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"Allo parents désemparés" : ce que le succès des numéros verts mis en place dit du nouveau profond besoin d’écoute de parents bien plus inquiets que ceux des générations précédentes
©REUTERS/Fred Prouser

Bouhouhou !

L'association locale "Allo, Parlons d'Enfants", qui a mis en place un numéro vert pour écouter les parents en détresse, est submergée d'appels venant de toute la France. Le point sur un nouveau phénomène de société.

Frédéric  Kochman

Frédéric Kochman

Né à Roubaix en 1967, Frédéric Kochman est pédopsychiatre. Praticien hospitalier, il oriente ses recherches vers le domaine des troubles anxieux et dépressifs chez l’enfant et l’adolescent. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont "Mieux vivre avec un enfant hyperactif" (Arnaud Franet, 2003), "Grands-parents, le rôle de votre vie" (Marabout, 2015). Il vient de publier "Guide de survie pour parents débordés" (Archipel, 2016).

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Atlantico : Deux écoutants de l'association locale "Allo, Parlons d'Enfants" répondent désormais tous les jours aux appels de parents en détresse. Comment expliquer une telle initiative ? Les parents d'aujourd'hui sont-ils plus inquiets que les parents de la génération précédente ?

Frédéric  Kochman : Cette initiative ne m'étonne pas du tout et répond à un vrai besoin d'écoute des parents d'aujourd'hui, qui sont beaucoup plus inquiets que les parents des deux générations précédentes. Je vois tous les jours en consultation des parents complètement désemparés, qui me posent des questions éducatives de base qui ne seraient jamais arrivées jusqu'au médecin il y a une quinzaine d'années.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette détresse parentale.

Tout d'abord, entre les émissions de télévision comme "Super Nanny" ou "Pascal, le Grand Frère", qui prônent le retour d'une éducation stricte, voire musclée, et le gouvernement qui interdit de donner des fessées aux enfants, le tout mélangé avec les multiples livres et sites internet qui sortent depuis quelques années sur la question, les parents sont noyés sous une quantité d'informations, toutes contradictoires.

Ensuite, je pense que l'inconscient collectif de la société française pousse les parents à élever des "enfants roi", pour qu'ils deviennent de parfaits consommateurs, incapables de résister à leur pulsion, d'attendre et de supporter la frustration. Encore dernièrement, je discutais avec un vendeur de VTT dernier cri, qui m'expliquait que les parents, pour être surs que leurs enfants aient le plus vite possible le tout nouveau modèle de vélo qui sort, passent des pré-commandes, qui ne cessent d'augmenter. Cette démarche se décline sur tous les produits de consommation à la mode, et ce quelqu’en soit le prix, de l'Iphone 7 au cartable Violetta.

Enfin, les principes éducatifs sont forcément perturbés par la décomposition, la re-composition, voire la re-décomposition des structures familiales. Aujourd'hui, sur une classe de primaire, 80% des élèves sont issus de familles recomposées.

Quels sont les principaux sujets d'inquiétude des parents d'aujourd'hui ?

Les parents que je reçois sont extrêmement préoccupés par le rapport de leurs enfants aux écrans. Ils constatent que leur progéniture est complètement dépendante des tablettes, des jeux vidéo, de la télévision et des téléphones, faisant de violentes crises de nerfs quand on leur retire, et ne savent pas comment réagir, surtout que le problème apparaît de plus en plus tôt.

Le deuxième grand sujet d'inquiétude des parents est le harcèlement scolaire, qui est de plus en plus violent et qui commence de plus en plus jeune, parfois dès la maternelle.

Quels sont les mécanismes à l'oeuvre dans les principales situations de conflit ou de crise entre parents et enfants ?

Le principal mécanisme qui engendre des générations d'enfants roi est la disparition de la notion de verticalité au sein des familles. Les parents d'aujourd'hui éduquent leurs enfants de manière horizontale, c'est-à-dire qu'ils se mettent au même niveau qu'eux, comme s'il s'agissait de leurs copains ou de leurs colocataires de Secret Story 11. Tout devient alors sujet à négociation. J'ai encore reçu ce matin un enfant qui ne voulait plus manger que des pizzas, matin, midi et soir, et ses parents qui me demandaient, désespérés : "mais qu'est-ce qu'on doit faire docteur ?".

Cette disparition de la notion de verticalité est très préjudiciable pour les parents, qui deviennent de véritables esclaves de leurs enfants, cherchant à éviter les crises à tout prix. C'est également très préjudiciable pour les enfants, car un enfant roi est fondamentalement un enfant très angoissé. Dernièrement, j'ai reçu un enfant de 5 ans qui m'a très bien formulé l'origine de son inquiétude. Il m'a dit : "mais si mes parents me laissent prendre toutes les décisions, qui va m'aider si je rencontre un problème ?".

En outre, on peut remarquer que la disparition de la notion de verticalité dans l'éducation des enfants depuis le début du millénaire se répercute dans toutes les sphères de la société. Cela donne par exemple des jeunes de la fameuse "génération Z" qui, alors qu'ils viennent juste de se faire embaucher, manquent de respect à leur patron en leur parlant n'importe comment ou en refusant de respecter les règles de l'entreprise, et ne comprennent pas pourquoi ils sont virés.

Comment rassurer et aider cette génération de parents angoissés ?

En rétablissant cette notion de verticalité au sein de la structure familiale. C'est-à-dire faire comprendre à l'enfant qu'il doit obéir à "une autorité bienveillante" (à ne pas confondre avec l’autoritarisme) qui vient de personnes plus "hautes" que lui dans la pyramide des âges.

C'est, par exemple, donner des cadres en fixant des heures de coucher, de lever, des partages de repas, punir si nécessaire sans se poser mille questions avant d'agir, expliquer qu'on ne peut pas tout avoir tout de suite, inculquer le respect des grands-parents ou encore parler de son supérieur hiérarchique et du professeur avec respect même quand on est à la maison, bref, apprendre à s'écouter et à revenir à des principes éducatifs instinctifs, qui régissent les familles de toutes origines depuis des millénaires.

Il ne s'agit bien sûr pas de revenir en arrière et aux coups de règles, mais plutôt de revisiter les principes éducatifs d’antan en les adaptant aux enjeux de la société actuelle. On peut comparer cela à de la cuisine. Les grands chefs d'aujourd'hui n'inventent plus de recettes, car toutes les bases de la cuisine française sont déjà posées, ils les revisitent.

Propos recueillis par Mathilde Debry

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