sur Chirac avec un vrai bonheur finalement.

En termes de rapports de force, est-il préférable d'avoir le soutien des ténors du parti ou plutôt des élus (députés, maires, etc.) ?

On peut répondre qu’il est préférable d’avoir les deux… Les ténors du parti c’est l’affichage national et la "vitrine" en quelque sorte. Vous affichez votre "comité de soutien" national en faisant passer un message subliminal qui peut être résumé ainsi : "Voyez mes amis qui me soutiennent, faites comme eux cela vous servira". Le soutien de personnalités moins connues comme peuvent l’être des députés anonymes et peu médiatisés mais disposant d’un très solide ancrage local avec un réseau puissant de militants et de sympathisants, c’est la garantie et l’assurance d’un singulier appoint et d’un solide renfort. D’un côté avec les ténors, comme à l’Opéra, les solistes à la voix puissante qui crédibilisent une candidature ; de l’autre avec les députés, maires, etc, également comme à l’Opéra, le chœur qui rassemble beaucoup de voix et dont la puissance est générée par le nombre.

Alain Juppé et Nicolas Sarkozy pourraient-ils tirer un enseignement du rapport de force que les ralliements politiques de l'époque ont instauré entre Jacques Chirac et Edouard Balladur ?

Je ne pense pas. Essentiellement parce que les configurations et le contexte historico-politique ne sont pas les mêmes. Sarkozy et Juppé ne sont aucunement semblables à Chirac et Balladur. Il est faux de rapprocher le Juppé de 2016 et le Chirac de 1994 ou le Sarkozy de 2016 et le Balladur de 1994, même si Juppé et Sarkozy ont été, respectivement, les plus fervents soutiens de Chirac et de Balladur alors. Mais il est tout aussi erroné de dire que Juppé serait une sorte de Balladur (donné très favori au moment du lancement de la campagne interne à la droite et baissant en intentions de vote au fur et à mesure que l’échéance électorale se rapproche) ou que Sarkozy, donné perdant, opérerait un spectaculaire redressement comme Chirac l’a fait en février-mars 1995 quand sa courbe d’intention de votes a croisé à la hausse celle de son rival Balladur à la baisse. Donc, ici, comme souvent, comparaison n’est pas raison.

En revanche il est incontestable que si Balladur a perdu face à Chirac c’est tout autant parce qu’il n’avait que des ralliements de cadres et fort peu de ralliements de la masse des adhérents et sympathisants. Aujourd’hui la primaire change radicalement la donne. S’il l’emporte, Alain Juppé aura démontré que l’on peut être désigné comme représentant de son parti politique sans le soutien du noyau dur des adhérents du parti "Les Républicains". Tout comme Ségolène Royal l’a emporté, contre le "cœur du PS" en novembre 2006 avec le soutien des adhérents à "Désir d’avenir", "adhérents d’un jour" au PS qui avaient payé, pour pouvoir voter, la fameuse cotisation à 20 € (low-cost) et qui se sont désaffiliés l’année suivante. Ségolène Royal a certes battu deux "éléphants" du PS (Fabius et Strauss-Kahn) mais ensuite le parti s’est vengé : elle n’a jamais retrouvé le soutien de la rue de Solférino. Et comme elle n’en voulait pas, cela tombait bien en somme. Alain Juppé court ce risque-là : si Nicolas Sarkozy est sévèrement battu dans le duel qui va sans doute l’opposer au second tour de la primaire à Alain Juppé, il l’aura été par une forte mobilisation de l’électorat centriste voire sympathisant socialiste contre Nicolas Sarkozy qui commence déjà à jeter l’opprobre sur cette "dérive" de la primaire parlant même de "parjure" (on n’est jamais à une outrance langagière près avec l’ancien président de la République, c’est cela qui le rend si sympathique…). Alors l’électorat "LR" de strict observance, très pro-Sarko et particulièrement à même de se mobiliser pour son héraut, risque de "militer avec ses pieds" pour Alain Juppé en faisant le raisonnement suivant : "Puisque tu as été élu à la primaire avec les voix du centre et de la gauche, va donc les chercher maintenant tes électeurs pour qu’ils fassent ta campagne présidentielle, la vraie…".

Ce serait sans doute à ce niveau que pourrait résider la leçon politique de 1994 : il ne suffit pas de rallier ses concurrents d’hier (l’UDF par rapport au RPR) comme l’a fait Balladur, il ne faut pas perdre de vue, non plus, son socle électoral et le noyau dur de son parti… C’est ce qu’avait compris Chirac, en octobre-novembre 1994 et cela lui a plutôt bien réussi en avril-mai 1995.

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