Retour de flamme thatchérien : ce tout petit détail de contexte global différent qu’oublient les nouveaux adorateurs de la dame de fer<!-- --> | Atlantico.fr
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L’économie française ne connaît pas la même crise que le Royaume-Uni de l’époque, mais une croissance trop faible avec un chômage trop important et une réduction trop faible du déficit budgétaire, plus une inflation nulle.
L’économie française ne connaît pas la même crise que le Royaume-Uni de l’époque, mais une croissance trop faible avec un chômage trop important et une réduction trop faible du déficit budgétaire, plus une inflation nulle.
©Reuters

Margaret avait raison… Mais en son temps

Si l'héritage économique et les recettes de Margaret Thatcher semblent recevoir un nouvel écho ces derniers temps en France, la comparaison du contexte économique de l'époque et de celui d'aujourd'hui devrait nous inciter à la prudence quant à l'efficacité attendue de l'application des méthodes de la "Dame de Fer" à l'économie française.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Alors qu'on constate un certain regain de l'héritage économique de Margaret Thatcher ces derniers temps en France (édition du Point de cette semaine, certaines propositions de François Fillon ou Emmanuel Macron, etc.), ceux qui promeuvent un nouveau thatchérisme pour 2017 ont-ils bien saisi selon vous la différence de contexte économique entre les deux périodes ? La situation de stagflation (croissance faible + inflation forte) que le Royaume-Uni connaissait juste avant l'arrivée de Thatcher au pouvoir est-elle vraiment comparable à ce que l'on connaît aujourd'hui ?

Jean-Paul Betbèze : Ce que l’on a appelé le "thatchérisme" est plus une réponse politique et sociale que spécifiquement économique. Le Royaume-Uni de la fin des années 1970 se vivait comme dans un véritable déclin avec une croissance faible, un déficit budgétaire important et une dette publique qui ne cessait de monter. La raison avancée par Mme Thatcher était l’importance, à la fois dans le privé et dans le public, des syndicats. Très puissants, ils rendaient très difficiles les réformes et alimentaient l’inflation.

Le thatchérisme, avec son volet de privatisations, d’assainissement des comptes publics et de la réduction de la dette, suppose évidemment, au début, des actions très dures. Il s’est agi ainsi de réduire très fortement la dépense publique et de prendre le risque d’une remontée du chômage. Il passe de 6% de la population active en 1980 à 12% en 1984. En même temps, la croissance chute. C’est typiquement une logique dite de courbe en J, qui commence par un assainissement qui fait plonger la croissance, l’emploi et les prix pour faire remonter ensuite les profits et la compétitivité, puis l’emploi. On le comprend, pour "tenir" dans le début de cette courbe en J, il faut effectivement une poigne. D’où l’appellation de Dame de Fer.

L’économie française ne connaît pas la même crise que le Royaume-Uni de l’époque, mais une croissance trop faible avec un chômage trop important et une réduction trop faible du déficit budgétaire, plus une inflation nulle. Ce n’est donc pas une stagflation.

Si la France n’était pas en zone euro, sa monnaie aurait été sous pression depuis longtemps et ses taux d’intérêt évidemment plus hauts qu’aujourd’hui. La difficulté d’une politique "dure" actuellement, c’est que nous ne présentons pas les symptômes financiers de notre faiblesse économique. Elle ne peut donc avoir la même légitimité directe qu’au Royaume-Uni à l’époque.

Certains défenseurs de cet héritage thatchérien pointent le fait que la situation économique d'aujourd'hui est similaire à celle de l'époque, soulignant notamment des symptômes tels qu'un chômage élevé ou une dégradation des finances publiques. Mais des symptômes identiques résultent-ils forcément des mêmes causes ?

Les causes de la faiblesse actuelle de l’économie française lui sont en partie imputables mais tiennent aussi aux limites de la zone euro et à la crise mondiale dont la sortie est particulièrement complexe.

Les causes proprement françaises de nos difficultés sont une rentabilité trop faible de nos entreprises (l’excédent brut d’exploitation rapporté à la valeur ajoutée des entreprises françaises atteint désormais 31% grâce au CICE, il est de 36% en Allemagne). En même temps que cette rentabilité faible, nos entreprises se trouvent placées en milieu de gamme, avec des salaires élevés. Elles font face à des entreprises allemandes situées en plus haut de gamme avec des salaires plus faibles et à des entreprises espagnoles en moyenne et bas de gamme avec des salaires beaucoup plus faibles. Le problème français est un problème de compétitivité des entreprises qui passe par la remontée des profits, autrement dit la baisse des impôts et la simplification administrative d’un côté, la formation et la négociation au niveau de l’entreprise de l’autre.

Ceci implique que les salaires, les horaires, les conditions de travail, les compléments salariaux et la formation soient adaptés à l’entreprise et à la concurrence qu’elle affronte.

Si les contextes ne sont pas les mêmes, peut-on vraiment considérer que les mêmes recettes appliquées à l'époque soient vraiment efficaces aujourd'hui ? En quoi la recherche de modèles politiques à tout prix peut-elle nous induire en erreur, notamment lorsque l'on cherche à importer des situations qui n'ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres ?

Nous aimons en France les solutions en Kit : thatchérisme, libéralisme… alors que rien ne peut fonctionner sans être adapté à notre situation et expliqué. Il faut notamment prendre en compte la réalité des grands pôles productifs qui se constituent dans le monde : il n’y aura pas de croissance en France sans le renforcement de ceux que nous avons.

Dans le cas anglais, Mme Thatcher a eu un soutien de l’opinion inquiète devant la dérive de l’économie, même devant une violence sociale peu commune. Evidemment, ceci ne pourrait se produire en France, non seulement du fait de la puissance des syndicats, mais plus encore du fait que les symptômes de nos difficultés ne sont pas apparents. Comment demander de faire des efforts pour réduire le déficit budgétaire quand les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas ? Comment demander de réduire le déficit extérieur, puis d’arriver à un excédent quand l’euro est stable ?

Le thatchérisme était une réponse adaptée au Royaume-Uni de l’époque. Dans le cas français, nous parlons de social-libéralisme pour parler de la politique de François Hollande et de libéralisme-social pour qualifier nombre de ses opposants. Nous sommes donc dans le dosage théorique alors qu’il faudrait accepter plus de souplesse et de négociation au niveau de l’entreprise. Alors : local-libéralisme-social ?

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