Tensions avec Poutine & alignement sur la politique étrangère américaine : la paille que François Hollande voyait dans l’oeil des pays de l’Est sans se rendre compte de la poutre qu’il avait dans le sien<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a poursuivi les politiques de Nicolas Sarkozy, qui est le premier président à avoir réorienté la politique française dans un sens plus atlantiste avec par exemple le retour de la France dans l'Alliance atlantique en 2009.
François Hollande a poursuivi les politiques de Nicolas Sarkozy, qui est le premier président à avoir réorienté la politique française dans un sens plus atlantiste avec par exemple le retour de la France dans l'Alliance atlantique en 2009.
©Pixabay

C’est l’hopital qui...

Après avoir abandonné les négociations avec Airbus, la Pologne a annoncé ce mardi avoir acheté 21 hélicoptères américains, ce qui a provoqué de vives critiques du côté de l'exécutif français. Et pourtant, le positionnement atlantiste de la Pologne n'a rien de surprenant, le pays n'ayant cessé de miser sur la protection des Etats-Unis depuis la fin de la Guerre froide.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : La Pologne a annoncé ce mardi 11 octobre, l’achat d’au moins vingt et un hélicoptères Black Hawk américains, après avoir suspendu, le 4 octobre, les négociations engagées en 2015 avec Airbus sur l’acquisition de cinquante Caracal. Vendredi dernier, François Hollande avait critiqué la préférence polonaise pour la protection américaine, au détriment de celle l'Europe. Alors que depuis le début de son quinquennat, François Hollande a, sur la plupart des dossiers internationaux, aligné ses positions sur celles des Etats-Unis, dans quelle mesure ces accusations à l'encontre de Varsovie peuvent-elles apparaître comme paradoxales ?

Guillaume Lagane : Il me semble que, s'agissant de cette vente, la position française est bien naturelle : elle est liée à la déception d'un pays fournisseur qui voit un marché lui échapper.

François Hollande a remporté de grands succès à l'exportation : vente des Rafales à l'Inde, exportation de ces mêmes Rafales en Egypte et au Qatar. En revanche, s'agissant du marché européen, apparaît cet échec polonais. En 2003, Jacques Chirac avait déjà exprimé sa mauvaise humeur vis-à-vis de Polonais "mal élevés" qui, candidats à l’entrée dans l'Union européenne (effective en 2004), avaient choisi des avions de chasse américains au détriment des Rafales français. Les Polonais avaient été accusés de ne pas se plier à une sorte de préférence européenne.

Par ailleurs, François Hollande ne s'est pas aligné tant que cela sur la position des Etats-Unis. En réalité, les deux pays ont des divergences assez nettes. La position française sur la Syrie est, depuis 2011, assez favorable à une intervention alors que les Etats-Unis d’Obama sont sur une ligne isolationniste. Même divergence sur l’Iran entre une France méfiante et une Amérique complaisante envers Téhéran. D'une certaine manière, le succès des exportations françaises au Moyen-Orient s'explique d’ailleurs par ce positionnement diplomatique, l'Arabie Saoudite et ses alliés sunnites ayant voulu récompenser Paris et "punir" les Etats-Unis.

Par ailleurs, au regard de la tradition de politique étrangère des deux pays, dans quelle mesure la politique polonaise de suivi des Etats-Unis est-elle moins surprenante que la ligne atlantiste de François Hollande ? Quels sont les facteurs stratégiques et géographiques pouvant expliquer la position polonaise ?

La politique étrangère polonaise a une constance historique, dictée par l’histoire et la géographie : depuis la fin de la Guerre froide au début des années 1990, Varsovie a choisi une ligne clairement atlantiste. Le pays est rentré dans l'Alliance atlantique en 1999 et n'a cessé de chercher à resserrer les liens avec les Etats-Unis, en acceptant par exemple d’accueillir un dispositif de bouclier anti-missiles américains sur son territoire. Cette alliance s'explique par la peur que suscite en Pologne la proximité avec la Russie. N’oublions pas que la Pologne a disparu au XIX°s, qu’elle n’a ressuscité qu’en 1918, qu’elle a alors affronté l’armée rouge et que pèse depuis la seconde guerre mondiale le traumatisme de l’agression soviétique et du massacre de Katyn en 1940 (on se souvient qu’Andrzej Wajda, récemment disparu, en a fait un film en 2007).

La Pologne, contrairement aux pays d'Europe occidentale, a connu une croissance économique assez forte au cours des dernières années (autour de 3%) et a des finances publiques globalement en bon état (dette publique à seulement 50% du PIB). Suite à l'affaire ukrainienne en 2014 et au soutien russe aux séparatistes, qui a ravivé les craintes de la Pologne vis-à-vis de la Russie, Varsovie a engagé une politique de réarmement (augmentation du budget de défense et des effectifs de l’armée) qui s'est notamment traduit par des achats d'équipements dont les hélicoptères américains font partie.


La position atlantiste de la France est plus récente : François Hollande a poursuivi les politiques de Nicolas Sarkozy, qui est le premier président à avoir réorienté la politique française dans un sens plus atlantiste avec par exemple le retour de la France dans l'Alliance atlantique en 2009. François Hollande a d'ailleurs été sur ce point un suiveur alors même que lorsqu'il était dans l'opposition il avait critiqué la réintégration de la France dans l'OTAN, par une fidélité paradoxale aux positions gaullistes. Et d’autant plus paradoxale que François Mitterrand, en 1966, avait critiqué la décision du général de Gaulle de quitter le "commandement intégré" de l’OTAN.

On constate donc une rupture globale entre ces deux présidents et ce qu'Hubert Védrine avait appelé la tradition "gaullo-mitterrandienne", qui voulait que la France ait constamment une position critique par rapport aux Etats-Unis. Le paradoxe est que cette politique atlantiste est décalée par rapport à ce que les Etats-Unis eux-mêmes sont devenus sous Barack Obama : un pays qui ne sent plus si occidental que cela, qui ne veut plus intervenir, qui ne veut plus être le premier, qui veut "diriger depuis l'arrière", qui laisse la Russie revenir au premier plan en Europe de l'Est et au Moyen-Orient, qui laisse la Chine s'étendre en Asie. Ainsi, la France reste sur un logiciel de politique étrangère américaine qui n'est plus celui qui prévaut aujourd'hui à Washington.

L'abandon des négociations avec Airbus par la Pologne serait à l'origine d'une crise diplomatique entre les deux pays.  Quelles divergences en Europe cette crise met-elle en lumière, notamment sur la question de la défense européenne ? ​

La défense européenne est un véritable serpent de mer de la construction européenne. Beaucoup de choses sont dites et écrites depuis trois décennies mais peu d'avancées ont vraiment lieu.

Le récent sommet de Bratislava a été l'occasion de réactiver ces souhaits de coopération entre pays européens sur fond de Brexit, qui pourrait permettre une relance de la défense européenne. De ce point de vue-là, la décision des Polonais est un mauvais signal qui montre que subsistent des divergences importantes entre des pays comme la France, qui continuent de militer pour qu'un pilier de défense européen soit constitué autour de coopérations industrielles, d'un rapprochement stratégique, et d'opérations communes etc. et des pays, comme la Pologne, qui considèrent que cette défense européenne est inutile, voire dangereuse, et qu'elle doit céder le pas à l'Alliance atlantique.

Les Polonais ont une position particulière en Europe : ce sont à la fois des souverainistes – c’est-à-dire assez qu'ils sont hostiles à une trop grande extension de la construction européenne dans les domaines économiques et sociaux, où l’actuelle majorité défend une sorte de conservatisme catholique - et des atlantistes fervents. Ils se différencient ainsi de la Hongrie, elle aussi souverainiste mais qui prône un rapprochement avec la Russie. Dans l'esprit des Polonais, et compte-tenu de ce qui se passe en Ukraine, la seule garantie pour leur sécurité n'est pas une hypothétique construction européenne (malgré la clause de solidarité du traité de Lisbonne) mais l'article 5 de l'Alliance atlantique et la croyance que seuls les Américains interviendront à leurs côtés en cas d'agression russe. 

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